Le vétéran de Vitality est le français Cabochard. @LoL Esports

Une finale décevante pour achever des Worlds surprenants

Gameblog : Quelles sont vos impressions sur ces Worlds hors du commun ?

YamatoCannon : C'était fou ! L'Ouest a montré un niveau impressionnant, même si la faiblesse des coréens les ont aidés. Ils ont montré que le trophée était à portée de main. On a aussi vu que c'était important d'adopter son propre style de jeu. C'est ce qu'avait laissé entrevoir Invictus Gaming en entraînement ; ils étaient incroyablement bons et ils ont su montrer ça sur scène aussi. Côté divertissement, ça a été une très bonne année.

Pour la finale, elle était décevante car tout le monde avait plus d'attentes pour Fnatic et moins pour Invictus Gaming qui ont, je pense, joué le match de leur vie. Pour eux, ça marque le début de quelque chose de génial car vu leurs performances en LPL, je pense qu'ils pourront gagner plusieurs titres en 2019.

Vous pensez qu'ils se sont améliorés entre vos entraînements et la grande finale ?

Je pense plutôt qu'lis sont passés un peu inaperçus. Pourtant, même contre KT Rolster, on a vu des changements drastiques car ils ont prouvé qu'ils pouvaient jouer plusieurs styles : le splitpush, le focus sur la midlane... je pense que tout le monde a constaté leur progression, mais que les gens étaient focalisés sur le fait qu'ils battent KT Rolster, ce qui est normal quelque part, car ils faisaient partie des favoris dans le tournoi.

Quand on s'est entraînés contre eux, ils étaient des dieux en termes de mécaniques, mais le jeu d'équipe leur faisait défaut. Ils remportaient leur lane mais au-delà de ça, c'était très désordonné. Aujourd'hui, on a vu un style de jeu très méthodique mélangé au très bon niveau individuel des joueurs, et c'était le plus proche de la perfection qu'on ait pu voir dans ces Worlds.

D'un autre côté, qu'est-ce qui a manqué à Fnatic en finale ?

J'ai trouvé les drafts de Fnatic atroces dans les deux premières parties. Ils ont laissé Alistar et n'ont pas joué sur le champion pool de Rekkles (ses champions maîtrisés, ndlr) : Jhin était un mauvais choix, surtout dans une composition complètement AD. Je pense qu'Irelia mid ne pouvait pas fonctionner non plus. Je pense qu'en fait, ils étaient surpris de se voir offrir sur un plateau Urgot et Irelia et qu'ils n'ont pas réfléchi. Urgot est très fort, mais TheShy (toplaner d'Invictus Gaming, ndlr) a montré qu'il était assez bon pour le contrer. Ensuite, à la troisième partie, je pense que les joueurs Fnatic étaient perdus.

Globalement, ils avaient moins d'outils en draft et toutes les forces que l'on voyait en eux, soudainement, se sont retrouvées chez Invictus Gaming. En y ajoutant les forces déjà connues d'eux, ça faisait juste beaucoup trop de choses en leur faveur. Avant les matchs, sur l'analyst desk, on regardait en faveur de qui allait être la lane, et plusieurs allaient dans le sens de Fnatic. Mais finalement, c'est Invictus Gaming qui a pris l'avantage sur chaque poste.

Est-ce que vous croyiez à un éventuel reverse sweep à la troisième game ?

Ça n'est jamais arrivé dans l'histoire de League of Legends, sur une finale mondiale. En général, les reverse sweeps que l'on voit sont à un niveau plus bas. J'ai trouvé que la troisième game avait bien commencé pour Fnatic, ils avaient leur kill en toplane, une bonne composition... mais Invictus Gaming a continué à mettre la pression. Ils n'ont jamais perdu de vue ce qu'ils devaient faire pour gagner, et c'était le plus impressionnant : bonne concentration, meilleures drafts, meilleurs sur chaque point. Ils méritent amplement leur victoire et ils ont montré un plan de jeu presque parfait, avec un TheShy parfois trop agressif mais je pense qu'à ce niveau-là, c'était juste du fun pour lui.

Tous les regards étaient sur RNG alors qu'Invictus Gaming avait failli les battre en playoffs des deux Splits. Pensez-vous qu'ils étaient sous-estimés ?

C'est étrange, car il y avait cette idée que Jackeylove, Baolan et Ning avaient des performances irrégulières, mais pourtant, ils étaient des dieux en entraînement. Avec Vitality, nous avons pu voir cela et j'ai trouvé TheShy et Rookie très bons. Il y a toujours eu ce mirage autour de TheShy et il a prouvé qu'il méritait les éloges qu'on lui faisait.

