Compte tenu du concert de louanges que reçoit le jeu -pas imméritées au demeurant, mais ce sera l'objet d'un prochain article-, il me semblait intéressant de revenir sur les déceptions qu'il a néanmoins pu me faire ressentir. Ce n'est en effet rendre service à personne que de fermer les yeux sur ce qui diminue l'impact de son expérience. Développeurs de Rockstar, lisez bien ce qui suit s'il vous plait.

Ce billet regorge de spoilers sur le scénario du jeu.

Tout commence tranquillement. Les références à GTA IV sont là, et il débarque du bateau, au milieu de la foule, à Blackwater. Encadré par deux hommes peu amènes, escorté à travers la ville, il monte sans un mot dans le train. S'ensuit une traversée des grandes plaines de l'Ouest, plus pour poser le décor que réellement introduire l'histoire. Les critiques à peine voilées de la religion, de la politique, de la colonisation, fusent, plus ou moins pertinentes pour la suite des événements. Ce n'est qu'une fois arrivé à Armadillo, petit trou poussiéreux perdu au milieu de nulle part que se lève le voile sur l'intrigue, alors que le soleil se couche. Marston, c'est son nom, est envoyé à la demande d'officiers de Blackwater pour trouver son ancien camarade de gang Bill Williamson. Il se dirige donc vers Fort Mercer ou se tapit le bandit, et se présente seul aux portes du repaire. Avec ses gros sabots et sa naïveté en bandoulière, Marston ne va pas bien loin : Williamson, trop heureux d'être enfin libéré de l'ombre de Marston et de Dutch, ne s'en laisse pas conter et le met promptement hors d'état de nuire.

Des doutes sur le héros qui empêchent l'empathie
Ce n'est peut être pas très sensible lors de la découverte du jeu, mais cette intro me laisse tout de même un peu sur ma faim. Comme le souligne Bonnie qui le récupère quelques moments après, cette tentative parait bien peu motivée. Je pense que l'effet désiré était de provoquer la sympathie ou la compassion du joueur à l'égard de Marston et de nous monter contre Williamson.
Mais étrangement, j'ai du mal à en vouloir à Williamson -au delà de son mépris affiché pour la langue anglaise, s'entend- quand Marston s'attèle à sa tâche avec si peu de volonté et de préparation. Il a beau plus tard invoquer la diplomatie ou une chance laissée à un vieil ami, cela reste peu crédible à mes yeux, et ne fait que jeter encore plus le doute sur ses intentions.
De même, il ne semble ensuite pas particulièrement pressé de reprendre sa quête, en participant aux activités du ranch (au crédit du jeu, Marston n'est pas vraiment en état non plus à ce moment là). Il entre néanmoins rapidement en contact avec le shérif local pour s'octroyer une deuxième chance d'accomplir sa mission. Et là, la question des motivations et de l'honnêteté de l'ex-hors la loi est à nouveau posée. 
Le shérif Johnson est en effet assez méfiant, et John semble à de nombreuses reprises rechigner à expliquer sa version des faits. Mais ce dernier se livre tout compte fait à l'exposé de sa situation à chaque fois qu'il rencontre un nouveau personnage. Ce rituel se répète inlassablement, Marston ne voulant pas trop en dire mais livrant à chaque fois la même histoire à tous, indépendamment de la confiance qu'il peut logiquement leur accorder. Cela m'a conduit à penser à une supercherie (après tout, il n'avait pas l'air bien motivé pour sauver sa famille dans sa première mission suicide, et le jeu n'offre aucune preuve irréfutable appuyant sa version des faits lors de l'introduction). 

Première erreur de ma part, Marston s'avère au final parfaitement honnête. Pourquoi pas, c'est un choix des développeurs, il invalide notablement tout un système de jeu censé proposer une alternative valide entre le brigand de grand chemin et l'incarnation de la bonté divine, mais soit.
J'ai tout de même du mal à comprendre le but de ce procédé, si ce n'est faire douter le joueur de son propre personnage, le pousser à s'en méfier, alors qu'il apparait au final qu'il n'a aucune raison de le faire. Il aurait à mon sens été plus profitable de faire jouer directement la scène cruciale dans la vie de Marston, où il a été laissé pour mort lors d'un pillage de banque. D'une part, parce que vivre un pillage de banque aurait été spectaculaire et qu'on est privé de ce moment iconique du western dans le scénario, et d'autre part car cela aurait justifié ou mieux amené un ressentiment du joueur vis à vis de la cible de Marston, beaucoup mieux que cette première rencontre. Ou alors voir la famille de Marston prise de force par les autorités, enlevée, pour créer un lien avec cette famille et en vouloir au gouvernement (l'absence de la famille Marston conduit naturellement les joueurs à s'attacher à Bonnie plus qu'il n'est raisonnable pour John).  En tout cas, une ouverture, plus percutante, in media res, qui n'est pas obligée d'éventer toute l'histoire et la progression scénaristique du jeu pour autant, mais qui permet d'impliquer les joueurs dans la quête du héros et pose mieux les enjeux. Je n'arrive pas à cerner les bénéfices de telles omissions, qui me semblent trop énormes pour ne pas être volontaires.



