u-delà du fait que je sois un traître et un hérétique ayant lâchement retourné sa veste, permets-moi, cher lecteur, de préciser un peu ma pensée. Avant tout, je n'attends pas exactement la même chose d'un jeu vidéo que d'un film ou d'un livre, et sais trop bien qu'essayer de les classifier n'est pas raisonnable. Je pense même que les jeux vidéo ont un potentiel qui va certainement au-delà de ma propre imagination, et, à ce titre, ne doivent absolument pas être classés trivialement dans la catégorie des nuisibles du divertissement (ou de l'art, si vous préférez, qu'importe du moment que vous ayez l'ivresse).

n revanche, j'attends d'un phénomène qui se revendique comme culturel et qui devient si prédominent dans notre vie quelque chose que bien trop peu de jeux parviennent à faire, là où moult films, livres ou pièces de théâtre excellent parfois : éveiller ma conscience, ouvrir mon esprit, étendre mes connaissances, et ce, tout en me divertissant s'ils le souhaitent. À l'heure actuelle, et cela se retrouve jusque dans sa dénomination, le jeu vidéo se concentre sur un aspect : le plaisir de jouer, et la satisfaction du besoin de réussite qui en découle. Non pas que tous les jeux y parviennent de la même façon (ou tout court), mais j'affirme sans trop me mouiller que c'est peu ou prou l'objectif de 95% des développeurs de jeu vidéo, ou en tout cas de leurs éditeurs.

on, "jouer" n'est pas un gros mot, et chercher à divertir son audience est d'ailleurs fort louable (et suffisamment difficile pour être salué en cas de réussite). De même, jouer peut être un challenge intellectuel, et je ne sous-entends pas qu'il s'agit d'une activité vaine, bien au contraire. Les jeux vidéo en particulier ont intrinsèquement des capacités impressionnantes pour favoriser un développement cognitif, des capacités probablement supérieures à tout ce que nous avons connu jusqu'à présent.

on problème, ma peur même, est que le "langage" du jeu vidéo ne se focalise que trop sur l'aspect divertissement, là où il a le pouvoir (et le devoir !) d'aller parfois au-delà. Pourquoi donc le cinéma peut-il nous gratifier d'un Star Wars ou d'un Seigneur des Anneaux, tout en restant capable de nous délivrer des Schindler, des There Will Be Blood, des Good Night and Good Luck et j'en passe ? Pourquoi la télé est à la fois capable de sortir des Six Feet Under ou des West Wing aux côtés de vulgaires Survivors ? Pourquoi donc, alors, les jeux vidéo sont-ils si avares de prises de position, de points de vue, pourquoi se cantonnent-ils quasi exclusivement à la complaisance et une quasi négation idéologique organisée, là où leur pouvoir si captivant pourrait en faire, en plus d'un divertissement jouissif, une véritable forme d'expression ?

l arrive qu'on ait droit à des choses sortant de l'ordinaire, néanmoins leur nombre et même leurs qualités sont bien loin de ce que d'autres formes de divertissement parviennent à atteindre au travers de leur expression, et la plupart du temps, pour rassasier notre soif de sens, on se retrouve à devoir s'extasier devant des analyses poussées de métaphores pourtant bien simplistes. Les trouver vraiment revendicatives et frappantes serait, à titre de comparaison, comme voir un acte politique dans l'explosion de la Maison Blanche d'Independance Day.

e ne dis pas que jouer abrutit. Je ne demande pas à ce que tous les jeux deviennent intellos ou idéologiques, mais simplement qu'on en voie un peu plus que les quelques-uns que je compte sur les doigts d'une main, et qui, jusqu'ici, restent bien fades en comparaison des brûlots dont le cinéma ou la littérature nous ont gratifiés.

rès sincèrement, je n'ai pas la réponse au pourquoi le jeu vidéo a tant de mal à trouver ses propres "cojones". Oh oui, j'imagine que le roi dollar et son allié le con-sommateur ne poussent pas les investisseurs à prendre le risque de polariser leurs clients, que l'absence de "réalisateur" conscient et militant est difficile à combler (Kojima, Lanning, et les quelques autres merci !), et qu'au fond ce que nos portefeuilles recherchent le plus s'en tient à ces quelques heures d'ivresse, quel que soit le flacon.

t pourtant, je m'inquiète et je ne peux m'empêcher de me remémorer les paroles d'Edward R. Murrow, dont l'histoire a été superbement mise en scène dans le film Good Night and Good Luck. Journaliste de CBS dans les années 50, il a joué un rôle essentiel dans le réveil citoyen de la nation américaine en étant le seul journaliste à s'attaquer au sénateur Mc Carty et à sa chasse aux sorcières communistes. Quelques mois après cette victoire symbolique (et son licenciement de CBS), il avait déclaré à propos de cette nouveauté qu'était alors la télévision :

Au moins de temps en temps, élevons l'importance des idées et de l'information. Allons même jusqu'à rêver que, un dimanche soir, à une heure normalement occupée par Ted Sullivan, l'on utilise ce temps pour étudier en profondeur l'état du système éducatif américain.

Et qu'une semaine ou deux plus tard, à la place d'une régulière émission de divertissement, l'on s'attarde à analyser méticuleusement la politique américaine au Proche Orient. (...)

A ceux qui disent "les gens ne regarderont pas, ils ne s'y intéresseront pas, ils sont trop complaisants, indifférents et isolés," je peux simplement rétorquer, "qu'il y a, de l'avis d'un journaliste, des preuves considérables envers cette affirmation". Et même s'ils ont raison, qu'ont-ils à perdre ? Car s'ils ont raison et que cet instrument est seulement bon pour divertir, amuser et isoler, alors c'est le signe que nous vacillons et nous découvrirons vite que la lutte est entièrement perdue.

Cet instrument peut enseigner. Il peut illuminer et oui, il peut même inspirer. Mais il peut uniquement le faire si les hommes sont déterminés à l'utiliser à ces fins. Autrement, il n'est rien d'autre que des câbles et de la lumière dans une boîte.

Bonne nuit, et bonne chance.