Précision : Cet article est une réédition 'augmentée' d'un post publié initialement le 2 Juin 2018
 
J'ai découvert Joel Dicker il y a quelques années, dans l’émission du samedi soir de Ruquier, à une époque où je regardai encore la télévision (que voulez vous on a tous connu des périodes sombres...). Il était venu faire la promo de son bouquin, qui cartonnait en librairie, un thriller captivant d'après les critiques. Plus que le livre c'est le bonhomme qui su me séduire: gueule de gendre idéal, réparties vicelardes, regard malicieux...avec le fond hautain de celui qui se fiche constamment de la tronche de son interlocuteur, un soupçon de condescendance, l'air de dire "Je suis plus malin que toi" avec son sourire mi sincère mi-moqueur. Un vrai roublard.
 
 
J'achetai peu après le livre en question. Et comme tout ceux qui l'ont lu le constat fut sans appel: "La Vérité sur L'Affaire Harry Quebert" est un chef d’œuvre. Le hasard de la vie fit que je lu coup sur coup deux œuvres littéraire qui me marqueront à vie, le suscité donc et juste avant lui l'homérique "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell (peut-être que je vous en parlerai un jour de ce dernier, mais rien n'est moins sur, il s'agit d'un livre...compliqué). En attendant cet hypothétique article je vais parler ici des différents livres de ce cher Mr Dicker, non pas dans l'ordre où je les ai lu mais dans celui de parution (car c'est plus simple). Je tiens à préciser qu'il y aura des spoilers sur les intrigues afin de mettre en évidence le coté 'méta' que l'on décèle quand on a lu tous les récits et qui renforce le coté filou de l'auteur...
 

Les Derniers Jours de nos Pères

Premier livre paru mais second en lecture en ce qui me concerne, on suit ici le destin de Paul-Emile et de son parcours au sein d'une branche spéciale des services secret britannique durant la seconde guerre mondiale. Et en parallèle la vie simple et candide de son père, resté à Paris.
Et soyons francs, je n'ai pas du tout aimé ce bouquin. Pourtant le contexte historique m'attire particulièrement mais reste en fait assez secondaire dans l'histoire. Le cœur du sujet reste la relation père-fils qui est d'une niaiserie confondante et au final assez peu crédible...relation qui bien entendu mettra en péril l'opération mise en place par les services secrets. Ainsi évidemment que les collègues et amis du jeune espion.
Trop naïf pour moi, ce premier roman ne m'a guère touché et sa lecture fut alourdi par tout ce coté mièvre en total opposition avec l'époque ou se déroule l'action.
 
 

La Vérité sur L'Affaire Harry Quebert

Là on entre dans le vif du sujet. Ce second roman de l'auteur suisse restera vraisemblablement comme son pinacle.
2008. Marcus Goldman, jeune écrivain new-yorkais, mène l'enquête afin de prouver l'innocence de son mentor Harry Quebert, chez qui on a retrouvé enterré dans son jardin du New Hampshire les restes de Nola Kellerman, disparue en 1975.
De rebondissement en rebondissement, de surprise en stupéfaction, de flashback en révélations, l'écrivain décortique petit à petit la vie de son modèle. Et comme à la boxe, sport fondamental pour l'accusé, chaque coup porté laisse ses marques. Le passé ne reste jamais enterré éternellement.
Véritable claque narrative, avec ses chapitres à rebours qui égrène à chaque fois en sous titre un conseil avisé sur comment écrire un bon bouquin, on est happé par cette enquête captivante qui sait tenir en haleine à chacune de ces pages.
Mais là où c'est très fort, c'est que le livre lui même se moque de son lecteur. Avec le livre dans le livre dans le livre, avec ses faux écrivains, ses vrais romans, ses mystères qui une fois résolus vous font considéré le bouquin même que vous tenez dans les mains...
Joel Dicker se confond avec Marcus Goldman (d'ailleurs pour moi le héros fictif à la tronche de l'auteur), et le destin du roman fictif se confond avec celui - bien réel - que l'on est en train de lire. Succès de fiction qui rejoint succès véritable, on est perdu entre l'imaginaire et la vraie expérience de l'auteur suisse.
Mais tout le truc est justement là: le fond du sujet de 'La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert' tient sur le fait qu'un écrivain à volé le livre d'un autre, un livre qu'il n'a pas écrit et qui à connu un succès phénoménal...et le parallèle d'être encore plus saisissant. L'écrivain Joel Dicker instaure lui même le doute sur le fait que ce roman soit bien de lui..et c'est là une entourloupe véritablement balèze! Le lecteur est saisi et devient lui même en quelque sorte complice du tour de passe-passe décrit dans l’œuvre! Non vraiment c'est très très fort!
 

