Suite de ma rétrospective sur Uncharted, après les articles sur Drake's Fortune et Among Thieves.

Attendu comme le messie avant sa sortie suite à l'immense succès de son prédécesseur, Uncharted 3 Drake's Deception a logiquement déçu certains espoirs placés en lui. Que certains y voient la faiblesse du game design d'origine enfin reconnue comme telle après la hype d'Among Thieves, une formule qui s'essouffle déjà, le résultat d'un marketing à la limite du spoiler ou encore le travail bâclé de la deuxième équipe de Naughty Dog, les joueurs semblent bien moins emballés par ce troisième épisode.
N'écoutant que mon esprit de contradiction invétéré (ou mon fanboyisme pathologique), me voici parti pour tenter de redorer le blason de ce volet, à tout le moins débattre des mérites de certaines évolutions.

Fan service, ou le retour des personnages favoris
Aussi défaillante et circulaire que cette logique soit, une des principales forces de Drake's Deception est ce que faute de mieux j'appellerai le fan service. Prendre un soin particulier à rendre les personnages encore plus attachants, jouer sur leurs forces, donner un peu à voir, suggérer encore plus, sans pour autant se renier. Ainsi, tous les personnages reviennent pour leur quart d'heure de gloire, et Sully, qui au chagrin de beaucoup ne faisait que passer en coup de vent dans le deuxième épisode, retrouve une place au centre de l'intrigue.

Elena revient aussi plus craquante que jamais, femme forte, indépendante, moderne, conjuguant encore une mission noble, grand reporter au Yémen, avec son cœur sur la main, comme le prouvent sa détermination à sauver Sully, et son alchimie indéniable avec Nate. Sa relation avec le héros se voit aussi astucieusement pimentée par leur mariage qu'on devine s'être vu contrarié par les lubies mythiques de Drake. Les meilleurs moments de l'histoire sont sans conteste les leurs.

Le retour le plus inattendu est finalement celui de Chloe, l'aventurière séductrice. On aurait pu croire que la résolution du triangle amoureux à la fin d'Among Thieves l'aurait relégué pour de bon à l'arrière-plan, mais son inclusion lui permet justement de dépasser le simple statut de love interest/flavour of the week/eye candy. Elle prouve ainsi sans effort et sans ambages qu'elle a toute sa place même quand la caméra ne fait pas de gros plan sur son postérieur.

Tout aussi notable, le petit ajout surprise au groupe, Cutter. Derrière ses extérieurs de brute épaisse, son accent à couper au couteau et son aspect patibulaire, il cache bien son jeu. Il fut même présenté comme un méchant, à travers les trailers, et jusque dans les équipes de la bêta multijoueurs. Cela ne rend la « révélation » de sa duplicité que plus savoureuse, et il s'avère au final être aussi cultivé, drôle et malin que Nate, avec son lot de traits uniques pour faire bonne mesure, comme sa peur des espaces étroits.

Enfin, le flashback sur la rencontre de Nate et Sully, même s'il ne change guère notre façon de voir la relation entre les deux hommes, constitue un appréciable cadeau pour les fans. Que Naughty Dog ait réussi à conserver la surprise ne la rend que plus douce lorsqu apparaît Mini Drake à l'écran. Ce retour dans le passé, dans la jeunesse du héros, oblige aussi les développeurs à revisiter les bases du gameplay. Filature et courses poursuites viennent ainsi se substituer aux gunfights qui siéraient peu à l'adolescent. L'épisode est également l'occasion de présenter le personnage de Katherine Marlowe comme connaissance et ennemie de longue date de nos héros, et de poser leur affrontement sur les traces de Sir Francis Drake au cœur de l'intrigue.

Katherine Marlowe, témoin d'une violence revisitée
Le personnage de Katherine Marlowe est d'ailleurs un bon révélateur des ambitions de Naughty Dog pour cet épisode, et des ajustements réalisés après le deuxième titre. Là ou Zoran Lazarevic représentait la force brute, physique, jusqu'à la caricature, avec sa stature imposante, son crâne rasé, ses cicatrices, et son passé de criminel de guerre serbe, Marlowe est elle une vieille lady anglaise, dont les répliques et le ton sont néanmoins aussi menaçants que n'importe quel fusil à pompe. On est toujours dans le domaine du blockbuster, mais on passe d'un ennemi « boss de jeu vidéo », à un méchant de James Bond, au plan machiavélique bien qu'un peu capillotracté, accompagné comme il se doit de son bras droit qui se charge de la sale besogne. Ce rôle revient ici à Talbot, personnage ostensiblement mystérieux, qui tire sa force de pouvoirs aux atours occultes. Si certaines zones d'ombre restent problématiques, notamment en ce qui concerne ses disparitions, ses cartes de tarot, ou le coup de feu qu'il reçoit, l'inévitable passage surnaturel de l'aventure a au moins le bon goût d'éviter le ridicule des gardiens violets déguisés en yéti. Les ennemis enflammés qui se téléportent combinent un gameplay un poil plus intéressant que les éponges à balles précédemment citées et une justification plus simple, reposant simplement sur une drogue hallucinogène.