Concernant la pression, Invictus Gaming avait ses démons à combattre en tant qu'équipe et ils l'ont bien appris pour cette finale. À mon avis, en 2019, leur objectif sera de battre RNG et je pense qu'aujourd'hui, ils ont les outils pour y arriver, contrairement aux playoffs des Spring et Summer Split de la LPL. La Chine sera une région géniale à regarder.

Qu'est-ce que vous imaginez pour les prochains Worlds ?

Je pense que la Corée du Sud a deux équipes qui peuvent le faire, qui étaient très fortes en LCK mais qui ont été décevantes dans les qualifications pour les mondiaux. On a cette nouvelle ère d'équipes League of Legends qui arrive, des monstres qui ont l'envie de vaincre. Je pense que beaucoup d'équipes comme KT Rolster et Gen.G ont atteint leur maximum et quand ça arrive, c'est important de comprendre qu'il faut passer à autre chose. Si on imagine Gen.G et KT baisser mais d'un autre côté une reconstruction de Griffin et SKT T1, on va avoir une dynamique complètement différente... et il ne faudra pas les sous-estimer à l'international.

Sinon, concernant mes objectifs, je veux vaincre Fnatic en LCS EU. Et aux Worlds, je souhaite évidemment emmener mon équipe le plus loin possible dans le tournoi et offrir du beau jeu aux fans français. Mais mon focus numéro 1 reste le titre régional de la ligue européenne. Je suis certain qu'avec notre style, composition d'équipe et le staff que l'on va construire, tout sera possible !

Vous avez été analyste pour la finale, qu'est-ce que ça fait de venir aux Worlds autrement qu'en tant que coach ?

C'est moins stressant ! J'ai eu une semaine pour me détendre et je suis venu sans me prendre la tête. D'habitude, après une saison, je suis juste malade pendant 2 semaines car on enchaîne beaucoup d'heures de travail, 14 heures ou plus. Mais j'ai pu venir ici sans stresser car je travaille avec des personnes qui sont tellement douées qu'elles rendent ma mission facile.

Aimeriez-vous prendre le rôle d'analyste plus souvent ?

Bien sûr ! A certaines étapes de ma carrière, j'ai considéré le fait de devenir caster ou analyste, mais maintenant que je suis coach, je ne veux plus quitter ça. Mais ne partie de moi aime être sur l'analyst desk et je suis très heureux d'être capable de faire un peu des deux. C'est aussi un défi pour moi et c'est ce qui me fait avancer.

Le parcours de Vitality

YamatoCannon est allé à la finale des mondiaux en tant qu'analyste. @LoL Esports

Vous parlez beaucoup des jeunes talents et votre équipe en est essentiellement composée ; est-ce que c'est vous qui avez décidé de choisir ces joueurs ?

J'avais un contrôle total. Cabochard avait vu jouer les nouveaux lors de la finale de la ligue espagnole et ce n'était pas si bon que ça ; Nicolas Maurer et Neo, les fondateurs, étaient aussi sceptiques. Mais ils m'ont fait totalement confiance et à mon tour, j'ai donné ma confiance aux joueurs. Je ne le regrette absolument pas.

J'adore travailler avec des joueurs qui n'ont pas encore atteint le maximum de leur potentiel : pour moi, c'est l'essentiel du travail d'un coach. Pour ce qui est des LCS EU, tout le monde ne parle que de Caps et Rekkles, mais même s'ils sont très bons, je suis certain que Jiizuke et Attila les dépasseront la saison prochaine. 2019 sera l'année de Vitality.

C'était quand même une prise de risque.

C'est vrai, mais pour moi, c'est encore plus risqué de faire confiance à des vétérans. Si je travaille avec des joueurs pendant 3 ans on va dire, et qu'ils n'ont rien apporté de spécial dans leur performance, pas d'étincelles, c'est encore pire car les attentes mises en place sont des attentes qu'ils ne dépasseront jamais.

J'ai l'opportunité de prendre des joueurs qui ont le potentiel pour devenir les meilleurs et c'est ça qui me motive. J'ai vu du talent et de la confiance dans ces joueurs. Ils ont une histoire très inspirante, sur comment chacun est arrivé là où ils étaient chez Giants. Pour moi, ça a plus d'importance que, sur le papier, la place d'un joueur en LCS.

Après, je pense que c'est important d'avoir et des rookies, et des vétérans dans une équipe. Après, techniquement, les anciens Giants ne seront plus des rookies l'année prochaine, mais ce n'est pas pour ça que je les remplacerai... pour moi, un rookie est un joueur qui n'a pas encore atteint le maximum de son potentiel. Cabochard est un vétéran mais en ce sens, c'est encore un rookie : il est très prometteur et il peut encore s'améliorer. Il est mature dans le jeu, mais aussi en-dehors, et il a beaucoup développé ses compétences de leader. Tant que je vois une évolution, je suis bien là où je suis.