De cette lecture mémorable je retiens ce qui est désormais ma définition de ce qu'est un bon livre. En ouverture de l'épilogue, le sage Harry Quebert délivre son dernier conseil:

"Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé"

Franchement, ce livre devrait être obligatoire à lire. La base de la base pour le genre thriller.
Lisez le. Vraiment! Vous m'en direz des nouvelles!
 

Le Livre des Baltimore

On retrouve ici Marcus Goldman mais dans un genre bien différent de sa précédente apparition. Point de meurtre à résoudre ici et point de thriller alambiqué mais un drame familial bien corsé, avec ses secrets enfouis et ses maisons pleines de souvenirs. L'auteur replonge dans son passé et celui de ses cousins, les 'Goldman de Baltimore'. Et décide de raconter leur tragique destin dans son nouveau roman : 'Le Livre des Baltimore'. Une fois de plus l'écrivain fictif fusionne avec son créateur.
Marcus Goldman nous en révèle plus sur son enfance, modeste, comparé a celle de ses cousins, fastueuse, auxquels il vouait une admiration sans bornes. Puis le temps et les aléas de la vie passent et petit à petit l'équilibre s'inverse. Et les malheurs s'accumulent pour cette famille opulente. Le récit nous décrit d'une part les souvenirs du jeune Marcus dans des chapitres 'flashback' et d'une autre part son enquête au présent pour démêler les parts d'ombre de cette chute vertigineuse.
Et bien sur sur au milieu de tout cela il y a eu 'la Fille'. Celle qui complétait le quatuor de gamin (Marcus, ses deux cousins Woody et Hillel et donc Alexandra) et qui bien entendu fut le début du 'schisme' entre les cousins.
Le livre est toujours aussi bien écrit mais de par sa nature même n'a pas été aussi marquant que son prédécesseur chez mon humble personne. Les drames familiaux, c'est pas trop ma tasse de thé...En reste cependant un bon bouquin qui se lit non sans déplaisir durant les longues heures d'avion ou de train.
 

La Disparition de Stephanie Mailer

A la veille de sa retraite de policier, Jesse Rosenberg reçoit la visite d'une jeune journaliste qui remet en doute l'une de ses plus fameuses enquêtes survenue 20 ans plus tôt. L'assassinat du maire d'Orphéa, petite ville des Hamptons et de toute sa famille. Ainsi que d'une joggeuse qui pour son malheur passait par là.
Il la rembarre assez sèchement, blessé dans son égo. Mais le doute est entré dans son esprit. Le lendemain, il apprends la disparition de la journaliste. Son nom : Stephanie Mailer.
Avec l'aide de son collègue de l'époque Derek Scott et d'une flic d'Orphéa, Anna Kanner, il va remonter le fil de sa propre enquête et dénouer ses propres erreurs. Et au centre de tout cela semble se trouver une pièce de théâtre assez obscure, qui sera joué au festival annuel de la petite bourgade...
Quand on a une recette qui fonctionne, il ne faut pas hésiter à la cuisiner à toutes les sauces. Pour être honnête, ce bouquin fait fusionner les formules des deux précédents : le coté Thriller de 'la Vérité...' et le coté drama des 'Baltimore'. Ajoutez également pas mal de personnages secondaires dont vous ne comprenez l'implication qu'assez tard dans le récit, dans des registres très différents. Certains d'entre eux sont clairement dans la comédie, d'autres dans le drame, d'autres dans la tragédie... puis à un moment donné vous rassemblez tout ce beau monde dans une scène clé...comme dans une pièce de théâtre quoi! Et pendant ce temps là les flics mènent leurs investigations, au milieu de toute cette agitation.
De nombreux aller-retour dans le temps parsèment les pages, en fonction des histoires racontées par les personnages aux policiers, mais il est aussi intéressant de lire les deux enquêtes en parallèle. En effet on suit celle de 2014 via le héros, Jesse, mais aussi celle de 1994 via son collègue Derek Scott. La construction de l'histoire est donc en forme de vague, on passe d'une époque à une autre, les révélations d'un chapitre permettant de mieux comprendre les péripéties du suivant. L'intrigue policière est assez tordue mais plausible avec cependant moins de panache que pour l'enquête sur Harry Quebert...Faute à des personnages moins attachants peut-être ou bien par ce coté trop gentillet, ou tout est bien qui se termine bien pour notre trio de héros. On arrive là à la critique fréquente sur ce livre et son auteur: il a tendance à devenir un écrivain 'à la Musso' ou à la 'Lévy'...c'est à dire des récits aseptisé avec une vague intrigue pour tenir en haleine le lecteur, mais dont sait pertinemment qu'à la fin le héros brisé retrouvera foi en lui même et finira avec l’héroïne...On perds dans ces deux derniers ouvrages tout le coté ambigu avec lequel il terminait son chef d’œuvre. C'est vraiment dommage et j'espère qu'il ne tombera pas dans ces travers d'écriture qui ferait alors de lui le nouvel 'écrivain à la mode' chez les lectrices...
 
