A l'heure où vous lirez ces lignes, le Tokyo Game Show 2011 aura fermé ses portes, et à l'heure où je les écris, nos reporters de l'extrême JulienC et Serpico sont probablement en train de se préparer un super torticolis en roupillant dans l'avion qui les ramène 7 heures en arrière, dans le fuseau horaire parisien. Ca me paraît être un bon moment pour tirer quelques brins d'analyse de cet événement si vibrant autrefois, et qui, ma Foi, donne une température un peu tiède à mon goût d'un Japon qui se relève péniblement des terribles catastrophes de mars dernier... mais semble se recentrer, à l'heure où l'ensemble de la planète jeu vidéo est en pleine mutation, sur le secteur nomade en particulier.

Nippon ni bon

Je ne pense pas qu'on puisse dire de cette édition 2011 qu'elle fut bien riche, ni en surprises, ni en nouveautés, ni en émerveillement. Pas de The Last Guardian. Pas de Final Fantasy Versus XIII. Pas de stand Level-5. La conférence Nintendo, dont on attendait beaucoup, a su sortir quelques cartes typiquement japonaises pour redonner du charme à la 3DS (Monster Hunter tri-3G et surtout Monster Hunter 4, un nouveau Fire Emblem, du LovePlus, du Bravely Default chez Square), mais ce sont surtout les titres de fin d'année, menés par Super Mario 3D Land et Mario Kart 3D, qui continuent d'occuper un terrain plutôt instable, même si les gros jeux nippons commencent enfin à arriver sur la portable de Nintendo. Et chez Sony, naturellement, on a tout foutu sur la PS Vita, avec un line-up qui ne cesse de s'enrichir. Gros succès auprès des consommateurs japonais venus l'essayer en masse, mais encore faudra-t-il transformer l'essai lorsqu'elle sera mise en vente le 17 décembre.

Quid du jeu de salon ? Pas grand chose, ma foi. Du Zelda Skyward Sword qui rassure un peu. Un Ninokuni par-ci. Un Dead or Alive 5 par-là. Du remake à fond les pastèques chez Konami. Et un line-up Capcom connu mais qui fait figure d'exception réussie au milieu d'un jeu japonais qui regardait jusque là, à l'image de Satoru Iwata, vers une tradition qui a du mal à suivre. En effet, seul Capcom semble résister aux dommages d'une avancée ludique qui semble toujours occidentale, que ce soit avec sa technologie maison (le MT Framework de Dragon's Dogma) ou celles de l'ouest (l'Unreal Engine d'Asura's Wrath). Mais en terre nippone, tout le monde n'est pas de l'avis du Président de Nintendo qui dès la dernière GDC, présentait le jeu sur mobile comme un parent pauvre de la créativité traditionnelle et faisait la cour aux meilleurs game designers mondiaux pour qu'ils rentrent au bercail au lieu de s'égarer sur iOS ou Facebook. Les grandes maisons du jeu AAA nippon, elles, semblent en effet de plus en plus disposées à avancer dans la tendance sans se retourner vers Iwata, Square Enix en tête, comme l'a brillamment expliqué son patron Yoichi Wada dans sa keynote d'ouverture du TGS.

Nippon ni con

Bin oui : les japonais sont loin d'être plus bêtes que les autres, et même la politique a mis de côté un peu de sa fierté cette année. En effet, le CESA (le syndicat des éditeurs nippons, équivalent du SELL là-bas), organisateur de l'événement, a ouvert ses portes à Gree, le leader du jeu social mobile au Japon, qui n'est même pas inscrit au CESA mais édite une vaste quantité d'applications ludiques et de jeux, sur internet et smartphones. Pas étonnant d'ailleurs que Gree ait eu un des plus gros stands du salon ; mené par un des plus jeunes milliardaires au monde, Yoshikazu Tanaka, 34 ans, il représente aujourd'hui une perspective de développement incontournable et emploie des game designers qui ont déjà travaillé pour certains des plus grands éditeurs et développeurs de jeux japonais que nous connaissons tous. De même, le Xperia Play s'était offert un bel espace pour les jeux mobiles PlayStation Suite et Android.

