Avec un tel enchaînement de conférences, d'annonces, de jeux, difficile de ne pas s'emballer. Moi-même, tout en essayant de me remettre de cette semaine de folie, je plane encore un peu à 15 000. C'est bien normal, et rester froid après un tel E3 ce serait témoigner d'un manque de passion évident pour l'industrie du jeu vidéo, à la fois dans ce qu'elle nous propose comme expériences, et du point de vue marché, plus fascinant que jamais. Mais il est temps de redescendre un peu sur terre pour y voir plus clair...

Commençons par l'éléphant dans la pièce : pour beaucoup, la PS4 aurait tout gagné avec sa conférence, et Microsoft serait déjà mort. Quelles balivernes ! Si incontestablement, Sony a remporté ce premier randori par un tonitruant ippon avec la double annonce fracassante d'un prix de 100 euros inférieur à celui de son concurrent, et de ce que les joueurs voulaient entendre concernant les DRM, enterrer Microsoft serait une très, très grave erreur. La guerre ne fait que commencer, et remporter une bataille, même la première, ne suffit pas toujours.

Rien n'est joué d'avance

Les DRM. Pour en avoir discuté sur le salon avec des collègues de différents pays, et des joueurs américains, il est certain également que le trollage en règle de Sony pendant la conférence, savoureux s'il en est, et qui a déchaîné les milliers de personnes qui étaient tout comme nous présentes au Los Angeles Memorial Sports Arena, a su trouver une résonance énorme dans les coeurs. Il faut en effet savoir que contrairement à ce qu'affirme le Major Nelson et d'autres chez Microsoft, tout le monde n'est pas connecté dans leur base de joueurs 360 (même si l'écrasante majorité l'est) ; beaucoup d'américains possèdent une 360 et n'ont, ni parfois ne veulent, d'internet chez eux. Mais les temps jouent contre ces personnes non connectées, indubitablement, et le pourcentage de joueurs reliés au réseau mondial ira nécessairement croissant. On ne lance pas une console pour un ou deux ans, le choix de Microsoft est donc froidement compréhensible, d'autant que DRM mises à part, il offre également une démocratisation transversale de services et de possibilités en ligne importante : des services qui à l'aune de ce qu'on connaît des deux constructeurs, restent nettement plus solides. Et, surtout, il sera possible sur Xbox One de partager sa ludothèque avec 10 personnes de son choix, où qu'ils soient, et tant que deux d'entre elles ne seront pas sur le même jeu au même moment. Si il nous manque encore des détails sur cette fonctionnalité, il ne faudrait pas la mettre de côté trop vite ; elle pourrait se révéler particulièrement alléchante, surtout après le carton plein des déclarations de Sony et des réactions à ces déclarations, qui sans être prématurées, pourraient être vues comme excessivement enthousiastes. Ces réactions n'ont en tout cas pas manqué d'être constatées par Microsoft également, que je vois mal adopter une politique de l'autruche sur un problème dont l'importance objective est toute relative par rapport à la perception qu'en a un public qui prend visiblement tout cela assez à coeur. La seule chose qui risque de ne pas changer, à la différence des prix d'entrée ou des politiques vis à vis de l'occasion et du prêt, c'est la connexion obligatoire de la Xbox One. Et encore...