On observe donc un recadrage sensible pour cet épisode, avec un poil plus de développement narratif qui vise à le rapprocher de ses modèles cinématographiques, Indiana Jones en tête, et dans la même foulée, une volonté notable d'infléchir (un peu) la violence débridée de la série. Cela passe comme on l'a vu par la présence d'un MiniDrake désarmé et de nouvelles phases de course poursuite, mais aussi par des énigmes un peu plus intéressantes, l'accent mis sur les affrontements à mains nues, et l'importance déterminante de l'infiltration dans l'approche des gunfights. Paradoxalement, je trouve l'évolution du corps à corps assez ratée, car limitant les choix du joueur à la manière d'un QTE, mais l'intention est louable. Les phases d'infiltration sont elles un poil plus corsées, avec des zones plus ouvertes et des ennemis plus nombreux, mais les efforts du joueur sont bel et bien récompensés.

Des combats plus chaotiques
Ce qui est loin de signifier que les combats épiques de l'épisode précédent contre des dizaines d'ennemis ont disparus. Ils sont toujours présents, même s'ils arrivent plutôt tardivement et si le feeling de l'épisode précédent ne revient totalement qu'au chapitre 13, dans le cimetière de navires. On retrouve alors des combats viscéraux, et sensiblement plus chaotiques au passage. En effet, tout conspire à nous mettre constamment sous pression : les ennemis très mobiles qui n'hésitent pas à vous rusher, les arènes ouvertes, ou encore les fréquentes grenades. Il n'est plus question de bien gérer le combat depuis l'abri d'une couverture, mais de rester en alerte, de battre en retraite devant l'avancée inexorable des soldats en armure, et de renvoyer les grenades qui tombent à nos pieds. Le jeu arrive à bien se renouveler avec des situations originales : introduction de l'eau pour se dissimuler dans le cimetière de bateaux, plateformes mobiles qui jouent sur la visibilité, la visée mais aussi l'équilibre, gunfights verticaux accroché aux excroissances des coques de navires, affrontements dans un château en flammes au bord de l'effondrement, infiltration dans une tempête de sable, pour ne citer que les plus marquants. 

Ils ne sont pas pour autant sans reproche. Comme signalé, les combats des premiers chapitres souffrent de la comparaison, avec des affrontements trop hachés, qui ne permettent ni au rythme de s'installer, ni au joueur de se lancer dans ces ballets d'esquives spectaculaires qui font le sel d'Uncharted. Certaines volontés cinématiques tombent également à plat manette en main, comme ce petit tour en cheval dans les ruines du désert. Enfin, surement soucieux de ne pas avoir la main trop lourde et passer pour des gros tacherons qui usent leurs astuces jusqu'à la moelle, certaines idées sont quasiment survolées. Quoi de plus frustrant que de voir une idée aussi jouissive que les combats dans un avion en perdition n'être jouable que quelques minutes ? Le fameux train d'Uncharted 2 paraissait lui ne jamais finir, et tant pis pour la crédibilité.

Des errements dommageables
D'autres critiques peuvent être justement invoquées à l'égard de cet épisode. Je citerais notamment quelques problèmes de scénario : après l'impressionnant trailer promo lors des VGA 2010 citant T.E. Lawrence, le jeu s'emmêle un peu les pinceaux à essayer de lier le tout avec les voyages de Drake, et on sent que les dévs ont dû se forcer un peu pour inclure ces références historiques, avec des liens alambiqués. De même, la présence du pirate Ramsès qui tente de justifier le détour par le cimetière de bateaux et le paquebot peine à convaincre (ceci dit, ce sont de loin les meilleurs chapitres du jeu). Salim suit le même schéma, étant la raison toute trouvée pour citer directement le film Lawrence d'Arabie. Là encore, l'intention est louable, mais le résultat, pas assez approfondi, reste décevant. Enfin, et c'est certainement le plus sensible, la reprise d'une certaine structure qui vire presque à la caricature : Nate plus malin que tout le monde qui découvre un secret millénaire, se rend compte qu'il a été suivi, affronte une horde d'ennemis en détruisant tout sur son passage et se fait au final dérober le McGuffin du jour. Pour un peu, on aurait la désagréable impression que Drake n'a rien retenu de ses aventures passées. Enfin, il a au moins l'intelligence de ne plus reproduire la carte secrète (cette fois c'est Sully qui la mémorise, ce qui entraîne son enlèvement, comme quoi...), et le reste du cast le réprimande justement sur son comportement égoïste et les risques inconsidérés qu'il fait peser sur chacun.