 
Dans la catégorie spoiler et méta, on notera l'aventure d'un des personnages secondaire qui suite à tout un tas de mésaventure dont je vous passe les détails écrira une lettre de confession terrible qui sera prise pour un roman de fiction qui connaitra un certain succès. Impossible de ne pas y voir là un nouvel indice sur l'écriture de 'La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert' et son ambiguïté quand à son auteur...Encore une fois cela est malin et instaure un vrai doute dans l'esprit de son lectorat.
 

L'Énigme de la Chambre 622

Joël, un écrivain qui peine à écrire son nouveau roman et qui vient de perdre son grand ami et éditeur Bernard décide pour se ressourcer de partir quelques jours à Verbier, dans les Alpes Suisses. Assez rapidement il se retrouvera à enquêter sur un meurtre irrésolu qui se déroula dans son hôtel des années auparavant, et plus précisément dans la chambre 622.


Bernard de Fallois, éditeur et ami de Joel Dicker, disparu en 2018. L'écrivain rends hommage à son mentor dans 'la Chambre 622' en l'évoquant à de nombreuses reprises.

Premier couac dans l'œuvre de Monsieur Dicker avec ce cinquième roman dans lequel je n'ai pas réussi à m'investir. Pour dire, en feuilletant le bouquin pour me le remettre en mémoire en vu de cet article, j'ai retrouvé mon marque-page patientant encore à l'intérieur, en page 92. Pourtant c'est sans nul doute le récit le plus personnel de l'auteur qui s'y livre à cœur ouvert - parce que oui le 'Joël' est bien évidemment notre auteur. Mais je ne sais pour quelle raison, je ne suis pas parvenu à entrer dans cette histoire. Bon en fait si, je le sais. Je suis de ceux qui n'hésite pas à lire 'la fin des livres' avant de les commencer et celle de 'La Chambre 622' fait partie d'une catégorie que je n'apprécie pas : les 'histoires rêvées' ou juste 'imaginées'. Car en fait tout ce que nous lirons sera en vérité une 'histoire' fictive, le fameux roman que Joël ne parvenait pas à écrire au cours de l'ouverture du livre, et devant lequel on le retrouve à la fin, une fois toute les pages imprimées (je ne suis pas sur d'être très clair... pensez au 'Magnifique' avec Belmondo pour voir un peu le principe) et j'avoue que cette révélation à 'cassé' mon intérêt pour ce roman, qui avait déjà du mal à s'affirmer.
Alors je comprends bien une fois de plus le coté "méta" et la roublardise de Mister Dicker qui joue avec son lecteur mais cette entourloupe là, je ne l'apprécie pas, c'est comme çà. Chacun ses limites d'acceptation.
Avec du recul je me rends compte du coté un peu ridicule de mon rejet et cela pourrait m'inciter à retenter la découverte de cet ouvrage. On verra bien et si cela est le cas je mettrai à jour de nouveau cet article.