Des contradictions en pagaille
A ce stade, je me demande pourquoi je trouve si important d'impliquer ainsi le joueur dans la quête du héros. Ce serait même plutôt à l'encontre du scénario du jeu, de ne présenter que le braquage, donnant une vision déformée des pensées réelles de Marston, qui malgré les épreuves et la distance qu'il a mis avec sa bande, partage beaucoup avec elle. C'est cette nuance apparente du personnage que je ne m'explique pas en fait. Il m'apparait assez contreproductif de tergiverser. Il n'a réellement que deux options : faire assez confiance à Ross et son acolyte et exécuter ce qu'ils demandent dans l'espérance qu'ils remplissent leur part de l'accord, ou se rebeller contre eux pour sortir sa famille de leur emprise. Mais perdre son temps n'est en rien une solution valide. C'est tout à son honneur de vouloir aider son prochain, mais l'urgence de la situation, ou du moins l'envie de Marston d'y mettre un terme au plus vite, a du mal à transparaitre. Plus exactement, elle transparait, Marston ne perdant pas une occasion de se plaindre à ce sujet, mais cela n'est suivi d'aucune action. C'est logique après tout, pour un jeu vidéo, le joueur a envie de découvrir le monde plutôt que de rentrer vite fait à la maison.
Mais cette dichotomie entre les paroles de Marston, censé vouloir retrouver sa femme et son enfant au plus vite, et les actes de Marston et du joueur, qui finalement fait des missions pour des escrocs du dimanche, ou la cueillette dans le désert, dichotomie renforcée par le sentiment de méfiance qu'inspire Marston, crée un sérieux fossé avec le joueur.
Ce sentiment est d'autant plus exacerbé qu'à côté, le jeu nous promet de pouvoir modeler Marston à notre guise, à travers ses habits et surtout, à travers les choix qu'il doit faire, plus ou moins moraux, lors des nombreux événements ponctuels qui surgissent. Cette apparente liberté de choix est de toute façon biaisée dès le départ. Marston apparait toujours soucieux de son prochain, parfois même à son propre détriment, dans les cinématiques. La voie du bandit est ainsi en complète contradiction avec le personnage dépeint par ailleurs. On n'a finalement pas le choix de ne pas aider le Marshall ou Bonnie. Marston n'"utilise" jamais personne pour son profit ou la réussite de sa mission. Il est toujours honnête, toujours intrinsèquement bon. Même intrinsèquement bonne poire quand il aide encore et encore West Dickens, Seth et Irish, avec des résultats qui se font très visiblement attendre.
Pire encore, après s'être fait avoir par Irish une fois de plus lors de l'arrivée au Mexique, il suit sans sourciller ses conseils pour se faire ses premiers contacts sur place. Et cerise sur le gâteau, il va à l'encontre de tout ce qu'on l'a vu faire en participant au raid contre un village mexicain pour fournir des femmes au président, incendiant les maisons d'innocents paysans.