Un multi en quête de reconnaissance
L'autre argument en faveur de cet épisode est son mode multi. J'ai bien conscience que c'est un point de vue tout personnel, vu la très maigre reconnaissance générale de ce mode, mais c'est un point essentiel de l'expérience Uncharted pour moi. Grand fan du multi d'Among Thieves qui m'avait aisément converti, j'étais à vrai dire plutôt circonspect face aux changements annoncés et aux trailers dévoilés, annonçant une CoDisation beaufisante, avec plein de customisations à débloquer, des sets d'armes, encore plus de perks et de pouvoirs ingame, et des powerplay. Là encore, il aura suffi de quelques heures sur la bêta pour effacer toutes ces inquiétudes. Les armes sélectionnables proposent une alternative intéressante pour chaque joueur, et ont été efficacement équilibrées au fil des patchs, et le rythme accentué des parties ne se fait pas au détriment  de l'accessibilité ou de la tactique d'ensemble. Surtout, les powerplay, loin de ruiner le jeu, permettent de maintenir l'intérêt en toutes circonstances. Mené au score, le powerplay donne des avantages de plus en plus significatifs (cible compte triple, positions ennemies révélées, double dégâts), et pimente le challenge de l'équipe dominante en lui offrant des récompenses conséquentes en xp. Le loot aléatoire débloquant certains items de customisation apparaît dans les coffres pour tous les joueurs, et provoque ainsi régulièrement rushs, affrontements et embuscades. Le système de buddy renforce l'esprit d'équipe et favorise les moments mémorables. Bref, sauter sur un avion qui décolle, envoyer des grenades qui explosent à l'impact en haut d'une tour au Yémen  rôder dans les couloirs du métro londonien et plus que jamais teaser ses adversaires dans des décors magnifiques n'a rien perdu de son intérêt.

Un jeu qui flatte la rétine et les tympans
D'ailleurs, puisqu'on ne peut y couper, parlons de la présentation du jeu. Naughty Dog n'a clairement rien perdu de ses talents de mise en scène, et les environnements sont toujours aussi impressionnants. Que ce soit un temple souterrain yéménite aux dorures envoûtantes, un paquebot coulant dans une mer agitée, un avion en flamme au dessus du désert, on en prend plein la vue. On peut regretter qu'on passe rapidement de l'un à l'autre, nuisant quelque peu à la continuité des environnements, mais les développeurs se sont clairement efforcés de rendre les lieux plus animés. On passe d'un pub à un souk, d'un musée à un aéroport. Si Drake's Deception n'a plus ce moment particulier dans le village tibétain, il a tout de même un tas de passages avec des civils, dans des lieux de la vie courante, et se montre tout aussi lyrique avec son passage dans le désert. C'est sans doute dommage parce que c'est le passage qui souffre le plus du hachage du scénario, avec ce montage agressif qui peine à faire sentir le désespoir de la perte dans le désert, mais heureusement, il y a la musique.

En effet, bien que m'ayant peu marqué dans les épisodes précédents, j'ai été soufflé par la bande son de Drake's Deception. Les mélodies se font plus typées selon les pays visités, et se distinguent ainsi bien mieux : la guitare latine lors du musée, les sonorités métalliques parmi les carcasses de bateau, la musique imposante et mélancolique dans le désert. Encore aujourd'hui, je l'écoute régulièrement. Clairement un progrès sensible de cet épisode.

Au final, un épisode qui ne manque pas d'ambitions : scénaristiques tout d'abord, en se penchant plus avant sur les personnages et leurs passés, en étoffant le casting de personnages bien esquissés et en poursuivant les efforts sur la violence du titre, mais aussi au niveau du gameplay. Si certains ajouts peinent à convaincre niveau challenge, les courses poursuites font tout de même bien monter l'adrénaline et les combats à mains nues sont dans le ton de l'histoire, le combat dans les toilettes en intro jouant bien la carte de l'humour. Les gunfights tardent à montrer tout leur potentiel mais se révèlent suffisamment différents et corsés pour justifier plusieurs parties, et on a toujours le quota de scènes d'action spectaculaires. Enrobé dans un visuel toujours plaisant et une musique enfin mémorable, Drake's Deception peut néanmoins décevoir dans les aléas de son scénario alambiqué, qui suit par ailleurs d'un peu trop près la formule des épisodes passés, surtout en ce qui concerne la cité mythique d'Iram et son destin funeste. Ce qui ne m'a aucunement empêché de passer des heures à accumuler les prestiges et à prendre soin de mon ratio avec mes camarades sur le multi. Un blockbuster réussi, dont les personnages attachants font oublier les quelques errements.