Au moment d'écrire un billet d'humeur, un édito, une chronique un peu rentre-dedans, histoire d'inaugurer la publication d'éditos sur Gameblog, il va sans dire qu'on a tendance à se triturer les méninges comme s'il s'agissait d'un premier rendez-vous avec une donzelle qui compte. Seulement, voilà : on ne drague pas à 35 ans comme on drague à 15, et finalement, au bout d'un moment, on a tendance à ne plus vouloir s'embarrasser de séduire par divers artifices, et plutôt de se montrer au naturel, sans pipeau, en espérant partir sur de bonnes bases ou ne pas partir du tout et passer à la suite.

C'est pourquoi, cher lecteur (dans la métaphore, tu es la donzelle), je ne vais pas y aller par quatre chemins. Faisons péter le coming-out, crions notre vérité au mépris des conventions, assumons notre réalité : les hardcore gamers, et la revendication associée, ça me gonfle.

Non mais c'est vrai quoi, c'est quoi un hardcore gamer aujourd'hui ? Plus ça va, plus j'ai l'impression qu'en fait, c'est comme les extrêmes politiques : un truc qui lutte contre tout et tout le monde, crache sans arrêt, adopte des opinions obscurantistes, voire rétrogrades, et qui recourt plus que de raison à l'insulte et à l'irrespect pour se faire entendre, au sein d'une majorité qui n'a finalement pas envie de lui prêter l'oreille tant que ça, mais dont il finit par pourrir le quotidien en beuglant par-dessus les discussions saines.

Et vas-y que je te pourris les forums en crachant sur tout et n'importe quoi, et vas-y que je considère mon opinion ou ma vision du monde comme la seule qui soit éclairée et valable, et vas-y que je me crois malin avec des incessants "c'était mieux avant" et autres "tous pourris"... si le Hardcore Gamer des années 10', c'est ça, alors, définitivement non : je ne veux plus être un hardcore gamer.

Parce que dans toutes ces distinctions plus formelles que sémantiques entre Casual, Hardcore et compagnie, il n'y a finalement qu'un besoin identitaire ("je joue à ce genre de jeux") qui vire au communautarisme nauséabond. Par souci d'appartenance, beaucoup se collent donc eux-mêmes des étiquettes qui ne désignent finalement pas grand chose. Est-ce qu'un Mélomane doit forcément être un "métalleux" ou un "technoïde" ? Pour le cinéma, est-ce qu'il existe seulement des termes pour différencier les amateurs de comédies romantiques de ceux qui ne jurent que par les films de super-héros ? Je vous vois venir, évidemment : si les cinéphiles apprécient parfois autant un Transformers qu'un Citizen Kane, ça n'a rien à voir avec nos joueurs hardcore et nos joueurs casual, mais plutôt avec ceux qui jouent autant aux FPS qu'aux RPG japonais. Mais la question demeure : Tetris n'est-il pas un jeu hardcore ? Call of Duty n'est-il pas un jeu casual ?

Tout ça pour dire que les frontières sont floues, dès lors qu'on creuse un peu, et que s'étiqueter me paraît stupide. Il y a des jours où j'ai envie d'un gros Big Mac, d'autres où je ne jure que par la cuisine de maman, d'autres encore où je me permets un restau un peu gastronomique... mais aucun où je me sente moins passionné par la bouffe suivant le degré d'élitisme qu'on y met pour la réaliser, et encore moins de jour où je ressens le besoin de mépriser ce que mange autrui et de le lui faire savoir.

Alors que reste-il vraiment pour savoir qui est hardcore et qui est casual, aujourd'hui ? Le temps de jeu ? Non plus : je connais des joueurs que d'aucuns qualifieraient de casus qui engloutissent des heures sur des Brain Training et autres jeux iOS ignorés des "hardcore". Alors, le comportement, peut-être. Et de ce point de vue, plus les années passent, moins j'ai l'impression que celui des hardcore gamers (en tout cas de ceux qui se revendiquent comme tels) vise à partager, comprendre, élargir ses horizons. Pourtant, le goût s'éduque, en toute chose, et si hier, être un hardcore gamer c'était avant tout être passionné, peut-être serait-il aujourd'hui temps d'inventer un nouveau mot pour dire, comme avec un mélomane pour la musique, qu'on aime le jeu vidéo tout court. Parce que le mot "hardcore" n'a plus trop l'air de représenter des valeurs positives.

Allez, je me risque donc à un néologisme-à-la-con™ : je ne suis pas un hardcore gamer, je suis un ludophile.