Ce fut totalement par surprise que je découvrais une nouvelle série intitulée Perry Mason, se déroulant visiblement au cours des années 30 et disponible par chez nous sur OCS, au rythme d’un épisode par semaine, étalé sur 8 d’entre elle. Le retour du  tenace avocat suscita ma curiosité et c’est donc avec attention que je regardai ce premier épisode, sans trop savoir dans quoi je me lançai. Il en faut parfois peu pour tomber sur son ‘œuvre de l’année’. Mais détaillons tout cela ensemble…

PRÉSENTATION DES FAITS

Perry Mason est un personnage bien plus vieux que je ne le pensai. Il fut en effet créé en 1933 par l’auteur et avocat Erle Stanley Gardner (1889-1970) dans une série de roman qui perdura excusez du peu jusqu’en 1973 (à titre posthume donc). Mais il connu la gloire du grand et petit écran bien avant la fin de son existence éditoriale. Dès 1934, il fut interprété à l’écran par Warren William, long métrage qui connut quelques suites à succès dans les salles du milieu des années 30.

Warren William interpréta par trois fois l'avocat dans trois films au cours des années 30. Le second rôle de Della Street changea d'actrice à chaque fois...

Mais c’est avec Raymond Burr dans la série télévisée des années 60 que le personnage trouva le cœur du grand public. 271 épisodes entre 1957 et 1966 qui permit d’assoir la réputation de l’avocat de fiction et de créer rien de moins que le genre du ‘procedural’. Genre qui continue de cartonner sur les Networks US aujourd’hui encore. L’acteur trouva dans cet avocat bourru le rôle de sa vie, qui ne cessera de le poursuivre jusqu’à la fin. En effet il retrouvera le prétoire de fiction 20 plus tard pour une trentaine de téléfilm assez classieux, durant une bonne décennie. Mais il ne put aller au bout de cette série, emporté par la faucheuse en 1993. Il fut donc remplacé par d’autres acteurs – dans d’autres rôles ! – dans quelques téléfilms conclusifs. Mais l’aura de Burr était si puissante que sans lui ce n’était pas la même chose.

Extrait de la série des années 60, avec l'imposant et charismatique Raymond Burr

Notons d’ailleurs qu’avant ce retour de Raymond Burr il y eu une tentative de reprise du show dans les années 70 avec Monte Markam dans le rôle-titre. Ce ne fut pas un succès et le show ne dépassa pas le quinzième épisode. Encore une fois, pour le public, il n’y avait qu’un seul Perry Mason possible.

Essai infructueux de reprise du personnage par Monte Markam. Le budget de la série à l'air d'être un peu limité...

Je n’ai pas connu la série des années 60. Moi ce que je suivais c’était les grands téléfilms de luxe que passait TF1 les samedi après-midi lorsque que j’étais chez ma grand-mère. J’en garde un souvenir assez plaisant d’un type obstiné et roublard, voir rustre mais qui parvenait toujours à innocenter son pauvre client injustement accusé. Un vieux Lion à qui on ne la faisait pas. Sans même m’en rendre compte le charisme de Raymond Burr fonctionnait aussi sur ma petite caboche de gamin des années 80. Il faut dire que le gars envoyait du lourd…

Extrait du revival des années 80, avec comme vous l'aurez probablement remarqué Dwight Schultz - plus connu par chez nous sous le sobriquet de 'Looping' - dans le rôle de l'homme appelé à témoigner.

