Le créateur de la saga Resident Evil qui revient aux affaires pour un nouveau Survival Horror, l'offre a de quoi être alléchante. Dés son annonce, Shinji Mikami promettait avec The Evil Within un retour aux sources dans un genre qui s'était perdu dans ses deux extrêmes. Que ce soit l'orientation action qu'a pris la série des Resident Evil, ou le gameplay quasi-inexistant des Amnesia, Outlast, et autres infinités de clones, il était temps de remettre les pendules à l'heure. Mais plutôt que de dynamiter un genre pour en donner sa version ultime, comme il a pu le faire sur Resident Evil 4 ou Vanquish, il va plutôt s'attaquer à la structure même de son titre pour revitaliser le jeu d'horreur moderne. Et pour bien comprendre ce que The Evil Within cherche à accomplir à cette fin, il faut brièvement revenir sur ce qui fait de Resident Evil 4 l'un des mètres-étalon du jeu vidéo.

 

Outre la révolution de la prise en mains par rapport au précédents épisodes de la saga, RE4 est un exemple en terme de rythmique, et un vrai défilé de phases de jeux d'anthologie. Si des séquences comme celles du village, de l’affrontement contre El Gigante, ou bien d'autres instants sont aussi marquants, c'est grâce à un timing parfaitement maîtrisé et un level design aux petits oignons. Une réussite formelle qui manette en mains ne fait aucun doute, mais qui laisse son aspect narratif sur le carreau. Le plaisir de jeu est au moins aussi fort que le désintérêt que l'on peut avoir pour son histoire, et amorcera de plus la débauche scénaristique dans lequel s’engouffre la saga depuis le cinquième épisode (non sans rester d’excellents titres, mais c'est un autre débat). Cela The Evil Within le cerne parfaitement et ne propose donc pas une copie carbone de son aîné, mais une relecture méta de sa structure de jeu.

 

 

 

L'histoire suit le périple de trois inspecteurs de Krimson City enquêtant sur le massacre qui a eu lieu à l’hôpital psychiatrique de Beacon. Le joueur incarnant Sebastian Castellanos découvrira vite qu'il est plongé dans un univers où distorsions du réel et hallucinations font loi. L'introduction abrupte, et les premières séquences de jeu décousus ont de quoi déstabiliser. Peu d'informations sont divulguées, et le jeu semble oublier d'établir un contexte bien défini. Là ou l'on pouvait s'attendre à une narration classique pour ce type de jeu, il n'en sera rien. De part son concept scénaristique (proche en certains points du eXistenZ de David Cronenberg), The Evil Within va balader le joueur dans différents fragments de réalité, défiant la logique de progression dans laquelle le joueur aime habituellement se réfugier. Malgré sa forme linéaire (le joueur ira toujours d'un point A à un point B), ''avancer'' dans le jeu refuse de donner cette satisfaction d'atteindre une zone convoitée. Alors que l'on cherche son chemin vers une église, une tour éloignée, ou tout autres édifices importants, on est vite happé vers un espace sans liens avec le précédent. Une perte de repère qui plonge efficacement le joueur dans le doute, il lui est impossible de savoir où il va tomber ensuite.

 

S'il s'agit déjà d'une habile manière de créer le malaise chez le joueur avec des effets de mise en scène bien vus pour transformer ses décors (saccades visuels, filtres graphiques, ce sans temps de chargement visibles), il est surtout un prétexte en or pour permettre de créer des phases de jeu intenses et variées. Débarrassé de tout diktats narratifs, Mikami peut s'en donner à c½ur joie pour créer des situations et environnements au bon vouloir de ses inspirations. Allant de Massacre à la tronçonneuse, en passant par Clive Barker, The Ring, ou encore le torture porn à la Saw, le jeu construit un riche univers visuel teinté du meilleur du cinéma fantastique et d'horreur. La diversité offerte par le titre n'est pourtant pas sujet à des incohérences de design. En aillant par exemple la pertinence de présenter son personnage principal en stéréotype de l'inspecteur en trench coat, le jeu marie avec aisance le look de Sebastian avec les décors traversés. Ce qui donne une allure intemporel à l'ensemble. Si d'un point de vue strictement technique, le titre n'est pas forcément toujours à hauteur de ses ambitions (quelques textures datées, et certains environnements en retrait), sa direction artistique et ses effets de lumière soignés comblent largement ce manque. Ajouté à ça un bestiaire aux déviances anatomiques et psychiques dérangeantes, l'ambiance glauque et morbide qui se dégage du titre est une vraie réussite, mais n'est que l'enrobage d'un game design particulièrement bien construit.

 

 

 

Au delà de son schéma de contrôles somme tout classique, ce qui fait la force du titre est bien la qualité et la variété de ses situations. Les rencontres avec les différents types d'ennemis sont très bien mis en valeur par le level design qui pousse le joueur a bien gérer l'espace qui lui est proposé. Avec en plus la présence de pièges à désamorcer ou à utiliser sur ses ennemis, histoire de mieux exploiter son environnement. En plus de l'arsenal standard (revolver, fusil à pompe, et consorts) et de la possibilité de brûler les corps avec des allumettes, il faut aussi compter sur l'arbalète qui possède plusieurs types de carreaux à fabriquer à partir des pièces récupérées sur les pièges désamorcés. Cela pourrait passer pour une bête volonté de céder à la mode du crafting qui sévit sur les jeux récents, mais ce système se pose surtout comme un excellent moyen alternatif de gérer ses ressources. Les balles et cartouches se faisant rares, il sera avisé de bien profiter des avantages de cette arme d'appoint, pouvant aussi bien immobiliser un ennemi puissant, que piéger un groupe d'assaillants. Il faut aussi mentionner les boss qui jouent autant sur l'affrontement direct que sur la réflexion, où il faut utiliser les niveaux à son avantage. Plusieurs d'entre-eux impressionnent et offrent des combats intenses et mémorables. Ces phases se posent en digne héritières des rencontres les plus cultes de Resident Evil 4. Des mécaniques de jeu bien huilés qui s’enchaînent à rythme effréné grâce au procédé narratif cité plus haut. Si l'histoire finit bien par révéler ses intéressants mystères, elle a le don de rester discrète « en jeu » en n'imposant pas trop de cinématiques, tout en étoffant son background par le biais de quelques notes ou enregistrements audio. Les points de sauvegardes, au contexte étrange, sont à ce titre un excellent endroit pour connaître un peu plus l'histoire de l'inspecteur Castellanos, en plus d'assumer un peu plus le caractère méta du jeu (sauvegarder en s’inscrivant dans un registre, une machine digne de Orange Mécanique pour upgrader ses aptitudes, objets à collectionner dans une salle d'archives). Encore un bon moyen de fragmenter l'histoire, autant dans le but de libérer le jeu de son récit, que de déstabiliser le joueur.

 

 

 

En effaçant la narration et en la déstructurant via son concept de réalité alternative, Shinji Mikami avec The Evil Within offre une véritable compilation du meilleur de l'horreur. Une anthologie de séquences qui offre du jeu vidéo privilégiant le gameplay et le challenge. Le titre ne révolutionne certes pas la formule du Survival Horror. Mais avec son ambiance malsaine, son game design de premier ordre, et sa mise en abîme du genre, il se parcours tel un train fantôme où l'on a hâte de voir quel affreuse surprise nous attends derrière la prochaine porte.

 

Cet article a été originellement publié sur Chronics Syndrome :
https://chronicssyndrome.wordpress.com/2014/10/16/les-racines-du-mal-critique-the-evil-within/