Ce sont parfois des circonstances bien tristes qui nous amènent à commencer des jeux qui traînent depuis des années dans notre ludothèque. Syberia, je voulais y jouer depuis fort longtemps, sans cesse à repousser ma partie pour me consacrer à d’autres titres. Et puis un jour Boum, la Camarde fait son œuvre et me rappelle que je ne suis pas éternel, et qu’à un certain âge ‘repousser’ signifie ‘ne jamais faire’. Alors je lance le jeu, sans trop savoir à quoi m’attendre en dehors de cette fameuse brune qui embellit la jaquette dans une ambiance mystérieuse et ‘sibérique’…


DES CLEFS

Quand Kate Walker débarque à Valadilène, petite paroisse des alpes françaises, elle ne se doute pas un seul instant qu’elle débute une quête qui l’emmènera à l’autre bout du monde. Car pour l’heure, l’avocate new-yorkaise à déjà la sensation d’y être, au bout du monde ! Travaillant pour le cabinet Marson & Lormont de Big Apple, quel dépaysement pour elle que ce patelin perdu. Et d’autant plus quand on y découvre à peu prêt partout des automates aux fonctions diverses. Parce que oui, Valadilène se trouve être la capitale mondiale de l’automate, et la raison de la venue de Miss Walker. Universal Toy, entreprise cliente de ses patrons, souhaite conclure le rachat de l’industrie créatrice des ‘robots à ressort’ en faisant signer à la patronne de la société le contrat de vente, mission confiée à notre protagoniste. Hors petit problème, Anna Voralberg, la directrice qui était censé apposer sa signature sur le précieux document, vient de décéder. Et autre surprise, le notaire apprends que contrairement aux informations connues, il existe un héritier ! Un peu abasourdie et dépassée par les événements, Kate n’a d’autre choix que de retrouver Hans Voralberg, le frère déclaré mort il y a plus de 50 ans…
Mais il se pourrait bien que l’homme, génie de la mécanique, ait laissé derrière lui une trainée de petits cailloux blancs…

Kate Walker arrive devant un étrange cortège. Drôle de séquence d'ouverture...

Nous débutons notre périple dans le pittoresque village d’origine des Voralberg, où nous remonterons le fil de l’histoire de cette famille fan de mécanique. La demoiselle que nous contrôlons outrepassera ses droits pour s’introduire ici dans la demeure, là dans l’usine pour reconstituer le puzzle de la disparition d’Hans. Petit à petit on fait ressurgir le passé pour mieux lui courir après.
Cette notion de passé que l’on redécouvre revient souvent au cours de l’aventure, des souvenirs qu’on fait revenir à la surface pour mieux avancé dans le présent. Un passé révolu, désuet et laissé à l’abandon. On retrouve cette sensation dans les décors même, tous plus ou moins laissé en friche. Ce qui ajoute à cette ambiance crépusculaire générale, où la vie mécanique semble avoir pris plus de place que la vie biologique.

Petit village paisible avec son ambiance posée

On croisera du monde quand même, suffisamment pour avoir de longs, voir très long dialogues. L’interaction avec les personnes non-jouables reste le cœur du jeu et résoudre leur problèmes vous aidera vous même dans votre propre quête, même si certains détours sembleront interminables. On rencontrera de tout, des doyens d’université farfelus au militaire sur la corde raide, du cosmonaute nostalgique qui rêve encore d’étoiles à la cantatrice à la retraite toujours prête pour un dernier tour de piste. Et au milieu de tout çà, Kate Walker qui cherche désespérément Hans Voralberg. Elle retrace le chemin du disparu assez aisément il faut bien le dire, l’homme n’étant pas du genre à passer inaperçu. Mais surtout grâce à ce fameux train mécanique formaté pour se rendre dans les différents lieux où il a séjourné dans sa vie. Pratique.


Les automates instaurent une aura très particulière à l'ensemble.

