Il y a quelques jours, le service d'hébergement et d'échange de fichiers Megaupload, qui permettait à n'importe quel utilisateur d'uploader, gratuitement et anonymement, des fichiers allant jusqu'à 2 Go de poids, était contraint par la justice américaine de fermer ses portes. Le site, qui servait tout aussi bien à des utilisateurs légitimes pour échanger des fichiers très simplement et très légalement, qu'à d'autres, peu scrupuleux, de le faire avec des fichiers piratés et d'en tirer profit, n'est que le dernier remous de la guerre entre les lobbys d'ayants-droit tentant de défendre le copyright et d'abattre les pirates se faisant de l'argent sur leur dos, et les défenseurs d'internet et de la liberté d'expression et d'échange de l'information.

Quelques semaines plus tôt, ces derniers, avec à leur tête des géants du net tels que Google, Wikipedia, Reddit, et bien d'autres, étaient montés au créneau pour dénoncer les dérives liberticides qui menaçaient les Etats-Unis en particulier, et le Monde en général, si deux lois jumelles, la SOPA et la PIPA, passaient à la chambre des représentants et au Sénat américains (lire : Des lois menaçant Internet soutenues par les éditeurs de jeux). Depuis, grâce à leur action et, à mon humble avis, pour le meilleur, les politiques américains ont décidé de retenir les votes de ces lois et d'examiner plus minutieusement ce qui leur est reproché. Ainsi, le représentant de la majorité au Sénat, Larry Reid, tweetait vendredi dernier :

A la lumière des récents événements, j'ai décidé de repousser le vote prévu mardi du Protect IP Act.

De même, Lamar Smith, qui est à l'origine de la SOPA et siège à la Chambre des Représentants, s'est vu dans l'obligation de freiner ses ardeurs :

J'ai entendu les critiques et pris leurs préoccupations au sérieux concernant la proposition de loi visant à traiter le problème du piratage en ligne. Il est clair que nous devons revisiter notre approche sur la meilleure manière de s'attaquer au problème des voleurs étrangers qui dérobent et vendent des créations et produits Américains.

Du côté Français, ça tire dans tous les sens

Très peu de temps après la fermeture de Megaupload, l'Etat Français choisissait son camp, visiblement sans trop prendre la peine de réfléchir au problème global (mais qui saurait s'en étonner), avec cette déclaration de l'Elysée expliquant que Megaupload était un site qui "permettait à ses promoteurs de réaliser des profits criminels sous la forme de recettes publicitaires ou d'abonnements de ses usagers" (c'est vrai), puis ajoutant, Hadopi 3 sans doute en tête, que la lutte contre ce genre de services constituait "une impérieuse nécessité pour la préservation de la diversité culturelle et le renouvellement de la création". On imagine déjà les experts gouvernementaux français de l'internet se penchant sur la question, avec à leur tête de grands cyberpenseurs tels que Frédéric Lefebvre ou encore Eric Besson du côté de la majorité.

A gauche, on dit tout et son contraire avec un François Hollande fustigeant Hadopi et annonçant qu'elle serait "supprimée et remplacée" car "Il ne peut pas y avoir de coupure entre les créateurs et leur public", tandis que la chargée de la Culture auprès du candidat, Aurélie Filippetti, trouvait "normale", vendredi aux micros de France Inter, la fermeture du site et lançait : "nous voulons renforcer la lutte contre ce genre de sites totalement illégaux qui font de l'argent sur le dos des artistes". Et hop, raccourcis, imprécisions, et incohérences dans les deux camps : on a visiblement bien du mal à appréhender le dossier internet & ayants-droit avec mesure et intelligence, du côté de la majorité comme de celui de la minorité.

Mais, à la décharge de tous, le problème est sacrément épineux. Il faut bien reconnaitre que légiférer afin de protéger les ayants-droit d'un fléau planétaire, sans frontières, tout en évitant de censurer internet à la mode chinoise ou iranienne, et d'handicaper les utilisateurs légitimes, s'avère être extrêmement complexe, tant au niveau judiciaire et constitutionnel, qu'au niveau sociétal et politique, ou encore du simple point de vue de la faisabilité technique.

Retour au jeu vidéo

De son côté, l'ESA, le syndicat des éditeurs de jeux américain, et ce malgré les témoignages défavorables à l'égard de ces deux lois de certains de ses membres à commencer par Epic Games, restait un soutien indéfectible au couple SOPA/PIPA, jusqu'à très récemment, allant même jusqu'à débourser 190 000 dollars en lobbying. Jugez plutôt :

Avant (début du mois)

En tant qu'industrie de créateurs et d'innovateurs, nous comprenons l'importance à la fois de l'innovation technologique et de la protection des contenus, et ne pensons pas que les deux soient mutuellement exclusifs. Les sites web dissidents - ceux qui sont uniquement dédiés à tirer profit de leur piratage illégal éhonté - freinent la demande légitime de produits et services jeu vidéo, détruisant au passage des emplois. Notre industrie a besoin de remèdes efficaces pour traiter ce problème spécifique, et nous soutenons les propositions de la Chambre et du Sénat pour atteindre cet objectif. Nous sommes conscients des préoccupations exprimées au sujet d'un effet négatif sur l'innovation. Nous sommes impatients de travailler avec la Chambre et le Sénat, et toutes les parties prenantes, pour trouver le juste équilibre et définir des remèdes utiles capables de combattre les contrevenants volontaires sans gêner l'innovation de produits légaux et en matière de business models.

Après (vendredi dernier)

Depuis le départ, l'ESA s'est engagée pour le passage d'une législation équilibrée pour traiter le vol, illégal, de propriétés intellectuelles qu'on trouve sur des sites dissidents étrangers. Bien que le besoin de traiter cette menace omniprésente envers les investissements créatifs de notre industrie demeure, des préoccupations ont été exprimées au sujet de conséquences involontaires émanant des propositions législatives actuelles. En conséquence, nous appelons le Congrès, l'Administration Obama, et les parties prenantes à reconcentrer leur énergie pour la production d'une solution qui équilibre efficacement, à la fois les intérêts technologiques et créatifs. En tant qu'industrie de créateurs et d'innovateurs, nous comprenons l'importance à la fois de l'innovation technologique et de la protection des contenus et nous engageons à travailler avec toutes les parties prenantes pour encourager une solution mesurée.

Ou comment mettre l'eau d'une prudence retardataire dans le vin d'un soutien devenu impopulaire, à la lumière des violentes réactions, parfaitement justifiées, à l'encontre de deux lois dangereuses et inadaptées au problème. Lesquelles, pour faire simple, se proposent de combattre une invasion de blattes à l'ogive nucléaire. Une fois la poussière retombée, les blattes seront toujours là... mais les hommes sans doute pas. Restons attentifs.