Le Groupe Canal+ annonce “Canal+ Séries” une énième offre pour survivre dans le monde de Netflix et, encore une fois, cela risque de ne pas fonctionner. Cela marchera mieux que les dernières propositions du Groupe mais cela ne sera pas suffisant à cause d’une erreur majeure de marketing que Nintendo a notamment commise il y a quelques années.

Canal+ Séries est une offre de SVOD qui propose à son lancement l’accès à 5000 épisodes de séries, accessibles en streaming, contre le paiement d’une abonnement mensuel débutant à 6,99€/mois pour un écran (tout en incitant explicitement les utilisateurs à partager leur accès). Un catalogue issue de 150 séries dont 90% ne seront pas trouvables ailleurs et visionnables en 4K (quand c’est possible) à partir de l’abonnement d’entrée de gamme, voilà deux points intéressants que l’offre a à faire valoir face à Netflix. Passons maintenant à là où ça se gâte.

PARTAGEZ VOS CODES... Ils auraient pu rajouter SVP que ça n'aurait pas été de trop.

L’offre, qui remplace CanalPlay (l’ancien service de SVOD du Groupe Canal+), sera présente dans MyCanal. Maxime Saada, le Président du directoire du Groupe, a indiqué qu’il fallait considérer l’offre comme complémentaire à la concurrence étasunienne (de là à considérer qu’il s’agit d’une aveu de faiblesse de l’offre, il n’y a qu’un pas) tout en déclarant que la vraie réponse du groupe à Netflix, c’est MyCanal. Et c’est ici que les choses commencent à se compliquer. C’est quoi exactement MyCanal, la “plateforme de vidéo 100% digitale” ? Et bien, c’est le bordel.

 

 

Je ne vais pas m’amuser à énumérer la très longue liste des absurdités des offres de MyCanal,

que vous pouvez retrouver par vous-mêmes sur leur site,

donc voici une sélection de morceaux choisis :

 

(SPOILER ALERT : C'est relou)

 

  • On peut s’abonner sans engagement mais aussi avec 1 an ou 2 ans d’engagement
  • La première offre s’appelle “Canal+” et contient les chaînes “Canal+” et “Canal+ Décalé” (jusqu'ici tout va bien même si le nom de l'offre est un peu limite)

Prix sans engagement et avec 2 ans d’engagement : 19,90€/mois* avec un mois offert

Prix avec 1 an d’engagement : 24,90€/mois* sans mois offert (n'importe quoi)

  • La deuxième offre s’appelle “Canal+ et les chaînes Canal+” ?

Elle contient les 2 chaînes de la première offre auxquelles s'ajoutent les chaînes “Canal+ Cinéma”, “Canal+ Sport”, “Canal+ family” et… *roulement de tambour* “Canal+ Séries”, qui est, a priori, une chaîne de télévision linéaire classique et pas le service de SVOD annoncé. (WTF)

Prix sans engagement : 34,90€/mois*

Prix avec 1 an d’engagement : 39,90€/mois* (Toujours pas logique mais cohérent?)

Et je vous passe les modalités (la petite étoile à côté de chaque prix)
qui sont un enfer-sur-terre avec notamment :

  • Des options offertes qu'il faut résilier sinon elles deviennent payantes au bout de quelques mois
  • Les reconductions d'abonnement :
    mensuel pour les offres sans engagement
    mais annuel pour les offres de 24 mois...
  • Et j’en passe volontairement.

BREF ! Si vous avez du temps à perdre et que ça vous amuse, il y a de quoi faire à explorer ce bazar. Mais vous ne le ferez probablement pas, parce qu’il existe une multitude jeux en free-to-play bien plus intéressants. Je vous mets quand même le lien pour vous occuper pendant les temps de chargement de Fortnite : https://boutique.canal.fr/offres-packagees

 

 

En face, chez Netflix, les seuls facteurs à prendre en compte sont le nombre d’écrans simultanément accessibles et la qualité d’image souhaitée, la réponse de Canal+ semble être un fatras qui veut absolument préserver ses offres historiques en empilant les rustines pour soi-disant s’adapter aux évolutions du marché par à-coups tout en ne bousculant surtout pas les plus anciens abonnés qui paient un prix très élevé depuis le 20ème siècle.