À l’image d’Amerzone, (qui est d’ailleurs cité plusieurs fois, ce qui unifie donc les deux titres) Benoît Sokal n’a pas son pareil pour mettre en place une ambiance fantasmagorique entre réalité et fantastique. Ce sont clairement les automates qui dans Syberia font la jonction entre le monde bien réel et un autre, plus éthéré et disons-le, Magique. Kate Walker elle-même se laisse envouter par cette atmosphère qu’elle découvre et qui l’éloigne de plus en plus de son quotidien, avec lequel elle garde un lien ténu au travers de son téléphone. De ses premières conversations téléphoniques avec son boss, sa copine, sa mère ou son fiancé aux dernières, ce monde qui est logiquement le sien lui semble de plus en plus superflu et anecdotique, baignée qu’elle est désormais dans le merveilleux et l’onirique. Comme une mue qui s’opère sous nos yeux, la véritable Kate semble émerger tout au long de son périple, pour aboutir à cette (re)naissance lors de la cinématique finale. En parlant de çà, la suite était prévue dès le départ, le titre se terminant certes sur une certaine finalité mais absolument pas sur la Sibérie tant espérée. À l’image d’une bande dessinée, Syberia était donc prévu en plusieurs tomes, ma découverte des suites me révélera si ce récit est parvenu à sa conclusion.

Les décors sont assez variés - ici la bibliothèque de l'université

DES ROUAGES

Comme bien souvent dans les jeux du genre, nous serons amenés à explorer plusieurs lieux, que nous rejoindrons principalement en train, mais pas que. Nous commençons donc dans le petit village de Valadilène, puis nous rejoindrons l’université quasi-déserte de Barrockstadt avant de se poser dans l’étrange usine de Komkolzgrad. De là on passera dans la base spatiale en ruine avant de partir pour la station thermale d’Aralbad, qui as connu des temps glorieux avant de devenir un lieu de repos quasiment oublié de tous. Nous y ferons d’éparses rencontres, les différentes places ne croulant pas sous la populace. Nous converserons cependant âprement avec chaque personnage disponible pour des échanges verbaux à tiroirs. Bien sur, nous discuterons plus avec quelques-uns qui nous livreront des informations plus importantes ou qui nous donnerons accès à la suite du voyage. Il faut quand même mettre en avant Oscar, l’automate qui secondera Kate tout du long et qui est légèrement pointilleux sur les détails administratifs ferroviaires.

Un 'Mur' qui protège le 'monde civilisé' des barbares de l'Est. Métaphore d'un autre mur d'une époque révolue...

Les décors sont assez splendides dans l’ensemble malgré leur atmosphère parfois à la limite du lugubre. Certains écrans nous offrent des panoramas qui émerveillent l’esprit, et toujours avec ce léger brouillard qui renforce cette sensation de marcher au milieu d’un songe. Ils sont surtout très disparates les uns des autres, chaque environnement ayant son ambiance propre, son énergie unique. Nous sommes néanmoins bien loin ici de la nature luxuriante d’Amerzone mais plus dans une ambiance post-URSS très marqué. C'est-à-dire vieilles ferrailles et bâtiments laissés en plan…

Impressionante entrée pour un établissement scolaire, spécialisé dans l'Histoire Naturelle

Les énigmes seront quand à elles pour une large partie centrées sur ces fameux automates et autres merveilles d’assemblages métalliques du même tonneau. Là encore on reste dans du ‘concret’ et du logique, rien de farfelu même si parfois les effets de nos actions seront surprenantes et aux répercussions bien plus larges qu’escomptées. Mais on n’évitera pas les sempiternelles phases de perdition totale où l’on ne saura absolument pas quoi faire. Pour ma part ce qui m’a posé problème c’est le coup du coup de téléphone à passer à la mère dans l’usine - je n’y aurais jamais pensé même après 1000 ans ! Et surtout la confection du cocktail pour la Diva, où même avec une soluce pas-à-pas je n’ai absolument rien compris… Un mystère insondable pour moi que ce ‘piano-bar’.

