M    oins de sept minutes. C'est la performance que McLaren a commencé à teaser au moment ou j'écris ces lignes pour sa P1 sur le Nürburgring. La dernière née de Woking rejoindrait ainsi les deux Radical SR8 et la Porsche 918 Spyder dans le club très fermé des véhicules homologués route à être passé sous la barre des sept minutes pour un tour du Nordschleife, reste à savoir si le record sera battu. Comment intrépide lecteur ? Tu t'en fous ? Tu ne sais même de quoi je parle ? Laisse-moi te montrer ce qui fait de la boucle du nord, l'Everest des circuits.

What the (green) hell are you talking about ?

 

Situé en Allemagne de l'ouest, à Nürbur, dans le länder de Rhénanie-Palatinat, le circuit du Nürburgring est en réalité composé de deux tracés, qui, à l'occasion des 24 Heures du Nürburgring, sont accolés pour n'en former qu'un. Le premier circuit, la fameuse boucle du nord, construite dans les années 20 n'est pas un circuit. En effet, les 20,83 km sur lesquels se répartissent 154 virages constituent la route à péage la plus chère du monde puisqu'il vous en coutera 27€ pour en faire le tour. La piste n'est pas que longue. Près de 1 000 pieds séparent le moint le plus bas et le point le plus haut du tracé. On y trouve des montées à 16 % de dénivelé et des descentes à 11%. Hormis le fait qu'il n'y a (quasi) aucune limitation de vitesse, le code de la route allemand est en vigueur. Il est donc, par exemple, interdit de doubler par la droite ou, plus surprenant, de filmer son tour. De même, si vous vous fracassez contre une barrière, vous payez la barrière. Ce statut de route fait que l'on peut y croiser n'importe quel type de véhicule, de la petite citadine au monstre préparé course en passant par... des bus touristiques !
Le second tracé, c'est celui qui vous voyez lors des Grands Prix de F1, le Nürburgring GP. Il fut construit au début des 80s pour remplacer le circuit existant devenu anachronique et bien trop dangereux compte tenu de l'évolution des performances des voitures modernes. Long de 5.148 km, c'est un circuit permanent qui a notamment accueilli à de multiples reprises le Grand Prix d'Europe de Formule 1, le Grand Prix d'Allemagne et plus étonnant, les Grands Prix du Luxembourg 1997 et 1998. Le championnat de DTM, entre autres, utilise également une version raccourcie de 3,629 km. Il n'a subi qu'une modification majeure en 2001 avec le remplacement de la première chicane par une succession de courbes sinueuses dont le fameux premier virage, l'épingle «Haug-Haken».
 
A gauche, la Nordschleife, à droite le circuit moderne
 
 

Promenons nous dans les bois, pendant que Fangio n'y est pas

Au début du 20e siècle, de nombreux circuits permanents sortent de terre pour faire face à l'essor des sports mécaniques et de l'automobile en général. L'Allemagne, nation à la pointe du design et de la technologie automobile, n'échappe pas à la règle et commence à étudier des solutions de circuit dès 1912. Aucun projet ne fut retenu à ce moment-là, la guerre interrompant les réflexions. En 1925 l'Allemagne est une des rares nations de "premier plan" européennes à ne pas avoir de circuit permanent. La France a Montlhéry, l'Italie, Monza et les Anglais, Brooklands. Le projet de circuit dans les collines de l'Eifel porté par le Dr Otto Creuz et appuyé par le maire de Cologne de l'époque, un certain Konrad Adenauer, est alors choisi. Creuz avait su convaincre la République de Weimar de financer le projet grâce à des arguments imparables : le développement du tourisme, la création massive d'emplois dans une région en difficulté et un outil de R&D sans égal pour l'industrie automobile allemande.

Le cahier des charges soumis à l'architecte Gustav Eichler exigeait que soit érigé un long et éprouvant tracé permettant de mettre en lumière les moindres défauts d'un véhicule. Le projet comporte en fait deux circuits: l'actuelle Nordschleife de 20.8km ou boucle nord pour les événements internationaux et la Südschleife, boucle sud de 7.5km pour les compétitions mineures. Ces deux pistes partagent la même pit-lane. Cependant, les deux circuits seront réunis lors de certains évènements pour former le colossal Gesamtstrecke de plus de 28km. Le 27 septembre 1925, le président du länder de Rhénanie-Palatinat pose symboliquement la première pierre du circuit et lance ainsi le chantier de 14.1 millions de Reichsmarks de l'époque (environ 42 millions d'euros). Plus de 3000 ouvriers furent mobilisés pour construire la future route qui portera le nom de 'Nürburg-Ring' en rapport à l'une des quatre petites villes qui l'enclavent (Nürburg, Quiddelbach, Herschbroich and Breidscheid).
 
