Le BTA (pour Beat Them All) est un
genre qui remonte aux années 80 et qui a connu ses premières lettres de
noblesse avec l'ancêtre Double Dragon, sorti en arcade en 1987. Faisant
l'objet d'assez peu d'évolutions au niveau du gameplay durant toute la grande
époque de la  2D, il est néanmoins revenu
régulièrement sur le devant de la scène avec notamment les mémorables Streets
of Rage
, Golden Axe, ou encore les Teenage Mutant Ninja Turtles.

L'ère de la 3D a apporté son lot de changements. Empruntant des éléments à
plusieurs genres (notamment jeux de rôles, run and gun et plateformes), le BTA
des années 2000 s'est profondément renouvelé mais son principe fondamental
reste inchangé: un joueur - parfois plus si le jeu coopératif est prévu -
contre des hordes d'ennemis, et que le meilleur gagne. Graphiquement, si le BTA
2D n'est pas mort, comme le souligne avec brio le récent Muramasa, il
est devenu l'exception, la 3D s'étant de facto imposée comme le nouveau
standard.

Hideki Kamiya a apporté une contribution non négligeable à ce genre. A
l'origine de Devil May Cry, premier volet d'une série devenue l'étalon à
l'aune duquel tous les BTA 3D sortis depuis ont été comparés, il a également
dirigé la réalisation de Viewtiful Joe ou encore God Hand qui ont
également joui d'un succès non négligeable auprès des aficionados du genre.
Ayant rejoint un nouveau studio, Platinum Games, il nous livre aujourd'hui son
nouveau projet: Bayonetta.

 

Des gentils, mais aussi des méchants: un scénario en carton-pâte

Passons rapidement sur le scénario. On pourrait arguer que la trame
scénaristique a rarement été l'élément moteur des BTA, et Bayonetta ne fait pas exception à la règle: de l'aveu de Kamiya
lui-même, l'intrigue n'existe que pour servir d'excuse au gameplay. Le joueur
incarne évidemment Bayonetta, sorcière amnésique à la recherche d'un artefact
mystérieux. Stupéfaction, d'autres semblent également sur la piste et une horde
d'anges - les ennemis historiques des sorcières, dont elle est la dernière
représentante - se mettent en travers de son chemin. Si l'on peut reconnaître à
l'intrigue de faire l'effort d'introduire mystères et coups de théâtre, force
est de constater à la fin que ça ne tenait pas vraiment debout.

 

Un hymne au WTF

Cela dit, ne pas tenir debout, c'est un peu la marque de fabrique de Bayonetta. En effet, l'univers du jeu et
tout le design sont comme sortis d'un délire opiacé, avec une volonté évidente
de ne se laisser arrêter par aucune barrière. Ainsi, Bayonetta jouit d'une
silhouette sculpturale (et anatomiquement improbable, comme en témoigne sa
démarche tellement chaloupée qu'on est en droit de se demander si sa colonne
vertébrale ne s'arrêterait pas un peu au-dessus de ses reins), porte des
lunettes renvoyant au fétiche de la secrétaire, et se présente au joueur dans
une combinaison intégrale à l'aspect cuir - sauf qu'en fait, cette combinaison
est tissée de ses cheveux. Oui, ses cheveux magiques avec lesquels elle attaque
occasionnellement les ennemis, se dévoilant presque nue (mais pas tout à fait)
aux yeux ébahis du joueur. Qui plus est, ce cauchemar ambulant de Jean-Louis
David adopte des postures plus provocantes les unes que les autres tout en
exécutant les anges à l'aide d'armes variées, dont certaines qu'elle portera
volontiers aux pieds: épée, fouet, griffes, armes à feu, instruments de torture
médiévaux et j'en passe.

Oui, Bayonetta tire avec ses pieds. Remettez-vous, ce n'est qu'un aperçu de
ce que les designers ont imaginé; tout dans le jeu, du design des personnages
au gameplay au scénario, en passant par les cutscenes, les dialogues ou la
musique - une sorte de J-pop jazzy incongrue mais hypnotisante - est du même
acabit. J'ai littéralement passé l'essentiel des deux premiers niveaux la
mâchoire au sol (et pourtant, j'avais joué à la démo) devant tant de n'importe
quoi.

Mauvais goût? On peut légitimement se poser la question au vu de la
sensualité exacerbée de l'héroïne et de la violence extrême des combats (qui
valent au jeu une judicieuse classification PEGI 18+). Cependant, les
débordements du jeu sont tellement constants que l'on n'est plus dans le
registre du fan-service un peu gratuit et bateau - qu'on trouve par exemple
chez Ninja Gaiden Sigma 2 avec ses ninjettes légèrement vêtues - mais face à un
univers complètement décalé et entièrement assumé qui finit par être cohérent,
conférant au jeu une personnalité propre indéniable. C'est là un véritable tour
de force de l'équipe de design, même s'il s'en trouvera certainement qui
n'accrocheront pas.

 

Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse

Ce serait dommage, pourtant, de s'arrêter à ça. Car la véritable force du
jeu réside dans son gameplay aux oignons, concocté avec amour par Kamiya.

