© Illustration Daniel Danger

Pour tous ceux qui les ont fréquentées, les villes de Raccoon City, Silent Hill, City 17, Rapture, Liberty, Vice ou Empire City, San Andreas, Dunwall ou Columbia existent vraiment. Qu'elles fussent virtuelles et rêvées, totalement fictives ou modélisées d'après de vraies villes, reste un détail "technique". Car, virtuel ou réel, le cerveau s'imprègne à l'identique de la topographie des lieux, des distances horizontales ou verticales parcourues, des habitants lambda, zombies ou gangsters croisés.

Dans le jeu vidéo comme dans la vraie vie, la ville a donc imposé son architecture de béton et de briques et son mode de vie surchauffé. Le champêtre royaume champignon est désormais cerné, la ville balnéaire de l'île Delfino balayée par les tsunamis urbains successifs. La mégalopole - ses avenues, ses gratte-ciels, sa circulation et sa population - est devenue le terrain privilégié du jeu vidéo contemporain. Avant de se jeter corps et âme dans les rues et sur les toits du Seattle de l'imminent InFamous : Second Son, avant de s'abandonner à cette nouvelle ivresse urbaine, il peut être judicieux, pour l'étude ou le souvenir, d'évoquer quelques unes des cités qui ont marqué le jeu vidéo.


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Note aux lecteurs et nouveaux gardiens (respect) de la culture du jeu vidéo
Cet article n'a pas vocation à l'exhaustivité ni à être totalement chronologique.
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Entre les murs, premiers pas, premières traversées

Au début les villes n'étaient que façades d'immeubles et toiles de fond de jeux vidéo qui se voulaient un peu plus sérieux ou réalistes que les autres. Chacun cherchera les repères de son trajet et ses repères dans l'histoire aplatie du jeu vidéo : les bouillonnants Streets of Rage, les premiers Spider-Man et Batman à scrolling horizontal sans doute, les niveaux très urbanisés de Windy City de Kid Chameleon, sûrement. Très vite, le décor urbain d'arrière plan et sans vie a commencé à s'écarter pour laisser la place à... la route. Sur 3DO, l'éphémère mais première console avec CD-Rom (NDLR : si on omet l'hybride CD-i de Philips), le fond d'écran devient alors une scène en perspective pour les voitures de Need for Speed ou les motos de Road Rash que les sorties de route ont conduit avec bravache hors des circuits autorisés. Le photo réalisme rendu possible grâce au support CD-Rom fait surgir sur les bas côtés des routes des sortes de villes fantômes traversées rapidement et sans s'arrêter par les bolides émancipés de l'époque. Les façades pseudo photographiques des immeubles cautionnent les nouvelles prétentions de la simulation automobile arrachée au cartoon primal des salles d'arcade et des consoles 8 et 16 bits.

Poussées par la technologie et l'envie d'aller plus loin, les choses deviennent rapidement de plus en plus sérieuses. Les villes impersonnelles franchies comme des couloirs gonflent jusqu'à devenir des enfilades de quartiers où la culottée série Gran Turismo s'ingénie à dessiner des circuits. Effaré de tant d'audace, le joueur commence à prendre l'habitude de circuler à toute allure entre les immeubles de Rome, Seattle, Tokyo, New York, et même, plus tard Paris. L'impact de la vraie ville est si frappant sur les simulations automobiles que la cité elle-même devient vedette et prend d'assaut le haut de l'affiche des Metropolis Street Racer/Project Gotham Racing et autres Midnight Club.

Enfin l'autorisation de circuler, ou presque

Personne ne sait encore que le véritable enjeu caché du jeu vidéo en pleine explosion 3D n'est plus la route mais la conquête de la ville elle-même. Libérées des circuits de compétition, les courses automobiles débarquent dans les villes comme des envahisseurs tâtant le terrain. Mais il fallait vraiment envahir les lieux, se rendre maître de tout le territoire urbain à bord de véhicules avant d'espérer y un jour y marcher. Inévitablement, sans préméditation, les barrières de protections ont fini par sauter. La ville décorative a alors ouvert grand ses bras et ses artères. En vrombissant d'un bout à l'autre de San Francisco, de Los Angeles ou Miami, au volant du décomplexé Crazy Taxi et de l'anxieux Driver, le joueur a véritablement commencé à prendre la mesure de la ville. Et à la désirer au point de souhaiter y mettre pied à terre et de la faire sienne, coûte que coûte.

Terrain de jeu pour de rire, ou la cité des enfants perdus...

Dès que la technologie l'a permis, la ville s'est arrachée à sa posture forcée de fond d'écran suggestif pour devenir un terrain de jeu. Comme si le spectacle était passé du théâtre au cinéma, du décor dessiné sur carton à la 3D qui ouvre les perspectives. À la fin des années 90, aucun autre jeu que Jet Set Radio n'a mieux symbolisé le nouvel élan de liberté vécue physiquement et méta(eu)phoriquement dans le jeu vidéo. Accessibles à volonté ou presque, les rues et les toits des villes de Jet Set Radio (Tokyo et New York de fiction) appartenaient enfin au joueur. Avant la génération kingpin/gangsta forcée par le succès des GTA (voir plus loin), la ville a été livrée à la jeunesse, une vraie, fashion-nippon-hipster victime de l'époque, équipée de walkmans et de rollers, aspirant à glisser et grinder dans les rues et sur les palissades, à défier la police et le gang d'en face avec des bombes à graffiti. Mal comprise, trop en avance sur son temps, cette version ludique et joviale de la ville, décomplexée et encore proche des jeux de plateforme s'est transformée peu à peu en carrefour, en "hub" (l'affreux mot), sorte de shopping mall où chaque vitrine conduirait à un nouveau niveau. La ville portuaire de Mario Sunshine, le Haven City de Jak II (suite urbanisée de Jak & Daxter déjà influencée par GTA), le Shodown Town de Banjo-Kazooie : Nuts & Bolts furent les meilleurs exemples de cette ville accessoire et transparente ouvrant sur d'autres mondes où les "vrais" challenges attendent.