L'Affaire Alaska Sanders

On retrouve Marcus Goldman, devenue célèbre grâce à ses romans et qui une fois de plus se retrouve mêlée à une vieille histoire de meurtre d'une jeune femme, la fameuse Alaska Sanders du titre. Avec son comparse Perry Gahalowood ils rouvriront son dossier suite à de nouveaux éléments disculpant le 'coupable' qui croupit derrière les barreaux depuis 11 ans, et peut-être à tort. Mais en faisant cela ils déterreront également les secrets des familles liées à cette histoire, ce qui se révéleront pourtant indispensable pour démêler le vrai du faux dans cette enquête très alambiqué.
 

Contrairement au précédent travail de l'écrivain j'ai dévoré ce bouquin en quelques jours (et surtout quelques nuits). J'y ai retrouvé toute la maestria de Joël Dicker, son talent du suspens, de ses révélations qui retourne le cerveau, de ses personnages à tiroir, de son sens du tempo... Le duo de l'écrivain et du sergent (Marcus et Perry) fonctionne à merveille, chacun devenant la petite voix de l'autre, se répondant du tac-au-tac et permettant de confronter les hypothèses à la perspicacité de son comparse. Entre le flic bourru et taciturne et l'auteur à succès belle gueule garni de son sourire ‘Colgate’, les répliques cinglantes fusent à fond la caisse. Leur dynamique est vraiment un élément central qui fait qu'on ne décroche pas du bouquin.


Damon Wayans Jr (fils de son père) incarne Perry Galahowood, le flic raleur mais efficace

L'enquête en elle-même se révèle assez sordide, et plus on en apprend plus est choqué de ce qu'on découvre. Tout y passe, du plus banal au plus crapuleux. Mais comme d'habitude c'est dans la découverte des différents personnages et de leur parcours qu'on est subjugué par le talent de l'auteur. De véritables tranches de vies nous sont ainsi proposées, et comme on est dans du polar, vous vous doutez bien que ce n'est jamais vraiment la joie. On y suit donc tout un panel de 'petites' vies qui pour la plupart se termineront tragiquement. Et notamment bien entendu celle d'Alaska, véritable beauté, élue Miss et qui se prédestinait à une carrière d'actrice à New-York mais qui verra sa vie se terminer brutalement au bord d'un lac en 1999.


Dans mon 'esprit de lecteur', Forest Whitaker est le sergent de police Perry Galahowood tandis que Joel Dicker fusionne avec son personnage Marcus Goldman. Pas si éloigné de ce qui sera auditionné dans l'adaptation télévisuelle quand j'y pense...

Parlant temporalité, il faut noter que le roman se situe en fait entre 'La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert' et 'Le Livre des Baltimore' et se termine aux alentours de septembre 2011. Néanmoins l'épilogue laisse clairement entendre que nos deux héros se retrouveront en décembre 2012, ce qui fera donc suite aux événements du livre consacré aux cousins de Marcus, qui lui se terminait à Thanksgiving de la même année. Au passage, en relisant vite fait des passages de 'Baltimore' on se rend compte des liens entre les bouquins qui ne font que confirmer tout le talent de Joël Dicker. Le "Pourquoi écrivez-vous?" que pose Quebert à l'écrivain en fin de 'Sanders' trouvant sa réponse en conclusion de 'Baltimore'.

En six romans, Joël Dicker à su se forger une place dans les librairies, notamment grâce à la réussite absolu de son second ouvrage, un incontournable que tout à chacun se doit d'avoir lu. Ce teasing d'une nouvelle enquête à venir pour nos deux héros me met en joie et j'attends avec grande impatience la parution de cette histoire. Sera t-elle la prochaine à venir? Auront-nous d'autres récits entretemps? Quoi qu'il en soit je souhaite à Joël Dicker de trouver l'inspiration et de continuer à livrer des romans toujours aussi passionnants.

Tous les livres de cet article sont édités aux éditions De Fallois, à l'exception de ' L'Affaire Alaska Sanders', publié chez Rosie&Wolfe (maison d'édition fondée par Joël Dicker en personne)