Là on atteint mes limites intellectuelles déjà fort peu affutées de base. Entre la partition incompréhensible censé devoir nous aiguiller, le mini-piano où je n'ai même pas compris l'utilité et la tuyauterie labyrinthique, je fus complètement largué...

J’apporterai comme précision qu’il y a une constante à chaque étape, à savoir remonter le ressort du train (qui je le rappelle est mécanique), un peu dans la même veine que pour les disquettes et les options de l’Hydraflot d’Alexandre Valembois (en beaucoup plus simple). Et il faut aussi obtenir à chaque fois un billet pour le voyage ; mais là je vous laisse découvrir la blague derrière cette redondante quête…

Le train qui sera le moyen de locomotion principal de l'héroïne


DES MÉCANISMES

Tout n’est pourtant pas très bien huilé dans cette mécanique de précision… surtout au niveau de la précision justement. Car si il ya bien UN truc qui ne va pas dans ce jeu, c’est la manière dont est géré le déplacement de l’héroïne. Alors si j’ai bien suivi Syberia est sorti à l’origine sur PC, et fut donc - et c’est logique - adapté pour un contrôle ‘à la souris’. En clair on cliquait sur l’écran et la miss se rendait d’elle-même au lieu du clic. Quand ils on sorti le titre sur console ils ont alors bidouillé une jouabilité à la manette pour pouvoir déplacer nous même l’avocate. Sauf que sont resté ‘les couloirs’ du gameplay PC, ce qui fait que concrètement la femme que l’on joue va se cogner absolument partout, tout le temps. Je veux dire pas uniquement ‘dans le décor’ mais aussi bien souvent ‘dans le vide’, dans les murs invisibles qu’elle ne rencontrait jamais avec une maniabilité de Point&Click classique. Je vous assure que c’est de loin le plus agaçant. Ça arrive TOUT LE TEMPS !!

Voilà le genre d'ambiance que l'on va croiser tout du long...

En dehors de cela point de gros défaut à relever. Alors oui graphiquement c’est parfois daté, voir même raté (le notaire qui ressemble à un Muppet) et les animations on prit un sérieux coup dans l’aile (les escaliers qui téléportent les personnages) mais ca donne du cachet on va dire…
Par contre le doublage est une vraie réussite de A à Z. On reconnaît notre Françoise Cadol nationale dans le rôle principal (Ze Voice of Lara Croft), accompagnée de quelques voix célèbres qui ne sont pas inconnus à nos oreilles.


Le notaire de la famille Voralberg, qui vous apprendra l'existence d'Hans et vous enverra dans une bien longue quête...Juste en dessous, en médaillon: un petit coucou d'Amerzone.

La faune et la flore tiennent une fois de plus une place importante dans le récit, moins que dans Amerzone mais tout de même. Monsieur Sokal partage encore et toujours tout son amour pour la nature, et plus particulièrement pour les mammouths ici, qui seront le moteur de ce voyage, aussi étonnant que cela puisse paraître. Un génie créateur de vie artificielle fasciné par une merveille de vie biologique, au point de consacrer sa vie entière à ces animaux disparus depuis longtemps et à leur légende. Un beau paradoxe (ou pas, justement).

Même le cimetière et l'église de Valadilène reflètent le caractère particulier de la bourgade

~€~

Suite spirituelle d’Amerzone, troquant sa vue à la première personne pour des caméras fixes, on y retrouve cette même ambiance entre réalité et onirisme coutumière de l’auteur de BD. Cette fois le voyage nous emmènera vers l’Est et ses contrés nébuleuses de l’ère post-soviétique, à rencontrer les nostalgiques de la grande Mère-Patrie. Kate Walker quand à elle sera en quête du passé d’un total inconnu et finira au bout du chemin par se trouver elle-même. Elle continuera alors l’aventure dans Syberia 2, que je ne tarderai pas à découvrir moi-même…