Un très beau jeu

Lorsqu'on veut représenter un être humain le plus fidèlement possible dans un jeu vidéo, ça peut être techniquement bluffant, mais ça finira par vieillir. D'ailleurs c'est ce qui me déplait beaucoup dans Beyond Two Souls qui pousse plus loin cette idée de la fidélité ; avec des acteurs réels, le jeu cherche à rivaliser avec la réalité, et personnellement j'aurais tendance à surtout voir ce qui l'en éloigne encore, préférant de loin la véritable Ellen Page à sa fade copie.

Walking Dead réussit une chose selon moi assez rare dans le jeu vidéo ; on oublie la partie technique, et on voit surtout des personnages et des décors. Globalement le jeu doit plus ou moins tourner grâce à un moteur PS2 ; les textures ne sont pas toujours fines, certains éléments de décors sont grossièrement modélisés, le tout sublimé grâce au cel-shading. Le rendu graphique est par ailleurs difficile à définir. On pourrait dire qu'il s'agit d'un style dessin animé, ce qui est plutôt le cas, mais en même temps les personnages ont quelque chose de réel. Oui, les expressions faciales sont exagérées, les visages tirent vers la caricature, les couleurs sont cartoon ; pourtant tout cela contribue paradoxalement à raconter l'histoire de personnages réalistes très proches de notre quotidien.

Là où la technique d'un L.A. Noire, d'un Heavy Rain ou d'un Beyond Two Souls sont coûteuses, c'est avec un budget bien moindre que Walking Dead parvient à créer des personnages qui m'ont semblé plus vrais et plus palpables. Pourquoi ? Peut-être parce que Walking Dead ne cherche pas à représenter ses personnages ou ses décors le plus fidèlement possible, mais à travailler sur notre perception. Ce n'est pas le nombre de polygones ou la finesse des expressions faciales qui font un personnage. C'est la pertinence d'une expression, dusse-t-elle être un peu appuyée, c'est le bon geste au bon moment, même si la motion-capture n'est pas la plus précise du monde.

Un gameplay intelligent

De la même façon, le gameplay ne cherche pas du tout à nous faire mimer les gestes de la réalité. Là-dessus encore Walking Dead a des choses à apprendre aux jeux vidéo d'aujourd'hui avec leur dix minutes de vide ludique pour nous imposer l'agonie d'un héros qui de toute façon sera en pleine forme la scène suivante. On déplace une sorte de croix qui affiche à chaque bord les actions possibles ; regarder, agir, etc. Ensuite le personnage fait ce qu'il a à faire, jusqu'au moment où on choisira une nouvelle interaction.

Quelques rares phases de QTE. Des combats aussi avec une belle tension ; on déplace la croix d'interaction sur un zombie pour viser, puis on appuie. Certes ça ne mime pas du tout ce qu'on voit à l'écran... mais à sa façon, c'est diablement efficace car le jeu ne cherche pas à nous faire vivre la scène du point de vue du héros, mais à créer une tension chez le joueur (qui par ricochet nous rend solidaire du héros). Bref, ce récit interactif, cet espèce de non-jeu en connaît en fait plus long sur le jeu vidéo que bien des titres gamers actuels.

De la même façon les choix de dialogues sont chronométrés de manière à ce qu'on réponde davantage par instinct. Certains sont plus longs que d'autres, et dans l'ensemble le timing m'a paru souvent pertinent. Sans parler des scènes cornéliennes où l'on doit choisir entre deux personnes à sauver sans avoir le temps nécessaire pour penser comme un joueur, mais en prenant une décision qui, en quelque sorte, vient du coeur et nous implique dans l'histoire.

Une bonne histoire

Et c'est là où Walking Dead m'a déçu personnellement, sur l'histoire

C'est très bien raconté, les personnages sonnent vrais, les dialogues (tout en anglais) sont agréables à suivre. Walking Dead fait partie de ces très rares jeux vidéo qui peuvent être comparés à des romans, des BDs ou des films sans souffrir de la comparaison, ou sans que ce soit ridicule et prétentieux de le faire.

L'histoire impose un rythme au joueur. On écoute beaucoup parler dans Walking Dead, et d'une façon qui personnellement m'a donné l'impression de participer à l'aventure, comme si c'était un jeu de rôle. Mon rôle à moi ? Lee, prisonnier à la peau noire.

Qu'a fait Lee pour aller en prison ? Dealer ? Membre d'un gang de rue ? Violeur ou batteur de femmes ? Je n'avais pas envie de le savoir. Walking Dead est un univers où le passé n'a plus vraiment d'importance, on repart sur de nouvelles bases. Et j'aimais cette idée de m'imprégner d'un personnage au background super léger, que je pouvais m'approprier facilement. Je peux dans cette partie en faire un homme en quête de rédemption, dans une autre un connard avec une sale mentalité.

Seulement le jeu a fini par me trahir. Lee, ce n'est pas mon avatar dans le jeu, mais un énième personnage à part entière que j'annule en faisant les choix à sa place. On finira par apprendre ce qu'il a fait, ce qui va colorer la moralité du personnage. Évidemment, si vous en faites un bon gars alors qu'il était un violeur ça vous fait une sacrée surprise !, ou si au contraire vous en faisiez un connard alors qu'il conduisait bourré à cause de la mort de sa femme et a renversé quelqu'un avant de fuir... tout ce que vous aviez pu imaginer sur lui pour vous l'approprier ne fonctionne plus.