Une impuissance inexplicable
On a donc un personnage bon à en être stupide, qui n'assume jamais ses convictions, incapable de prendre la moindre initiative, et qui n'a même pas l'air d'être si pressé que ça de retrouver sa famille.
Difficile de le trouver crédible, de compatir ou d'être impliqué émotionnellement dans ce qui lui arrive dans ces conditions. 
Le fait qu'il se fasse avoir à répétition, par le général Allende qui l'utilise et cherche à se débarrasser de lui, par son sous fifre qui ment sur la cachette de Williamson, par Ross qui lui demande toujours plus, et finalement vient le tuer n'est que juste retour des choses.
Dans le cas de la trahison de Ross, on comprend que Marston est victime de son passé, qu'il a joué dans les règles et qu'il a perdu, que la rédemption ne lui serait pas accordée par la société, et on compatit, il y a un message. Mais pour Allende, le joueur ne peut que conclure que Marston l'a bien mérité, la seule leçon qu'on en tire est simpliste "ne pas faire aveuglément confiance à un méchant notoire". Ce n'est pas comme si le jeu dépeignait tout le monde comme moralement gris, Bonnie, le Marshall, Landon Ricketts, bien qu'imparfaits, montrent tous l'exemple. Travailler pour Allende n'est donc en aucun cas une nécessité comme pouvait l'être travailler pour Ross. C'est juste un choix stupide et injustifiable du héros, qui apparait impuissant face aux événements.
Et là encore, cette impuissance est exaspérante. Pas en tant que telle, le jeu pourrait en tirer partie intelligemment, mais parce qu'elle contredit encore une fois l'expérience du joueur. Cette impuissance n'est que le fait des cinématiques, et se traduit mal en jeu (une fois qu'on a compris l'apport du Dead Eye). Comment expliquer sinon que les moments ou Marston est le plus vulnérable soient ceux ou il contrôle une gatling (!) ou affronte la faune ?
Marston se défend de participer à la révolution Mexicaine ou à sa répression, mais tout ce que le joueur voit de ce soulèvement se limite à un bouffon parlant en anglais à 11 paysans à Chuparosa, et les hectolitres de sang qu'il verse lui même. Quand le joueur a l'impression de faire le travail d'une armée, pour chaque camp, que ceux ci le traitent comme un ajout inestimable à leur force de frappe, difficile de croire longtemps à son impuissance.



Un problème dans la formule ?
Je me demande si ce système de progression par missions n'a pas fait son temps. Pour tous les efforts (réussis) consentis à côté pour proposer des situations au joueur à chaque instant avec des petits évènements scriptés auxquels le joueur est libre de prendre part, Marston est toujours prisonnier de ces marqueurs de missions, qui suppriment toute temporalité, et surtout placent trop souvent le joueur dans un état de soumission vis à vis du commanditaire. Ces marqueurs auraient pu être des lieux de rencontre, où le personnage discute avec son interlocuteur pour prendre ensuite une décision concertée ou non sur la marche à suivre, comme cela peut être le cas dans les excellents derniers moments de Vice City ou dans The Ballad of Gay Tony. Mais non, il s'agit ici le plus souvent (et GTA IV comme The Lost and Damned s'en rendent aussi coupables) de compléter une tâche qui n'a rien à voir avec l'objectif avoué du personnage, de s'en plaindre ouvertement, mais de l'exécuter tout de même, entrainant une grande frustration chez le joueur de se faire ainsi balader, de se faire consciemment et volontairement avoir. 
Pourquoi ne jamais mettre la raclée qu'ils méritent à ces personnages (West Dickens qui se fout de notre gueule, Seth dont je cherche encore l'intérêt, Irish dont la survie dans l'Ouest me parait défier toute logique, Reyes pour sa stupidité confondante, MacDougal pour son délire permanent affligeant). Nul doute que ces personnages ont une vocation comique. Ils pourraient l'être. Mais je me suis construit l'idée d'un Marston concerné par sa famille, avec un passé de truand à dépasser, mais un honneur bien présent. C'est ce qui est annoncé dans les trailers, ce que suggère le jeu dans ses meilleurs moments. En adoptant ce point de vue, ces personnages ne sont finalement que des obstacles, des parasites. Si Marston peut leur accorder le bénéfice du doute au début, vient un moment ou sa foi aveugle en l'espèce humaine n'est plus acceptable, son temps et ses ressources plus illimitées.

Même le dernier segment du jeu, qui le voit enfin retourner à sa famille et poursuivre une vie "normale", n'arrive pas à effacer l'ardoise. L'éducation de son fils, bien qu'un peu clichée, réussit bien à nous impliquer et à donner tout son sens au dénouement. Reste un détail dérangeant inexpliqué : le continuel mépris à l'encontre du vieux (le pauvre s'est déjà semble-t-il vomi dans sa barbe, pas la peine d'en rajouter...). Ce dernier est bien évidemment coupable de certains manquements, mais l'acharnement dont fait preuve Marston à son égard peine à trouver une réelle justification. Encore une fois, la volonté des scénaristes -la dureté des paroles semblant éloigner l'hypothèse d'un ressort comique- m'échappe entièrement.

Au final, cette somme de faiblesses et de contradictions inexplicables dans le caractère du héros lui auront fait perdre tout espoir de rédemption à mes yeux.