De nombreux indicateurs promeuvent cette idée - et nous reviendrons dessus dans un instant - mais s'il ne fallait retenir qu'une seule raison pour laquelle cette thèse paraît probable, c'est tout simplement celle du changement du monde lui-même, et de nos sociétés. En effet, c'est presque enfoncer des portes ouvertes que de dire que la civilisation elle-même n'aura plus le même visage dans dix ans.

Les prévisions en la matière sont nombreuses, voici une toute petite liste de possibles me paraissant de plus en plus crédibles, qui exclut de surcroît tout ce que l'on n'aura pas vu venir, pour ceux que ça intéresse (cliquez sur le bouton).

Mais pour revenir au jeu vidéo, et sans se projeter nécessairement dans un futur très lointain, les facteurs de changement se multiplient, semble-t-il, à une vitesse effrénée.

Il y a d'abord ceux immédiatement motivés par les nécessités économiques. Pour n'en citer que quelques-uns :

  • Le besoin de produire des jeux de plus en plus massifs, systémiques et émergents (ou plus simplement détaillés), sonnant petit à petit le glas des approches artisanales avec lesquelles il faut tout implémenter à la main de manière statique. Pour offrir des mondes sans cesse plus crédibles et immersifs, sans voir les coûts exploser tant en moyens humains et chronologiques, que financiers, il n'y a guère d'autre voie que celle de l'algorithmique et du design en partie procédural ;
  • Le vieillissement de la population, et donc de la clientèle, à mesure que les générations ne jouant pas disparaissent et que le loisir lui-même devient inévitablement, sous une forme ou une autre, aussi répandu que la télévision, offrira également des perspectives nouvelles, tout en forçant les acteurs de l'industrie à diversifier leur offre pour toucher aussi largement toutes sortes de publics que les autres industries du divertissement ;
  • Il y a malheureusement fort à parier que les disparités économiques entre classes basses / moyennes et classes élevées continueront de se creuser... et le jeu vidéo reste un loisir de riches dans son modèle traditionnel. D'ores et déjà, éditeurs et développeurs sont lancés dans une recherche effrénée de nouveaux modèles économiques, lesquels influencent en profondeur nos habitudes de jeu ;

Puis viennent ceux motivés par des potentiels depuis longtemps perçus, mais encore jamais véritablement réalisés, soit pour des raisons pratiques telles qu'un problème technologique non élucidé, soit pour des raisons sociales de considération de l'objet jeu vidéo :

  • L'utilisation des jeux comme outil d'apprentissage durable, rapide, et efficace devrait se démocratiser, et peut-être résoudre certains problèmes rencontrés aujourd'hui par les écoles, sans pour autant tomber dans les travers des Serious Games ;
  • Les perspectives réseau de la sécurisation de données transmissibles instantanément d'un point à un autre de la planète grâce à la domestication de l'intrication quantique préfigurent une révolution d'Internet qui ne manquera pas d'affecter les possibles en matière de jeu vidéo - et avant d'en arriver là, la démocratisation soutenue de l'accès aux réseaux et l'accélération des connexions continuera, en parallèle du développement d'une centralisation au sein du "cloud", de favoriser exponentiellement l'émergence de nouveaux concepts connectés ;
  • L'incorporation des innovations en matière d'IA (la vraie, celle qui apprend et développe ses propres techniques pour compléter les tâches qu'on lui affecte) devrait permettre de s'approcher de vieux rêves d'expériences plus proches encore du joueur, telles que le "jeu où tu peux tout faire !", en permettant la conception de systèmes émergents réagissant bien plus encore aux choix des joueurs que ceux d'aujourd'hui, de la même manière que les moteurs physiques ont permis de similaires progrès dans le rapport du joueur au monde du jeu, et à son immersion en son sein ;

Un optimisme de mise

Si quelques-unes de ces prédictions peuvent faire peur à certain.es (surtout celles concernant la civilisation, cachées derrière le bouton, plus haut), j'avoue pour ma part rester d'un optimisme presque paradoxal : tout en ayant la sensation que le monde part chaque jour un peu plus à vau-l'eau, je reste en effet convaincu que pour ce qui est du jeu vidéo, tous ces changements seront positifs, voire exaltants.

A l'exception peut-être de certains modèles économiques mal dégrossis qu'on ne manquera pas de tenter de nous faire digérer (mais qu'une simple vigilance de consommateur devrait permettre de déjouer), je vois tout cela d'un très bon oeil.

Les progrès technologiques ont bien sûr toujours soutenu une croissance du secteur, non seulement en taille, mais aussi en diversité des expériences proposées. La nécessité de repenser les méthodes de production et de conception coûteuses, rigides et finalement peu efficaces d'aujourd'hui forcera l'industrie à sortir de sa zone de confort (celle qui pousse certains à embaucher juste plus de monde pour pisser de la texture ou des douzaines de quêtes sans intérêt).

Le changement dans la durée

Quant à l'intégration bientôt achevée du jeu vidéo comme élément transculturel et omniprésent, n'en déplaise aux crétins de gamer gaters qui voudraient que rien ne change jamais et que personne d'autre qu'eux ne touche au jeu vidéo, c'est à mes yeux une excellente chose.

Il y a en effet toujours valeur à élargir ses horizons, en tant que joueur comme en tant que concepteur/développeur. Certes, on peut craindre que de nouvelles modes vidéoludiques poussent les moutons-en-costards-aux-carnets-de-chèques-girouettes à oublier les anciennes trop rapidement au goût de ceux qui les appréciaient, mais quand quelque chose fait partie intégrante de la culture populaire, ses tendances revisitent toujours le passé à un moment ou à un autre ; ce qui fut populaire à une époque ne disparaît jamais irrémédiablement (un bon exemple récent : le retour de la difficulté dans les jeux, comme en témoigne le succès de certains rogue-like ou des Demon/Dark Souls).

Bon, évidemment, comme toutes les réflexions prospectives, j'aurai probablement l'air bien con dans 10 ans quand rien de tout cela ne se sera concrétisé, mais il y a au moins quelque chose dont je reste véritablement sûr : quoiqu'il arrive pour le jeu vidéo comme pour le monde, il y en aura toujours pour se plaindre que rien ne change, d'autres que "c'était mieux avant".

C'est vrai, certaines choses ne changent jamais vraiment, mais le jeu vidéo, lui, n'en fera sans doute jamais partie - au contraire. Je parie qu'il changera plus drastiquement ces 10 prochaines années, qu'il ne l'a fait les 45 dernières.