"Comment apprendre à marcher ? Comment connaître un monde, l'aimer jusqu'à accepter de détruire ses amis pour le sauver ? Comment apprendre que le sacrifice est la chose la plus noble au monde ?"

 

Le rituel n'a pas changé : enfoncer la cartouche, allumer la télé et la console et puis tout commence.

D'abord, il y a ce chuchotis de l'écran de lancement. Un son étrange, doux, appaisant et inquiétant en même temps. Le bruit que ferait de l'eau si elle faisait un autre son, si elle venait d'un d'autre monde. Pour moi, ce bruit veut tout dire, résume le jeu comme il le contient. Un peu à la manière de cet objet focal dont parle Barthes, tout commence et tout s'arrête ici, avec ce son. Autant se faire violence et aller un peu plus loin.

Secret of Mana, c'est l'histoire d'un jeune homme dont le nom importe peu. D'une naïveté peu commune, le voici qui ramasse une épée plantée dans un rocher. Il fallait bien cela, pour défendre ses amis des lapins monstrueux qui les assaillent. Et à peine de retour au village, le voici aux prises avec un monstre des plus inquiétants.

L'épée, c'était l'épée Mana, légéndaire, qui empêchait justement le mal de se répandre dans le monde. Maintenant, il faut assumer, devenir chevalier et le sauver, ce monde. Je dois vous avouer qu'au début, ce scénario un peu faiblard m'a fait sourire. Et puis j'ai continué de jouer, pour finalement ne pas pouvoir décrocher de la manette, alors même que je ne l'ai plus en main.

Des reflets bleutés du palais de l'eau aux chauves-souris agaçante de la montagne des nains, des montagnes où se cachent le philosophe aux dunes de sable du Sand Steamer, les paysages que ce jeu dévoilent sont tous plus grandiose les uns que les autres, jusqu'à cette apogée fantastique qu'est l'Arbre Mana, tout de blanc et de pureté. Rarement fresque 2d m'avait ému à ce point.

Et puis vient l'heure des choix. D'affronter les robots que l'Empire utilise contre nous. D'aider le chevalier qui nous rescucitait tout à l'heure. De prendre le temps de comprendre le coeur des hommes, des femmes, des elfes ou, dans ce passage incroyable dans la forêt des saisons, de la nature. Tout le jeu dégage une atmosphère onirique, propre et personnelle, et toujours ce son obsédant du lancement qui résonne. Survoler le monde à dos de dragon est une expérience incroyable, malgré les pixels. Encore aujourd'hui, je frémis à l'idée que, d'un seul claquement de tambourin, Flammy va arriver et transporter mes héros à la poursuite du fort Mana.

Car le voilà, ce choix qui n'en ai pas vraiment un, cette quête insensée pour sauver ce monde, va nous conduire à la fin la plus belle et la plus triste que j'ai pu voir dans un jeu vidéo. Après combat sur combat, après avoir défait boss sur boss, nous voici finalement devant le démon Mana, l'erreur pour laquelle la tribu Mana doit payer, pour laquelle le joueur et le héros doivent payer. Voici donc le vieil ami transformer en bête magnifique et hideuse et c'est notre propre monture qu'il faut abattre de nos propres mains.

Le combat, terminé, laisse un arrière goût amer dans la bouche. La coupe, cependant, doit être bue jusqu'à la lie. Et la disparition de l'elfe, compagnon de nos mésaventures, parti rejoindre les siens dans l'autre monde, à des odeurs de cendre.

 

Secret of Mana nous amène de contrée en contrée, de pays en pays, de bonheur en malheur. Fable écologique que l'on dirait sorti de l'esprit de Miyazaki, c'est aussi un contre tragique, montrant que sauver le monde va au-delà de l'individu. Un pur joyau, merveilleux et splendide, d'une puissance évocatrice et ludique qui ne se dément toujours pas aujourd'hui.