Fin 1997, Georges Fornay, alors président de Sony C.E France, déclare à PlayStation Magazine[1] que la stratégie de la firme pour l'année suivante est de « capter les plus jeunes, grâce, notamment, à une offre plus étendue. ». Il part du constat que l'année du lancement « il n'y avait presque rien pour un gamin de 10-12 ans » et qu'il faut que cela change. L'année 1998 voit l'expansion de la marque PlayStation : les ventes de jeux atteignent les 200 millions d'unités et, à la fin de l'année, la production de consoles approchent la barre des 50 millions[2]. Cette expansion est à mettre au crédit de jeux sortis en 1997 tels que Crash Bandicoot 2 : Cortex Strikes Back, Tomb Raider II, Oddworld : l'Odyssée d'Abe ou Final Fantasy VII, entre autres. L'idée de conquérir les plus jeunes se concrétise d'abord avec un prix abaissé (990 francs) et le lancement de la gamme Platinum. Mais face à Nintendo il faut imposer des marques, des personnages ayant une identité forte. En parallèle un nouveau kit de développement est expédié aux studios et provoque l'admiration de tous grâce aux caractéristiques techniques qu'il propose. Insomniac Games décide alors qu'il est temps de faire naître un dragon : Spyro.


Le jeune dragon a une mission : conjurer la malédiction qui touche ses congénères et les transforment en statues de cristal et réduire en cendre Gnasty Gnorc, un crapaud anthropomorphique, sorcier et fort laid, à l'origine du sort. Pour se faire notre jeune héros doit voyager sur les terres du monde des dragons. Ce qu'il ne sait pas c'est que celles-ci sont bien différentes les unes des autres : il existe en effet 5 territoires plus une zone de non-droit dévolue à Gnasty Gnorc. Le scénario est simple mais accessible et motivant pour un jeune. Il est clair que l'adolescent ou l'adulte ne retiendra pas ce point comme facteur important. Le titre est un jeu de plates-formes classique. Là où Crash Bandicoot nous propose de suivre un chemin, Spyro the dragon permet de visiter les niveaux avec une liberté absolue, en 360°. Ceux-ci sont accessibles dans les territoires via des portails. La force du jeu est dans la palette de couleurs utilisées : à dominante verte dans le premier territoire (Monde des Artisans) ; ocre dans le second ; blanc, bleu et rose dans le troisième ; marron, gris et vert sombre dans le quatrième ; pastel dans le cinquième. C'est une explosion de couleurs renforcée par un graphisme très dessin-animé. A ce titre, les niveaux Cliff Town, Pics des magiciens ou Haut-château ne m'ont pas laissé indifférent. Le changement de territoire s'effectue en ballons grâce aux aéronautes, à la condition de remplir l'objectif demandé par celui-ci (avoir X œufs de dragons en sa possession ; avoir X joyaux ; etc). Il ne faut donc pas simplement terminer un niveau mais bien récupérer les joyaux et sauver les dragons pour progresser, ce qui ajoute un peu de piment à l'aventure. A noter que dans chaque territoire, un portail un peu spécial est disponible. Il propose une série de défis lors de séances de vol. Pas évidentes pour les plus petits car chronométrées, mais originales.

Comme tout dragon qui se respecte, Spyro peut planer, cracher un jet de flamme ou foncer sur les ennemis avec ses cornes. Son maniement est assez simple et précis et l'on avance dans l'aventure sans rencontrer de crise de nerfs. Le level-design des niveaux fait aussi que l'on ne se retrouve jamais coincé, seuls certains coffres à joyaux (nécessitant une clef ou une super-charge) ou dragons demandent de la réflexion pour les atteindre. Les ennemis, les gnorcs, s'adaptent aux territoires et à l'avancée du jeu : les premiers sont des idiots sachant juste courir, les derniers capables de lancer des grenades. Certains sont munis d'une protection en métal demandant de foncer sur eux, lorsque c'est possible. Cette variété dans l'appréhension des sbires est intéressante car changeante. Spyro n'est pas seul dans sa quête et est accompagné d'une libellule, Etincelle. Quand notre dragon se fait avoir, Etincelle perd un degré de couleur. Au bout de trois coups, elle disparaît et le prochain piège fera perdre une vie au dragon. Pour recharger la libellule il suffit de "cuire" un petit animal (mouton, lapin, grenouille, etc) qui libérera un papillon que mangera l'insecte. Un système bien pensé et indulgent. J'évoquerai aussi la présence de fées qui en offrant un baiser au héros lui conférent momentanément un jet de flamme surpuissant et redoutable. Coté animations, celles-ci sont hilarantes (dans le second territoire, un gnorc montre ses fesses ; dans le cinquième, des petits diablotins ailés nous tirent dessus avec un arc; les voleurs d'oeufs nous narguent; etc) et ne dépareillent pas avec l'ensemble. Le seul bémol vient malheureusement des boss. Avant de les affronter, il faut traverser un niveau, mais une fois en face à face, ils ne sont pas difficiles. Ce ne sont simplement que des « sbires+ ». C'est dommage.

Un des points forts du jeu est sa bande-son. Il faut dire que c'est Stewart Copeland en personne qui compose les morceaux du jeu. Le batteur du très connu groupe Police livre une partition enjouée, colorée et cohérente. Le thème d'introduction est une franche réussite, tout comme le thème des crédits. Le premier territoire possède des pistes calmes, posées, à l'image des dragons peuplant cette terre. Je retiendrai pour celui-ci les morceaux de Trou Obscur et Town Square. Celles du troisième territoire sont plus aériennes mais tout aussi lumineuses (Pics des magiciens!). Chaque piste est ainsi cohérente avec son niveau, lui même cohérent avec son territoire. Coté voix, la version française est réussie et les interventions de certains dragons franchement rigolotes (le vieillard qui appelle Spyro par son nom mais ne se souvient plus de lui 2 secondes après; etc). En fait c'est cela la force du jeu : être optimiste, coloré et joyeux. C'est un plaisir à la fois visuel et auditif. Les enfants y trouvent leur compte, ainsi que les plus grands.

 

Spyro the dragon fait partie de ces jeux pensés pour les jeunes mais sympathiques pour les plus grands. Pourvu d'un univers coloré, joyeux et positif; d'une très bonne maniabilité et d'une bande-son d'une qualité certaine, Spyro remplit son contrat et s'impose comme un jeu de plates-formes incontournable. Les défauts observés seront même corrigés dans une suite, Spyro 2 : Gateway to Glimmer. Il a relativement bien vieilli et reste à faire, aujourd'hui encore. J'espère que ce modeste test vous en aura donné l'envie.


[1] : PlayStation Magazine, N° 15, décembre 1997, pages 47 et 48.

[2] : L'Histoire de la PlayStation