Le prix. Reste aussi le prix. Oui, dans cette économie, c'est un facteur plus que déterminant. Mais ne vous y trompez pas : non seulement la boîte de Microsoft offre un peu plus de matériel (Kinect 2, un argument de taille, même si le PS4 Eye est loin d'être sans ressources et que son ajout ne coûte que 49 euros pour un ensemble PS4 + caméra toujours moins cher), mais ils ne s'arrêteront pas à ce 499 euros. Avec la GamesCom au tournant, et même le TGS (où Microsoft sera bel et bien présent avec des annonces), il ne fait aucun doute que l'offre s'élargira, et que des prix subventionnés par abonnement au Xbox Live Gold seront annoncés (mieux vaut rapidement pour Microsoft) pour rendre la machine plus accessible financièrement. Bien sûr, libre à Sony de faire de même à son tour avec son PS Plus, mais il semble qu'en la matière, le japonais soit bien moins avancé et prêt que l'américain (à en juger par nos entretiens avec les deux parties). Autre problème qui se murmure : le défi industriel. D'un côté, les choix technologiques de Microsoft (notamment l'eSRAM de la partie graphique) laissent penser que des problèmes de Yield (rendement du procédé de gravure des puces) risquent de compliquer la fabrication des machines, et de l'autre, il se dit que Sony n'aura que de très faibles quantités de consoles à disposition à 399 euros, puis ne les renouvellera pas pour préférer écouler des bundles avec jeux et/ou caméra PSeye, plus chers. Quoiqu'il arrive, les deux constructeurs risquent d'avoir des problèmes à répondre à la demande dans un premier temps, et élargiront encore leurs offres d'ici la sortie.

Les jeux. Les jeux, ça reste le plus important. C'est bien ça qui vend des machines, et fait oublier leurs défauts, voire tolérer des politiques impopulaires. Certes, Sony annonce de plus gros chiffres en matière d'exclusivités et de nouvelles licences, mais il ne faut pas les prendre pour plus que ce qu'ils sont : des chiffres bruts. Les indies participent pour beaucoup à cet état de fait, et les dits chiffres ignorent bien sûr la disponibilité de certains de ces titres sur PC ou consoles de génération HD. Par ailleurs, quiconque oublie trop vite la qualité de la conférence Microsoft en matière de jeux (il n'y avait que ça, et du lourd) risque la déconvenue. Enfin, en l'état actuel des jeux que nous avons essayés sur next-gen, force est de constater que le line-up Microsoft semble plus avancé en termes de finition comme d'innovation (sur les jeux AAA first party).

Une histoire de perception

Il ne s'agit pas pour autant de défendre aveuglément Microsoft, ce n'est pas du tout mon propos. Que les choses soient claires : je pense aussi que Sony a remporté le bal des conférences même si la leur était moins bien rythmée et garnie en blockbusters, grâce à cet incroyable moment de l'annonce du prix et de l'absence de changement dans la politique software du constructeur en matière de DRM et de connexion de la machine.

Et la perception de l'événement a au moins autant d'importance que la réalité objective des annonces. En la matière, Sony a pris un avantage, que semble encore sous-estimer Microsoft, dans le coeur des joueurs, et dans celui des boutiquiers ; et ce sont ces derniers qui pourraient miner le plus le travail de Microsoft en poussant la PS4 pour le bien de leurs propres affaires sur l'occasion, et ce, dès les précommandes qui sont déjà ouvertes. Même si bon nombre d'entre eux se feront vite partenaires de Microsoft pour la mise en place du système contrôlé de revente de ce dernier, leurs marges et leur liberté compteront incontestablement dans le zèle qu'ils ne manqueront pas de mettre, sur le terrain, à promouvoir la PS4 auprès de leurs clients acheteurs de jeux d'occasion.

Dès lors, on s'étonne tout de même que Microsoft n'ait pas détaillé plus avant et joué sa carte du partage de ludothèque auprès de 10 amis/membres de la famille enregistrés sur le Xbox Live Gold. L'argument, bien placé, aurait pu être aussi puissant sinon plus que celui d'un Sony conservant sa politique PS3, d'autant qu'il semble concerner également les titres en téléchargement, qui resteront a priori à 100% non-transférables chez Sony. La première réponse à cette interrogation qui vient à l'esprit, c'est sans doute que le système n'est pas encore pleinement défini, surtout au sortir de cet E3 historique et de ses annonces fracassantes, mais patience : Microsoft ne se laissera sans doute pas faire aussi facilement. Au final, une guerre des prix profitera à tous.

Et Nintendo dans tout ça ?

Nintendo, c'est sans doute le bémol que beaucoup adressent à cette édition éblouissante du salon le plus important de l'industrie. Pourtant, on le sait : les jeux Nintendo sont et resteront uniques et fortement courtisés. Qu'il s'agisse de Mario Kart 8, de Bayonetta 2, de Super Smash Bros U, Super Mario Bros 3D World, Pikmin 3, du remastering de The Legend of Zelda The Wind Waker ou d'autres, Nintendo reste le constructeur le mieux doté en termes d'exclusivités.

