Il y a des jeux qui marquent leur époque. En démocratisant le RPG japonais en Europe, Final Fantasy 7 est devenu, pour d'innombrables joueurs, un jeu qu'on dit "culte, mythique". Personnellement, si les aventures de Cloud (ou Clad) Strife m'ont enchanté car elles ouvraient devant moi un tout nouveau genre, j'ai également vite perdu mes illusions sur les J-RPGs en général à partir de l'épisode 8. Final Fantasy Tactics n'est pas étranger à cette désillusion. J'ai découvert avec lui un jeu qui offrait beaucoup plus de liberté, une vraie personnalisation de nos personnages, un gameplay plus passionnant, et également une direction artistique plus profonde.

À l'époque où j'ai découvert Final Fantasy Tactics, je ne me suis pas intéressé au scénario à cause d'une maîtrise de l'anglais relativement moyenne. Pour autant, même en passant les dialogues, je savais et sentais que le scénario était très solide. Là où dans les J-RPGs, il arrivait souvent qu'on lise des vignettes interminables avec des personnages immobiles, les cinématiques de FFT sont un petit régal de mise en scène. Avec des personnages SD (petits corps et grosses têtes), des bruitages en format MIDI aux sonorités ridicules, on assiste à une suite de complots, de trahisons, de meurtres dans une ambiance shakespearienne et heroic-fantasy où les plus nobles âmes se confrontent aux ambitieux vils et assassins, et où la corruption et la soif du pouvoir peuvent détruire les amitiés. Les bonhommes, des sprites, ont tout un tas de petits gestes qui viennent renforcer une mise en scène minimaliste d'une grande précision. L'un des charmes de FFT tient aussi à ces petits bonhommes, justement, en SD. Le ton est sérieux, et même grave, mais avec un petit aspect ridicule désarmant dû aux choix graphiques, un peu comme lorsqu'on voit un enfant de six ans fait preuve de grande maturité. Comment prendre au sérieux un meurtre lorsque le poignard fait Prou-iiitch ? Et en même temps, comment résister à ces petites scènes si bien fichues, usant ingénieusement des limites qu'elles se sont imposées ?

Graphiquement, c'est un jeu qui m'en impose encore aujourd'hui. FFT mélange des personnages en sprite et des décors en 3D avec une belle harmonie. Le jeu a vieilli, mais pas tant que ça, c'est un vieux beau, à l'instar de ces rares jeux qui ont transcendé la technique, tel Metal Gear Solid, Chrono Cross ou Vagrant Story. Les décors, variés, sont très bien rendus. Ruines, cathédrales, remparts de château, désert, intérieurs, et proposant tous en prime un level-design astucieux qui renouvelle sans cesse le gameplay. La direction artistique, pas originale du tout, s'approprie le Moyen-Âge façon Tolkien que les RPgs occidentaux ne font que photocopier sans effort ni inspiration véritable. Il est dans la droite ligne de Tactics Ogre que je ne connais pas très bien.

Je déplore tout de même, pour les invocations et certaines magies, des effets de lumière et d'explosion trop brouillons qui font mauvais effet. FFT aligne avec une facilité déconcertante une myriade de personnages charismatiques, entre Ramza le héros pur et noble, Delita le roturier dévoré par l'ambition, Algus si soucieux de son rang, et la liste est si longue... Charismatiques d'abord par leur allure, leur petit portrait dans les vignettes de dialogues.

Le plus grand compliment que je puisse faire au gameplay tient à sa rejouabilité. Je possède le jeu depuis 1998, j'y joue encore de temps à autres, je découvre encore des secrets. C'est en quelque sorte un jeu d'échec dans lequel nos personnages sont entièrement customizables du point de vue de l'équipement et des compétences. En combinant les atouts d'un job avec ceux d'un autre job, on obtient des guerriers redoutables ou polyvalents, selon les goûts. Le très grand plus par rapport aux J-RPGs traditionnels est que rien n'est imposé. Vous n'aurez pas de donjon de glace où il faut s'équiper obligatoirement avec une armure de feu, pas de dragon contre lequel seule une épée tueuse de dragon est efficace. Le jeu est beaucoup plus ouvert, on évolue chacun à sa manière.

La première partie peut poser problème, et il est vrai que par la suite, le jeu est grandement facilité par notre expérience. Une fois qu'on a assimilé le principe, qu'on a découvert les différents jobs et les compétences intéressantes, le jeu ne nous résiste plus. Mais le gameplay est alors suffisamment profond et intéressant pour que d'une part on sente l'envie d'essayer de nouvelles choses, et d'autre part on fabrique sa propre difficulté en évitant par exemple de trop leveller, ou encore en se décidant à voler toutes les armes et accessoires spéciaux du jeu (ce qui peut transformer un combat anecdotique en véritable casse-tête).

Final Fantasy Tactics n'est pas parfait. Vers les trois quart du jeu, on obtiendra de nouveaux personnages aux performances spéciales complètement cheatées qui vont beaucoup trop faciliter le jeu. Même sans eux, la dernière ligne droite n'est pas très passionnante au niveau du gameplay. Le Deep Dungeon, la plus grosse quête secondaire, est assez fastidieuse. Elle permet de mettre la main sur les meilleurs équipements du jeu, mais vu que la fin ne pose pas de difficultés, cet équipement, comme dans de nombreux J-RPGs, nous rend trop puissant pour rien.

Mais durant les trois quarts du jeu, se casser la tête pour se sortir d'un combat retors, essayer de nouvelles compétences pour parer à un nouveau type de combattant ou de sorcier, chercher à réanimer ses personnages tombés au combat avant qu'ils ne disparaissent totalement, séduire l'ennemi pour qu'il se retourne contre les siens, pester parce qu'après des heures sans sauvegarder, un homme-poulpe a rendu confus votre meilleur combattant qui se met à vous tailler en pièces, faire des mélanges rigolos de compétences pour jouir des atouts du chevalier qui détruit les équipements, mais en l'utilisant avec un archer pour affaiblir à distance... Le. Pied.