Et pour les nostalgiques, le générique des téléfilms. Je ne l’avais pas entendu depuis 25 ans…et dès la première seconde il m’est revenu en tête immédiatement, gravé quelque part au fond de ma mémoire…

Raymond Burr à tellement imposé son image au personnage que l’idée même de faire jouer le rôle à un autre interprète paraissait absurde. Pourtant un certain Robert Downey Jr lui rêvait d’incarner le célèbre avocat, à un point tel qu’il lança un projet de reboot, dans lequel il se voyait déjà reprendre le rôle-titre. Produit par l’acteur lui-même et sa femme au travers de leur société de production Team Downey, un calendrier de tournage par trop chargé empêcha Iron Man de concrétiser son désir. Un casting pour trouver le héros de ce qui serait une mini-série en huit épisodes fut donc mis en chantier. Et c’est donc Matthew Rhys qui décrocha la timbale…

PLAYDOYER

Et c’est donc sur HBO que démarre la renaissance de l’avocat. Qui ne l’ai pas encore d’ailleurs car nous assistons là à un reboot complet. Perry Mason est alors un détective privé sans le sou que nous découvrons en cette fin d’année 1932 dans un Los Angeles post Grande Dépression. Tenue négligé, clope au bec et répartie cassante, il ne doit son gagne-pain qu’au travail que lui fournit son mentor E.B. Jonathan, vieil ami de son père et avocat de profession. C’est ainsi qu’il se retrouve à enquêter sur une affaire qui défraie la chronique : le meurtre crapuleux de Charlie Dodson, petit bébé kidnappé et retrouvé les yeux cousus afin de les maintenir ouvert. L’ambiance est posée.

Le détective Perry Mason (Matthew Rhys) se tient au dessus du corp meurtri du nourrisson

On découvre alors le quotidien assez peu reluisant de Mason ainsi que ses proches. Tout d’abord son collègue et ami Pete Strickland, ancien flic véreux avec qui il partage ses aventures dans les bas-fonds de la ville, et donc son étrange relation avec E.B. et sa secrétaire Della Street, ces derniers étant visiblement de la haute comme on dit. Notre bonhomme à également un fils, qui vit avec sa mère… il tente maladroitement de garder le contact avec d’épars coup de fils malgré les réticences de son ex-femme. Mason possède pour seule richesse le lopin de terre familiale où se situe la ferme de son père, complètement délaissé par un Perry qui n’a que peu d’intérêt pour l’agriculture. Mais même cette richesse est en péril, la propriétaire - et accessoirement amante - de l’aérodrome voisin le tannant jusqu’à la moelle pour qu’il lui vende son terrain. C’est donc sur un détective passablement amoché émotionnellement que tombe cette sordide histoire de couffin mort les yeux ouverts. Et ce n’est que le début, car très vite les liens sont faits avec la congrégation de l’Assemblée Radieuse de Dieu, qui voit à sa tête la grande prêcheuse Sœur Alice, une femme ostensiblement à l’ouest et de toute évidence habilement manipulé par sa mère. Et c’est sans compter également sur les policiers corrompus qui lui mettront des bâtons dans les roues…heureusement Paul Drake, un officier plus droit que ses collègues apportera son aide…comme il le pourra.

Della Street (Juliet Rylance), l'assistante qui en fait est la véritable tête pensante de l'officine judiciaire. Il y avait apparemment une relation amoureuse un peu forcé entre elle et Perry dans les anciennes versions, ce qui n'arrivera pas ici. Et ce n'est pas un mal...

L'officier Paul Drake (Chris Chalk) complète cette nouvelle version du trio au centre du show. La saison une narre leur rencontre et les prochaines les verront pleinement faire équipe.

De fil en aiguille, les accusations finissent par retomber sur le couple des parents en personne, accusé d’avoir eux-mêmes organisé l’enlèvement de leur enfant pour empocher le pactole (je passe sur le pourquoi du comment). Matthew Dodson - le père du gamin - étant le client d’E.B. Jonathan, Mason porte tout d’abord son attention sur lui et tente de le disculper. Mais les rebondissements s’enchaînent et très vite du mari les allégations retombent sur Emily, sa femme peu loquace. Totalement désemparée, au bord du gouffre, la mère éplorée n’a plus qu’un seul espoir pour éviter la peine de mort : Perry Mason doit prouver son innocence, quitte à devoir lui-même porté sa défense devant un tribunal…

Le fraîchement promu Maître Mason doit pour son premier procès éviter la peine de mort à sa cliente...

Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas vraiment ici en présence d’une comédie...mais plutôt devant un de film noir à l’ancienne, filmé avec les moyens et les techniques moderne de télévision haute gamme. Du Néo Noir paraît-il que l’on appelle cela, pourquoi pas. Et il faut bien avouer que cela fonctionne du tonnerre. On y croit, à ce Los Angeles un peu craspec de 1933, cette atmosphère lourde, ces visages renfrognés, la corruption omniprésente favorisé par la prohibition alors en vigueur. On baigne dans un univers très gris, avec ses ombres bien plus éparses que le soleil pourtant omniprésent de Californie ne le laisserait supposer.

Le travail pour faire revivre le Los Angeles des années 30 est remarquable

Ajoutant à cette réussite, les acteurs sont tous convaincants et – j’ose le dire – on tous une ‘gueule’ qui marque. Que ce soit Perry lui-même, Della Street, le petit flic de rue, le collègue détective, l’avocat, les parents…tous on un visage qui imprime l’esprit, bien loin de la ‘beauté hollywoodienne’ classique et aseptisée. Et cela fait plaisir à voir, de ‘vrais gens’ et non pas les ‘Ken et Barbie’ usuels de la TV US.
Et pour couronner le tout, il y a Tatiana Maslany. Elle n’a qu’un second rôle ici, limite sans grande véritable importance…et pourtant elle transcende l’écran à chacune de ses scènes. Jouant donc une espèce de Messie qui serait en contact direct avec Dieu (il lui murmurait des choses à l’oreille…) elle offre une ambivalence rafraichissante à cette Bonne Sœur lunatique qui remplit des salles entières de ses ouailles buvant ses paroles. Emporté par la ferveur de ses croyants, elle se laisse aller à des morceaux de bravoure qui la dépasse…jusqu’à aller prétendre pouvoir ressusciter le petit Charlie Dodson depuis sa tombe. Ce qui offrira une séquence d’hystérie collective mémorable lors de la scène du cimetière…

Soeur Alice (Tatiana Maslany) accompagne Emily Dodson (Gayle Rankin) à sa sortie de la Cour. Constamment dans l'ombre de sa fille, Miss Birdy McKeegan (Lili Taylor) veille au moindre fait et geste de sa lucrative progéniture...
Il y a peu de personne en ce bas monde pour qui je voue une admiration sans borne, Tatiana Maslany est de celles-ci.

RÉQUISITOIRE

Cependant il faut savoir que l’on s’éloigne du concept de la ‘série de tribunal’ qu’était la version avec Raymond Burr – même si on le retrouve un peu dans les deux derniers chapitres. On compare souvent la série, et avec raison, à True Detective pour son coté investigation dans une ambiance poisseuse. Il est vrai qu’elle partage donc une atmosphère générale mais aussi une réalisation assez soignée, même si le coté métaphysique de la série de Nic Pizzolatto n’est absolument pas présent ici, étant devant un univers bien plus terre-à-terre.

Encore enquêteur pour Elias Birchard « E.B. » Jonathan (le toujours formidable John Lithgow), Perry plaide sa cause au sujet de ses méthodes peu orthodoxes mais efficaces (malheureusement la plupart du temps irrecevables devant un tribunal). Se faisant discret sur le canapé, l'associé et ami de Perry, Pete Strickland (Shea Whigham).
L'un des aspects interessant de ce reboot est qu'il ramène son histoire à l'époque de la naissance du personnage (les années 30 donc) et par conséquent peut être vue également comme une préquelle de la série avec Raymond Burr (même si en fait des détails narratifs ne collent pas véritablement...)