La vraie déception, c'est encore et toujours le nombre de titres super attendus qui ne sortiront pas avant 2014. La sécheresse a donc tendance à s'installer sur Wii U, avec quelques oasis salvatrices (pour certains) ici et là. Mais une fois encore, il ne faudrait pas enterrer Nintendo trop vite sous la vague Next-Gen malgré sa présence en vase clos sur cette édition 2013 dépourvue de conférence de presse publique pleine de paillettes de la part du japonais. Certes, les joueurs commencent à décrier un certain manque d'innovation pour un Nintendo qui nous a habitué pendant de longues années à réinventer avec brio ses grosses licences, mais les titres de la firme restent d'une solidité certaine, et surtout dotés d'un attrait global bien supérieur à celui de nouvelles licences inconnues et moins "tout public", aussi next-gen soient-elles.

En outre, le petit côté "baston de cour de d'école" de Sony et Microsoft n'entache pas un Nintendo toujours tranquille sur son créneau, et dont les arguments restent, pour beaucoup, pertinents. Par exemple, comment ne pas donner raison à Reggie quand il dit que tout le pataquès autour des DRM est un problème qui n'a pas lieu d'être chez eux, parce que la qualité des jeux suffit à éviter leur revente ? Les statistiques et le bon sens lui donnent raison...

Pour autant, bien entendu, la situation de Nintendo n'est pas aisée, loin s'en faut. Par exemple, l'argument du second écran du Gamepad Wii U semble définitivement aux abonnés absents, tant les jeux l'utilisent peu ou mal. D'autre part, si Nintendo est assuré ou presque d'avoir l'offre au tarif le plus accessible à Noël cette année, celle-ci paraît tout de même encore bien faible par rapport à ce qu'on attendait d'eux cette année, plaçant la Wii U comme un pur complément auprès des gros joueurs aisés qui pour beaucoup, se montrent bien plus préoccupés par la next-gen.

Les grosses tendances de l'E3 2013

Le grand retour du jeu gamer. Oh, il y avait bien quelque jeux plus "casu" ici et là, mais depuis les conférences jusqu'au showfloor, pas de "Kinect- PSMove- ries" à perte de vue, bien au contraire. Cet E3 2013 fut résolument gamer, chez tout le monde, montrant à quel point les professionnels de l'industrie ont besoin de consolider leurs offres auprès des "early adopters" et autres "trend setters" que sont les gamers. C'est aussi un témoignage criant du besoin d'installer illico-presto de fortes bases de machines next-gen, d'ailleurs, bases dont les premières briques sont bien entendu posées en priorité par les gros joueurs et non le grand public, qui vient dans un second temps. A noter d'ailleurs qu'à cet égard, Microsoft a sans doute l'offre la plus démocratique, avec du jeu gamer d'un côté, et de l'autre, des services solides, notamment TV, plus larges. C'est, mine de rien, important, dans la mesure où le second temps d'installation des bases via le grand public arrivera finalement bien vite après la sortie des consoles attendue en novembre (au moins officiellement pour la One, Sony n'ayant pas confirmé de son côté), puisque Noël et les étrennes de fin d'année motiveront rapidement la seconde vague des acheteurs moins éduqués.

Le monde ouvert. Je vous l'avais bien dit fin 2012 : la next-gen s'engouffre à fond dans le jeu en Monde Ouvert, une approche qui a déjà commencé à se démocratiser sur la génération actuelle. The Witcher 3 ; Destiny ; The Crew ; The Division ; Assassin's Creed IV Black Flag ; Watch_Dogs ; Mad Max ; Dead Rising 3 ; Metal Gear Solid V The Phantom Pain ; et j'en passe... Course, aventure, shooter, action, RPG, infiltration, les grands genres ont souvent préféré jouer la carte du monde ouvert plutôt que celle du très joli couloir, et personnellement, j'en suis ravi.

