J'ai lu que Child of Light s'inspirait du JRPG. Peut-être, ça se ressent. Mais cela n'a en réalité pas tellement d'importance tant le jeu d'Ubisoft Montréal dépasse de loin les conventions du RPG, comme celles du jeu vidéo d'ailleurs.

A première vue, Child of Light ne diffère en rien d'un conte pour enfants : la princesse Aurora, projetée dans un monde étrange, cherche à rejoindre son royaume et son père. Mais la comparaison s'arrête là, car dès les premières minutes de ce jeu, on comprend que l'on a à faire à une oeuvre unique.

Car Child of Light, c'est tout d'abord une claque artistique sans précédent. A la manière d'un Journey ou d'un The Unfinished Swan, le jeu d'Ubi charme immédiatement par son design venu de nulle part. Comme d'habitude c'est une affaire de perception, mais il y a vraiment une âme dans les traits de crayons qui donnent vie aux créatures, aux personnages et aux décors, les jeux d'ombre et de lumière sont exquis. Tout est magnifique. A chaque arrivée dans un nouvel environnement, il faut remonter sa mâchoire tombée devant la grandeur de l'art. C'est bien simple : on pourrait ouvrir un musée entier avec que du Child of Light dedans.

Mais en fait le musée ne serait pas assez, car il faut vraiment voir le tout BOUGER! Visiblement pas à cours de génie, les petits gars d'Ubisoft Montréal ont créé des animations à la fois fluides et remarquables d'inventivité. Les mouvements donnent une impression de théâtre ou de spectacle de marionnettes qui sied parfaitement à l'ensemble. Comment dire... c'est en 2D, mais c'est beaucoup plus vivant, beaucoup plus immersif que la plupart des jeux «photo-réalistes». Mention spéciale à l'animation dans laquelle Aurora pert sa couronne, la ramasse puis la remet, qui est vraiment le must du kawaii.

Tout cela est complété par une mise en scène qui encore une fois là défie l'ordinaire et impressionne sans détour. Je parlais de théâtre juste au-dessus. Il se trouve que Child of Light emprunte autant aux belles lettres qu'aux beaux-arts : les dialogues shakespeariens aux rimes impeccables respirent l'intelligence et le raffinement (en anglais, j'ignore ce que ça donne en français). Les développeurs ont pris un malin plaisir à glisser et à déformer quelques références littéraires ici et là : la méchante s½ur Cordélia, l'Odyssée d'Achille... Les dialogues tout comme l'histoire sont tour à tour drôles et touchants, ce qui effectivement est la marque des grands JRPGs, et reprennent très adroitement des thématiques clé comme le courage, l'honneur, la fraternité, la pitié filiale etc.

Et le gameplay alors? Me direz-vous. Parlons-en, car encore une fois celui-ci est créé ex-nihilo plutôt que de reprendre un système existant. Certes, la progression est majoritairement linéaire, mais on s'amuse vraiment à farfouiller dans les tableaux et dénicher tous les trésors cachés et à résoudre les énigmes parsemées au fil de l'aventure. De plus, une dizaine de quêtes additionnelles vous feront revisiter les tableaux, et certaines demandent davantage de recherche que certains JRPGs récents dans leur entièreté.

Les combats sont très originaux. Vous partagez avec les ennemis une timeline divisée entre wait et cast. Si vous touchez un ennemi alors qu'il est en cast, vous le privez de son tour. Mais attention! Cela vaut aussi pour vous. Anticiper méticuleusement les mouvements de la timeline est donc l'une des clés de la victoire, et en cela le joueur possède un atout : votre petite fée Igniculus (dirigée avec le stick droit) peut ralentir les ennemis et ainsi vous permettre de passer devant. La demi-douzaine de personnages jouables ont chacun leurs spécialités, encore complexifiées par la possibilité d'équiper des Oculi. Ce derniers sont des pierres précieuses (à looter ou à forger) qui peuvent renforcer les armes, armures et accessoires de différentes manières (attaque élémentaire, défense+, XP+, etc.). Les combats sont réellement prenants dans la mesure où ils mettent vraiment l'accent sur les buffs et debuffs, que les adversaires eux-mêmes ne sont gêneront pas pour utiliser. A vous de les contrer en adoptant une stratégie de soin/couverture défensive quand la situation l'exige, ou une offensive hardie pour déjouer les pièges de l'ennemi.

Car les monstres et surtout les boss ont des comportements ainsi que des forces et faiblesses très variées, vous obligeant à faire passer le témoin entre vos personnages. Soulignons les combats de boss qui trouvent instantanément un caractère épique qui n'a rien à envier aux JRPGs les plus efficaces. Les «méchants» sont ignobles et retors, les créatures sont gigantesques et les affrontements sont sublimés par l'extraordinaire boss battle theme. Ah oui, mon Dieu, LA MUSIQUE! L'orchestration est magnifique, la mélancolie qui s'en dégage prend aux tripes, c'est absolument sensationnel. Du côté des défauts, on aurait aimé une trophy list un peu plus conséquente, et puis le jeu a planté deux fois, voilà.

Certains s'en doutent déjà, je ne peux évidemment pas clore ce test sans un titanesque mea culpa. En effet, j'ai fait ce pourquoi je critique autrui du matin au soir : j'ai critiqué sans avoir joué. J'ai honte. Je me déteste moi-même et je me prosterne bien bas en signe de repentance. Par esprit partisan je n'y ai pas cru : c'était une erreur. Car si Hotaru Nikki et Battle Princess of Arcadia dans le même genre sont prometteurs, il se pourrait bien qu'avec Child of Light, l'élève aie déjà dépassé le maître.

Le test imagé est consultable ici (et croyez-moi c'est vachement mieux avec).