Un aspect que j’ai beaucoup apprécié aussi c’est le fait que la série ne donne pas réponse à tout. On termine le huitième épisode en connaissant une bonne partie de la vérité, une bonne partie des faits et une bonne partie des mobiles mais il n’y a pas par exemple de grande victoire avec congratulations des héros. Le procès se termine en queue de poisson, certaines pistes n’ont mené à rien (la ficelle…), les coupables ne sont pas condamné (du moins pas par la Justice avec un J majuscule), un autre jugement aura lieu sur les méfaits mis au jour au cours des plaidoiries…à l’instar du reste du show, le final se révèle doux-amer. Rien n’est ni totalement noir ni totalement blanc. Et certainement pas Mason lui-même !

Perry Mason compose sa carrière entre les méthodes discutables de son coté détective des bas-fonds et la rigueur administrative de sa nouvelle profession d'avocat. Ce qui n'est pas forcément du gout de Pete...

Et c’est sur ce point là je pense que les fans pourront être déstabilisés, voir en désaccord profond avec cette relecture plus nuancé du personnage. Fini l’honorabilité et la probité de la version Burr (qui restait certes un peu filou, mais toujours dans les limites de la Loi), place à un Perry Mason plus fourbe, plus retors et n’hésitant pas à contourner les règles, voir à les bafouer complètement, pour gagner son procès. Car même si à la fin l’honneur est sauf, la perfidie de la version Rhys peut choquer pour un héros censé incarner la droiture de la Justice. Mais il s’agit des débuts de la carrière d’avocat de l’ancien détective, et on peut (peut-être) lui pardonner cet écart de conduite.

Notre héros prête serment et entame un tournant dans sa vie qui le mènera loin...

Un autre point un peu décevant concerne la transition entre l’enquêteur et le magistrat. Et pour cause vu que les 15 jours où Perry Mason est censé potasser son droit pour passer l’examen du barreau…est complètement éclipsé ! Bon alors Okay il apprend en fait par cœur un examen semblable d’année en année mais tout de même quelques scènes sur cette phase d’apprentissage auraient été bienvenues. On manque un peu le cœur du sujet je trouve en zappant totalement cette partie…

Le célèbre générique refait son retour lors du final...en fait à chaque épisode une couche sonore se superpose à la trame de fond, se rapprochant de semaine en semaine du thème tant connu, comme pour signifier l'évolution de notre héros vers celui qu'il doit devenir. Il s'agit aussi de la seule référence claire à la série populaire qui l'a précédé.

VERDICT

Je n’avais donc absolument pas entendu parler de cette série avant de la voir débarquer du jour au lendemain sans signe avant-coureur. Intrigué par le nom porteur et une ambiance de polar noir, j’ai lancé le premier épisode…et je fus totalement conquis dès la première heure du show. L’attente fut longue entre chaque chapitre, et les retrouvailles hebdomadaires avec cet univers furent à chaque fois satisfaisantes. Matthew Rhys, Juliet Rylance et Chris Chalk forment un nouveau trio convaincant, assez bigarré mais complémentaire. Tatiana Maslany elle crève l’écran comme à son habitude, mais son personnage ne devrait pas revenir en deuxième saison, celle-ci devant se consacrer sur une toute autre affaire. Tiré cette fois-ci d’un des romans fondateurs, car si cette première saison est une pure création, celle-ci se termine en fait sur l’introduction du premier bouquin (la scène dans le bureau entre nos trois héros). Et de l’aveu même des créateurs l’intention est de faire de cette relecture de Perry Mason un peu ce qui a été fait avec la série Sherlock avec Benedict Cumberbatch et Martin Freeman (la comédie étant remplacé ici par la tragédie of course). Le succès de ce qui devait n’être qu’une mini-série ayant fait pousser des ailes aux équipes créatives derrière ce projet. On leur souhaite toute la réussite du monde ! Et vivement la suite des aventures de ce nouveau Perry Mason…

Le détective-avocat reviendra...et peut-être enquêtera t-il sur vous?