Les companion app qui vont plus loin que prévu. Je m'attendais à n'en voir que des applications un peu gadget, complémentaires des expériences principales, mais Watch_dogs, The Crew, The Division ou encore Destiny vont déjà plus loin que prévu dans leurs "applications compagnonnes". Pour certains, il s'agit de véritables expériences ludiques complémentaires aux jeux console (Ubisoft allant le plus loin en la matière), qui rendent tablettes et smartphones véritablement intéressants pour les gros joueurs qui veulent participer à des parties en ligne lorsqu'ils n'ont pas leur console sous la main, ou partager leur expérience avec les membres de leur foyer qui ne souhaitent pas nécessairement prendre les manettes en mains. Une excellente chose donc, d'autant que ces applications seront pour la plupart gratuites.

Parkour. Titanfall, Sunset Overdrive, Mirror's Edge 2, Dying Light : moins prononcée que celle du Monde Ouvert, la tendance du parkour dans les jeux annoncés à cet E3 reste présente. On rebondit sur les murs, on court comme un dératé de manière fluide, on fait des pirouettes si nécessaire... parkour pas pourquoi pas.

Nouvelles licences. Il y en a tellement que les énumérer ici prendrait trop de place. Mais une fois encore, il faut raison garder : avec un renouvellement de machines, c'est assez normal. Nul doute qu'au cours des prochaines années, ces nouvelles licences connaîtront aussi, si elles ont du succès, des suites. Mais en attendant, ça fait plaisir de découvrir autant de nouveaux projets ! Beaucoup ne débarqueront pas avant 2014, mais vu la fin d'année qu'on va se taper, ce n'est pas plus mal...

De vraies baffes, visuelles, mais pas que. Si le trio ayant le plus décroché de mâchoires restera sans doute Metal Gear Solid V, The Division et Titanfall, l'ensemble des licences next-gen présentées a tout de même réussi à bien montrer le fossé technologique séparant la génération actuelle de la suivante. Pour autant, bon nombre de jeux ne se contentent pas de raffiner leur visuel, puisque la nouvelle génération, c'est aussi beaucoup de connectivité et de nouvelles manières de jouer ensemble. Tant mieux. Certaines, bien sûr, sont en-dessous d'autres, rappelant plus de beaux jeux PC que de véritables claques next-gen, mais globalement le niveau des valeurs de production franchit d'un coup un bon palier... et ce ne sont que des jeux de première génération, ce qui témoigne de deux choses : la longue attente qui fut celle des développeurs à pouvoir enfin se lancer et parler de leurs futurs jeux, et le potentiel de ces machines sur le moyen et le long terme.

Le free to play console. Là encore, nous l'annoncions avant le salon, le modèle tente ses premières véritables percées cette année. De l'hégémonique World of Tanks qui débarque sur 360 (et qui s'annonce fort jouable à la manette comme j'en ai fait l'expérience), en passant par Killer Instinct, Planetside 2, Warframe... timidement mais sûrement, les consoliers ouvrent leurs plates-formes à ce modèle à succès, pour différents types d'expériences.

On peut sans aucun doute s'enthousiasmer (il le faut, même) à l'issue de cet E3, véritablement magique. Les bonnes surprises étaient au rendez-vous, les jeux aussi, plus que jamais, et on a renoué, pour un temps, avec les meilleures époques qu'a connues ce salon, et qu'on avait presque oubliées depuis l'avènement des fuites sur internet et les années passées sur la génération actuelle. Mais avant de déclarer perdants et vainqueurs, il ne faut pas oublier qu'il reste encore largement assez de temps d'ici la fin de l'année, et au-delà, pour que les situations de chacun évoluent ; et de manières pas forcément faciles à prédire. Quels prix pour les jeux ? Quels nouveaux titres encore secrets ? Quels détails de politique encore inconnus ou amenés à changer ? Quelles offres en gestation ? Réponses, parcellaires sans doute, dans les mois qui viennent. En attendant, pour mieux appréhender cet E3 pléthorique...

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