Et Yoichi Wada, or donc, a bien compris la dynamique mondiale actuelle du jeu vidéo. Lui est loin de rester bloqué à l'ouverture mobile et sociale comme l'est Iwata, qui répond encore un catégorique "Absolument pas" à la question du Nikkei reprenant celle des actionnaires fébriles de Nintendo : "Nintendo envisage-t-il de sortir des jeux sur smartphones ?". Pour Iwata, ce serait "cesser d'être Nintendo" que de céder aux sirènes de ce marché en pleine expansion, tandis que Square Enix l'embrasse déjà depuis des mois. Car pas d'opposition entre le jeu social ou le jeu mobile et le modèle traditionnel pour Wada : ce ne sont que des "couches" supplémentaires qui font grandir le marché, expliquait le patron de Square Enix dans sa keynote d'ouverture du salon. Comme la NES le fut à une époque où l'essentiel du jeu vidéo se jouait dans les salles d'arcade à coups de pièces dans les monnayeurs, le jeu mobile et surtout le jeu dématérialisé via Cloud Computing à la OnLive sont annonciateurs d'un profond changement, certes, mais un changement qui ne sonne pas nécessairement le glas du modèle actuel. Si fin il y a, expliquait-il, ce sera seulement celle du jeu traditionnel comme force motrice principale de l'industrie, pas celle du jeu traditionnel et des AAA eux-mêmes ni de leur apport à l'ensemble du média jeu vidéo. Un contre-pied quasi total au point de vue d'Iwata et de Nintendo, dont on ne peut s'empêcher de penser qu'ils se changent en autruche, la tête plongée dans le sable.

Pas conne non plus, la décision de Sony de fournir, avec NTT Docomo, des formules 3G par cartes prépayées aux futurs utilisateurs de sa PS Vita, basées sur les heures connectées plutôt que le volume de données échangées. Mais bien qu'en opposition aux tendances actuelles, Nintendo non plus n'est pas idiot : c'est bien pour ça, je crois, que la firme s'est bien abstenue de parler pendant sa conférence du second stick analogique de la 3DS, son 3DS Slide Pad Expansion et sa pile AAA nécessaire qui rend tout cela encore plus bancal en apparence. En effet, y accorder trop d'importance aurait fait de cet accessoire... autre chose qu'un accessoire. Il semble impératif de lui constituer l'image de quelque chose de secondaire, d'un bonus pas bien cher à acquérir, qui n'est pas censé remettre en cause les choix entrepris par la firme pour sa 3DS. Une 3DS qui, se parant de rose, de Girls RPG et autres Girls Mode (La Maison du Style chez nous), a tout de même un peu l'air de se rabattre sur des proies supposément moins exigeantes que les fans traditionnels de la marque, qui ont la grogne si facile.

Nippon ni scion

L'industrie du jeu vidéo japonais n'est pas une jeune pousse fragile. Bien au contraire, c'est une force traditionnelle et un acteur incontournable de l'ensemble, le parent d'une histoire qu'il serait indigent d'oublier de sitôt. Et si les "professionnels" semblaient bouder cette année le Tokyo Game Show, en particulier la presse internationale, si on en croit la fréquentation pauvre des premiers jours fermés au public, on ne peut que se montrer malgré tout rassuré par celle, affluente, du public - le premier jour d'ouverture, un nouveau record de fréquentation a même été établi avec 86 200 visiteurs, soit 2200 de plus que le précédent record datant de 2006.

Mais à l'image des économies d'énergie malheureusement exigées de tout l'archipel, qui ont assombri le Makuhari Messe comme le moral des japonais depuis le terrible tsunami, la situation n'est sans doute que transitoire. Il convient bien de laisser encore une année de plus au Japon pour qu'il reprenne pleinement du poil de la bête et nous émerveille à nouveau : on lui doit bien ça.

P.S. : ouais, je sais, il était foutrement long cet édito.