La course inaugurale, la Eifelrennen, aura lieu le 19 juin 1927 et sera remporté par le prodige allemand Rudolf Caracciola qui deviendra le premier Ringmeister («Maitre du Ring»). Il fit d'ailleurs forte impression en empruntant la zone de fort banking bétonné censée servir au drainage dans le fameux Karussell. Le premier Grand Prix d'Allemagne sur le Nürburgring aura quant à lui lieu un mois plus tard et sera remporté par Otto Merz alors que Caracciola abandonnait sur panne mécanique. Pour la petite ananecdote, Merz avait été un des chauffeurs particuliers de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche et avait assisté à l'attentat de Sarajevo qui mena à la WWI.
 
Dès ses premières années d'existence, le circuit allemand commence à se bâtir une solide réputation. En effet, des foules allant jusqu'à près de 350 000 personnes venaient assister aux courses ultra dominé par les pilotes et voitures allemandes dans les années 30. A noter que c'est Louis Chiron en 1929 et sa modeste Bugatti qui signa la première victoire d'un non allemand. C'est aussi à cette occasion que l'on utilisera le tracé complet pour la dernière fois. Mais la première vraie légende du Ring date de 1935.
L'Allemagne finançait allégrement Mercedes et Auto Union et se servait en échange de leur domination pour la propagande. Lors du Grand Prix 1935, 300 000 Allemands dont Hitler himself étaient venus assister à ce qui devait être une victoire allemande écrasante. En effet, quatre Mercedes W25 étaient alignées dont une pilotée par Caracciola. Face à elles, quatre terribles Auto Union V12 de 4.9L. Et derrière les allemandes, on trouvait des Maserati, des English Racing Automobiles, des Bugatti privées et un certain Tazio Nuvolari dans la plus que vieillissante Alfa Romeo P3 de 3.2L. Au départ, et pendant les neuf premiers tours sur 22 de la course, tout semblait se dérouler comme attendu. Les allemandes dominaient et les autres faisaient ce qu'ils pouvaient. Nuvolari se contentant de faire son petit bonhomme de chemin qui l'amena tout de même à arracher le leadership de la course au 10e tour. A la mi-course, les arrêts aux stands redistribuent les cartes. Le pilote Mercedes Manfred von Brauchitsch repasse en tête grâce un arrêt éclair de 47sec alors que Nuvolari s'arrête deux bonnes minutes. Il lui fallait dépasser six allemandes s'il voulait l'emporter. A sept tours de l'arrivée, l'Italien avait déposé cinq des six voitures germaniques qui le précédaient comme si elles n'étaient pas dans la même catégorie. Il accuse à ce moment-là 1 min 27 s de retard sur le leader. A l'entame du dernier tour, seulement 30sec sépare les deux hommes de tête. Sentant la pression de l'Italien se faire de plus en plus oppressante, von Brauchitsch décida de pousser au maximum sa monture. Trop vraisemblablement. A 7 km de l'arrivée, une crevaison força l'aristocrate à abandonner, offrant la victoire à Tazio Nuvolari. Les Allemands étaient tellement sûrs de leur victoire qu'ils n'avaient même pas prévu ne copie de l'hymne italien pour la cérémonie de remise des prix. Une belle démonstration de la supériorité du talent et du courage humain sur la puissance et la science de la vitesse. Dans ta face Adolf !
 

Le résumé du Grand Prix 1968

Au fil des années, de grands noms du sport automobile se sont ajoutés sur la liste des Ringmeister tels que Fangio, Ascari, Stirling Moss ou encore Jackie Stewart et d'autres histoires incroyables vinrent alimenter la légende du Nürburgring. Pour le plaisir, je vais quand même vous parler de l'édition 1968 du Grand Prix de F1 remporté sous des conditions météo terribles par Jackie Stewart avec plus de quatre minutes d'avance sur le second. C'est à l'issue de cette course que le Britannique parlera de « Green Hell » ou « Enfert Vert » pour qualifier le tracé allemand. L'année suivante, c'est un autre Jacky qui créa l'événement puisque Icks est le premier à passer sous la barre des huit minutes pour un tour.
 