 

Revenons donc à la dernière rustine, Canal+ Séries, l’offre de SVOD, qui n’est pas la chaîne de télévision linéaire qui porte le même nom, à moins que ce ne soit le cas. ET IL EST LÀ LE PROBLÈME MAJEUR ! Cette nouvelle offre indépendante porte EXACTEMENT le même nom qu’un sous-produit déjà existant depuis plusieurs années ! C’est comme si Microsoft annonçait demain un service de jeu vidéo en streaming qui s’appelle Xbox Live Gold, sans préciser s’il y a un lien avec le service portant déjà ce nom depuis des années. Ce serait une aberration.

 

 

Sans compter qu’il est très difficile de faire un mot-dièse avec un nom pareil :

  • #canalplusseries ? Très inconfortable à écrire sur un smartphone et à lire.
  • #canal+series ? Twitter n’accepte pas le “+” dans un mot-dièse.
  • #canalseries ? Ce n’est pas le nom du produit.

Ne pas prioriser l'importance des échanges sur les réseaux sociaux à notre époque est une erreur de vieux.

 

 

Qui plus est, il s'agit d’un service de SVOD auquel on peut souscrire indépendamment de toute offre de MyCanal comprenant la chaîne TV Canal+. Le nom de Canal+ Séries va entraîner des confusions. Si ce produit est indépendant de Canal+, la vieille chaîne de télévision linéaire, pourquoi lui avoir donné le même nom ? Dans un environnement concurrentiel aussi intense que celui du marché de la télévision du premier quart du 21ème siècle (et ce n’est que le début), les clients n’ont pas le temps de chercher à décrypter et iront naturellement vers l’offre la plus simple et la plus complète. On se casse suffisamment la tête sur des choses importantes pour ne pas avoir à le faire pour choisir une offre de divertissement. Les confusions engendrées par le marketing de cette offre seront autant d’abonnés en moins au service. Des confusions comparables à celles créés par le nom de la Wii U que le grand public a considéré comme un accessoire de la console Wii alors qu’il s’agissait d’une nouvelle machine indépendante.

 

 

 

Le Groupe Canal+ semble avoir un problème de culture qui impacte directement son marketing. Il suffit de lire la page présentant les offres packagées de MyCanal où le mot “CANAL” apparaît QUARANTE-SEPT fois ! Comme s’il s’agissait d’un mot magique… Sur la page des offres de Netflix, le nom de la marque apparaît seulement 2 fois. Ce qui est rare est précieux, paraît-il…

 

 

Comme dit précédemment, l’offre est probablement trop faible face à la concurrence. Pourquoi se contenter de séries quand on peut aussi avoir des films ailleurs ? Et les séries des concurrents sont globablement aussi de bonne qualité. C'est pour cela que l'offre a été présentée comme "complémentaire". Certes, il y a un marché de sériephiles à conquérir mais cela reste une niche. Le Groupe Canal+ dispose de très beaux actifs qu'il vend par pièces détachées pour proposer une stratégie de gamme avec des prix progressivement toujours plus élevés pour protéger une rente qui ne cesse de s’amoindrir inexorablement. Pour imager, le bateau semble couler et Canal+ veut écoper coûte que coûte et boucher les trous avec du scotch au lieu de construire un nouveau navire rutilant qui pourra affronter les prochaines tempêtes. Les tempêtes Disney, Amazon et Apple...

 

 

Netflix a réussi en proposant une “offre qu’on ne peut pas refuser”. Pour une dizaine d’euros par mois, un accès illimité et instantané à des milliers d'oeuvres audiovisuelles de qualité professionnelle et sans aucune publicité. Qui peut refuser cela face à la publicité télévisée, au coût d’achat ou de location des films à l'unité, aux contraintes du piratage et aux budgets réduits des productions diffusées sur YouTube ?

 

 

En face, Canal+ empile dans sa gamme des offres que l’on peut refuser. Certes, elles touchent un certain public mais beaucoup moins que “tout le monde”. Les concurrents américains ont la politique du “Winner take all”, à savoir viser la situation la plus monopolistique possible pour engranger le maximum de bénéfices sur le long terme, comme le fait Google pour les publicités sur les moteurs de recherche et Facebook pour les publicités sur les réseaux sociaux. Pour atteindre ce “tout le monde”, il n’y a aucune autre stratégie possible que de proposer une “offre qu’on ne peut pas refuser”.