Bayonetta bénéficie d'une palette de coups incroyablement étendue, avec plus
d'une cinquantaine combos disponibles. Si les commandes restent les mêmes d'une
arme à l'autre, leurs propriétés diffèrent et le joueur devra expérimenter pour
trouver celles qui lui conviennent le mieux. Il n'est en revanche (et bien
heureusement) pas nécessaire d'apprendre par cœur tous les combos. Certains
sont plus rapides, d'autres plus puissants et d'autres encore adaptés à telle
ou telle situation, mais il n'y a pas d'ennemis dans le jeu qui nécessitent un
combo particulier pour être vaincu. En somme, le joueur peut se constituer progressivement
sa petite liste de combos préférés et pourra faire face à tout ce que le jeu
aura à lui opposer. Beaucoup plus dynamique qu'un God of War, le jeu n'a que très occasionnellement recours aux QTE
et son système de checkpoints bien ficelé évitera sans doute à bien des joueurs
d'incruster leur manette dans leur écran à cause d'un QTE un peu tatillon sur
le timing.

L'autre innovation de Bayonetta,
c'est évidemment le Witch Time. En réalisant une esquive au dernier moment,
Bayonetta ralentit le temps pour quelques secondes, ce qui lui permet
d'enchaîner ses ennemis impitoyablement.

Le jeu - un peu comme Devil
May Cry
en son temps, d'ailleurs - s'adresse sans ambiguïté à un public
plutôt orienté hardcore. S'il fait un effort louable pour ne pas exclure les
moins acharnés avec un mode Automatique réduisant le jeu à un long et monotone
exercice de button-mashing, le cœur de la belle ne se révèle qu'à ceux qui sont
prêts à faire leur preuves. Bayonetta n'est pas un jeu facile. Malgré le Witch
Time qui permet au joueur de reprendre son souffle un instant (possibilité qui
disparaît d'ailleurs dans le mode de difficulté le plus élevé), les combats
sont généralement pour le moins chaotiques. Que ce soit à cause du nombre
d'ennemis ou de leur rapidité, il est clair qu'un temps d'adaptation sera
nécessaire pour décrypter le capharnaüm affiché à l'écran. Pourtant, on finit
par s'y retrouver. Les attaques des anges sont notamment précédées soit
d'animations soit de signaux sonores permettant de les anticiper, et passée la
première heure de jeu on prend un véritable plaisir à dérouiller de l'ange par
paquets de 12. Ils frappent, bondissent et chargent une héroïne légère comme le
vent qui esquive les coups en virevoltant de-ci de-là et contre-attaque avec
violence, transformant ce que l'on prenait au début pour une mêlée désordonnée
en une chorégraphie soigneusement exécutée et diablement jouissive.

 

Un jeu à faire... et à refaire

Finir le jeu prendra une douzaine d'heures au joueur lambda,
mais ce serait du gâchis de le mettre au placard aussi tôt. En effet, Platinum
Games a inclus quantité de contenu à débloquer, et les joueurs les plus
compulsifs ne pourront s'empêcher de tout faire. Des armes, des accessoires,
des personnages, des modes de difficulté, un niveau façon Bloody Palace de DMC,
un boss caché - il y largement de quoi rajouter une vingtaine d'heures de jeu
au strict minimum. Il est bien évidemment possible de revenir à chaque niveau à
la volée en choisissant son niveau de difficulté sans recommencer tout le jeu,
afin d'aller explorer les secrets qu'on aurait pu rater lors du premier
passage, ou simplement améliorer son score.

Là où l'équipe de développement a encore fait preuve de
finesse, c'est qu'il y a pléthore d'astuces pour se simplifier la vie. En
effet, en utilisant des combinaisons finement choisies d'accessoires et
d'objets consommables, on peut réduire à néant quasiment tous les challenges
additionnels. A chaque joueur de décider ensuite s'il préfère compléter le jeu
à la loyale, ou ruser pour débloquer le contenu additionnel sans se prendre la
tête.

 

Un portage PS3 à refaire
aussi

Les possesseurs de Xbox 360 peuvent sauter cette partie.
Pour nous autres, j'ai une mauvaise nouvelle : le portage sur PS3 est de
bien piètre qualité, ce qui a failli coûter sa 5e étoile à Bayonetta dans ce test. On est frappé
d'emblée par l'absence d'installation (qui existe pourtant sur la version 360)
qui entraîne des temps de chargements incessants et rapidement insupportables.
Et vas-y que ça charge avant chaque niveau, avant chaque cinématique, avant de ramasser
chaque objet, avant d'entrer dans le menu, avant de se mettre en pause... Au
crédit de Platinum Games (et non de Sega, coupable de ce portage) l'écran de
chargement est une merveille, puisque au lieu d'une image fixe on est gratifiés
d'une sorte de practice mode permettant de s'entraîner à enchaîner les coups.
Ca permet au moins de décharger sa frustration de façon productive.

Au-delà de cela, la version PS3 souffre de certains
ralentissements, qui s'ils ne sont pas handicapants peuvent gêner (d'après les
tests, le jeu tourne en moyenne aux alentours de 29 fps, mais chute parfois
jusqu'à 20 fps et très exceptionnellement en dessous). Ces derniers n'ont pas
nui à mon expérience, mais d'autres pourront être plus exigeants.

Mise à jour du 28/01/10: Bonne nouvelle pour les heureux possesseurs du monolithe noir: le jeu a bénéficié d'un patch pour proposer enfin une option d'installation. Les temps de chargement sont donc revenus à un niveau acceptable.

 

Let's dance, boys!

Malgré tous les reproches qu'on peut faire à la version PS3,
le jeu ne reste rien de moins qu'un bijou. Le fait qu'il prodigue une expérience
aussi grisante en dépit de ses
défauts techniques témoigne de sa qualité intrinsèque et justifie pleinement qu'on
y revienne encore et encore pour débloquer encore une arme, un accessoire, un
niveau. Pour peu qu'on ne soit pas totalement réfractaire à son univers, Bayonetta est tout simplement un incontournable
du genre.