A l'aube des années 70, il était devenu clair que le Ring, mais plus généralement les grands circuits comme Spa ou Reims, étaient devenus bien trop dangereux compte tenu des vitesses atteintes par les voitures modernes. Il leur fallait s'adapter ou disparaitre. C'est ainsi qu'en 1970 de grands travaux sont entrepris afin de moderniser la piste. Des barrières sont installées, beaucoup de défauts de la piste gommés et certains virages retravaillés. Des changements qui ne feront pas l'unanimité comme l'illustre très bien Phil Hill qui parlera d'un Ring « émasculé ». Finalement, ces changements n'ont fait que rendre la piste encore plus rapide. La preuve, en 1975, Niki Lauda réalise un tour en 6 min 58 s pendant les essais. Mais tout cela ne changera rien. La CSI, l'équivalent de la FISA actuelle n'avait pas délivré l'homologation nécessaire au Ring pour pouvoir continuer à figurer au calendrier du Championnat du monde de F1 au-delà de 1976, année d'une autre légende du Ring, le tristement célèbre accident de Lauda.
La F1 retourna au Nürburgring, mais sur le nouveau circuit, celui construit au début des années 80. La Südschleife fut détruire pour y construire un nouveau circuit moderne, court, large et sûr.
 

Et maintenant ?

 

Aujourd'hui la Nordschleife est toujours en activité. Aussi bien utilisé par des compétitions telles les 24h du Nürburgring ou le championnat VLN, elle sert toujours aussi de laboratoire pour les constructeurs automobiles qui réservent régulièrement le tracé pour tester leur prototype de course ou de voiture de série. C'est aussi un formidable argument marketing pour eux. IIs se livrent à une guerre sans merci pour obtenir le meilleur chrono possible sur le Ring.
Au moment ou j'écris ces lignes, c'est une Radical SR8 LM qui détient le record pour une voiture homologuée route en 6 min 48 s. En effet, il existe deux classements, les voitures homologuées pour la route et les chronos faits en compétition. La tête de ce second classement est tenue par le regretté Stefan Bellof qui réalisa un temps de 6 min 11 s en Porsche 956. Ce record tient depuis... 1983 ! Il existe aussi d'autres chronos officieux comme le temps de la Pagani Zonda R ni voiture de course, ni homologuée route en 6 min 47 ou celui de Nick Heidfeld en BMW Sauber F1.06 qui aurait pu faire un tour aux alentour de 5 min 57 s s'il avait été jusqu'au bout. Les ingénieurs BMW estimaient possible un tour en 5 min 15 sec. On attend donc avec impatience le chrono exact de la McLaren P1. Sera-t-elle devant sa rivale, la Porsche 918 Spyder ou ira-t-elle jusqu'à battre ces parodies de voitures que sont les Radical ? Suspens...

Comme je le disais un peu plus tôt, le tracé à le statut de route ouverte. Vous pouvez donc vous y rendre et vous y tourner. Seulement, l'affluence sur le Ring a explosé ces dernières années et vraiment tous types de profil fréquentent la piste, du néophyte au fou du volant. Vous vous en doutez, les accidents ne sont donc pas des faits exceptionnels sur le circuit. Je n'ai pas trouvé de chiffre concret sur le nombre d'accidents mortels, j'ai lu entre 2 et 12 par an ici, 90 au total par là. Bref, sachez que ce risque existe plus qu'ailleurs et si l'accident n'est heureusement pas systématiquement fatal, cela peut vite couter très cher. Le remorquage est à vos frais, les éventuelles réparations du tracé aussi, certaines assurances ne couvrent pas forcément en cas d'accident là bas et si une défaillance de votre voiture cause l'accident d'une autre personne, c'est aussi pour votre pomme. Mais rassurez-vous, il existe des moyens de profiter du circuit en dehors de Gran Turismo. En effet, il existe les taxis du Ring. Mis en place par BMW Motrosport, des pilotes d'expérience vous emmènent faire un tour de la Nordschleife en BMW M5. Par contre, ce n'est pas donné (plus de 200€ le tour) et il vous faudra réserver au moins un an à l'avance.
 
En guise de conclusion, le superbe teaser de McLaren pour sa P1