 

Disney a annoncé très récemment que son service de SVOD nommé Disney+ proposera l’intégralité des classiques d’animation, quitte à phagocyter son activité de vente de vidéo sur disque, pour proposer une “offre qu’on ne peut pas refuser”.

 

 

Si le Groupe Canal+ devait suivre cette logique, la chaîne ne devrait proposer qu’une seule offre sans décodeur, accessible depuis le web, avec l’intégralité des chaînes et services disponibles, soit l’Offre Intégrale comprenant 90 chaînes premium plus des options, pour une dizaine d’euros par mois sans engagement au lieu des 109,90€/mois actuels avec 1 an d’engagement. Une offre imaginaire “qu’on ne peut pas refuser” qui serait vraisemblablement à perte pour le Groupe Canal+, comme l’est Netflix dont le seuil de rentabilité est attendu pour 2021 et comme le seront les services de streaming de Disney, Apple et Amazon pendant plusieurs années.

 

 

Un tel mouvement serait d’apparence très risqué (et c’est le cas, une étude très approfondie serait nécessaire) mais Canal+ est dans un étau (tout du moins sur le petit marché français, je connais peu la situation internationale du Groupe qui semble bien meilleure à l’étranger). Canal+ possède aujourd’hui des clients prêts à payer plusieurs dizaines d’euros par mois pour leurs contenus télévisés. Quand ces mêmes clients réaliseront dans quelques années que, pour des montants comparables, ils peuvent accéder aux immenses catalogues de Netflix, Disney, Amazon et les retransmissions sportives qui s'éparpillent sur différents services, ils feront un arbitrage que beaucoup d’autres anciens clients ont déjà fait.

 

 

Pour proposer à 10€ un abonnement à plus de 100€ aujourd’hui, il faut 10 fois plus de clients pour arriver au même chiffre d’affaires (prouvé scientifiquement). Proposer une offre unique, si peu cher et distribuée uniquement sur le web, s’accompagnerait d’une réduction conséquente des coûts de fonctionnement de l’entreprise qui serait dramatique pour l'emploi : Terminé notamment la production des décodeurs ainsi que leur commercialisation, leur distribution et leur support. La simplification de l’offre entrainerait la simplification du fonctionnement de l’entreprise.

 

Le propre de “l’offre qu’on ne peut pas refuser” et de se propager rapidement par le bouche-à-oreille, que l’on appelle désormais viralité. Ce genre d’offres intéressent le public et bénéficient généralement d’une large couverture médiatique. Le Groupe Canal+ pourrait tester une telle proposition par le biais d’une série limitée en vente privée pour limiter les craintes et commencer à récolter des données sur la vitesse de propagation d’une telle offre afin d’estimer les premières projections de croissance.

 

 

Lors de la présentation du service de SVOD Canal+ Séries, le Groupe a déclaré que cette offre propose aux clients bien plus que son prix. Or, ce n’est pas un dirigeant qui décide de la valeur d’un produit mais le marché. Si personne n’achète un produit, il ne vaut rien. Au contraire des produits de luxe ou des crypto-actifs qui ont un prix élevé parce que des clients consentent à le payer.

 

Ces sneakers Gucci sont vendus entre 600 et 900 dollars.

 

Pour terminer sur un anecdote personnelle, il y a plusieurs mois, Canal+ avait proposé en vente privée à -50% son offre “Canal+” sur MyCanal, soit grosso modo 10€/mois au lieu de 20€. J’ai souscrit puis j’ai résilié car je la trouvais trop cher en comparaison de Netflix. Pour le même prix, Canal+ me proposait des films plus récents mais en moins grande quantité. J’ai alors arbitré que j’aurais conservé l’offre pour 3,99€/mois, pas plus. Soit 10 fois moins que le prix historique de Canal+ à 40€/mois. Alors qu’il m’arrive de payer 10€ pour voir un seul film au cinéma.

 

 

Apple annonce son service de vidéo à la fin du mois de mars 2019, Disney+ arrive en 2020 en Europe et la série Le Seigneur des Anneaux d’Amazon Prime Video est annoncé pour 2021.

 

Bon courage aux équipes de Canal+.