Quand je vois que les choses ont atteint leur maximum, ça ne m'intéresse plus ; c'est pour ça que je suis parti de Splyce l'année dernière. Les changements de joueurs qu'il y a eu ensuite parle d'eux-mêmes. C'est aussi important d'expérimenter de nouvelles choses ; qui sait ? Si Splyce naissait aujourd'hui, on aurait peut-être mieux fait. Mais c'est important d'être réaliste et de passer à autre chose. D'ailleurs, quand on voit Splyce, le fait de prendre des vétérans ne les a pas aidés. Je pense que parier uniquement sur les résultats de joueurs expérimentés n'est pas une bonne façon d'atteindre la première place. Pour ça, il faut prendre des risques.

Les Worlds vous ont-ils apporté une expérience avantageuse pour la prochaine saison ?

C'était la seconde fois que nous faisions un bootcamp en Corée du Sud. Nous avions beaucoup appris la première fois et encore plus la seconde fois. Je suis très ambitieux en pensant à la saison prochaine justement car j'ai vu une belle évolution de mon équipe pendant cette expérience. Encore une fois, j'ai le sentiment que l'on n'a pas encore atteint notre maximum et je suis sûr que nous pourrons aller plus loin !

Cabochard disait que votre préparation avait beaucoup aidé pour supporter la pression aux Worlds (dans cette interview), quelle genre de préparation est-ce ?

Je les fais beaucoup travailler sur la concentration. Il faut qu'ils puissent se focaliser sur une chose peu importe ce qu'il se passe autour ; si on leur crie dans le casque ou autre. C'est une compétence qui s'améliore avec l'entraînement et j'y accorde beaucoup d'importance, car un joueur qui arrive dans un match dans le mauvais état d'esprit, peu importe ses forces et son entraînement, il ne sera pas à son niveau. C'est un aspect qui n'est pas assez pris au sérieux dans beaucoup d'équipes, mais ce n'est pas mon cas donc je mets en place des exercices pour améliorer ça.

Cela semble avoir porté ses fruits aux Worlds.

Oui et d'ailleurs, quand je vois Invictus Gaming aujourd'hui, leurs visages ne laissaient rien transparaître. Mais au moment-même où la dernière partie s'est terminée, ils ont explosé d'émotion : c'était exactement la même chose pour nous, dans notre match contre Cloud 9. nous étions très froids jusqu'à ce que le match se termine vraiment, mais ensuite, nous avons montré notre déception. C'était toute cette émotion contenue depuis la journée, depuis la semaine, qui est juste sortie après ce match.

Cela fait partie de la compétition ; nous sommes humains et les émotions doivent être vécues, c'est une part de nous-mêmes. Ce qui est important, c'est comment les maîtriser en jeu. Je dis à mes joueurs qu'en jeu, il n'y a pas de place pour les émotions mais après une dure défaite, on a le droit d'être déçus car c'est juste naturel. Les cicatrices sont un rappel des leçons que nous apprennent les défaites.

On parle beaucoup de la pression des joueurs en match, mais moins de celle des coachs. Comment gérez-vous cela ?

C'est très dur. Mon rôle est d'être un exemple : je dis aux joueurs qu'ils doivent se concentrer sur ce qu'il se passe maintenant et je me concentre sur l'après. Il n'y a jamais vraiment de moment où je peux me détendre, même dans la dernière partie. Je dois penser à ce qu'il se passe après car s'ils commencent à se dire : je dois penser à la draft, à la partie suivante... ça va impacter leur performance. Je dois obtenir la confiance des joueurs et il est très important que je ne montre aucune émotion.

Parfois, je suis aussi triste ou en colère mais je dois faire en sorte que ces émotions ne transparaissent pas car je dois être prêt pour eux dans ces moments, quand eux sont en colère ou tristes : je dois leur remonter le moral et être l'épaule sur laquelle ils peuvent se reposer. Ils doivent aussi pouvoir se faire confiance entre eux et c'est aussi mon travail d'assurer cela. Pour résumer, c'est très stressant... énormément, même Surtout en cas d'égalité ou de dernière chance : tu dois avoir la foi. Mais j'adore mon travail et je ne le changerais pour rien au monde.

Merci à YamatoCannon de nous avoir accordés du temps ! Vous pouvez suivre son actualité à cette adresse, et celle de Vitality ici.