Billet paru originellement sur Merlanfrit dans le cadre d'une thématique sur l'amour dans les jeux vidéo.

Mario partant sauver Peach des griffes de Bowser : la plus emblématique des franchises du jeu vidéo repose sur une histoire d'amour bien connue. Cette dernière est de plus assez caractéristique de la représentation des relations amoureuses dans le jeu vidéo et de l'emploi qui en est fait. Elle mérite donc qu'on s'y penche un instant.

La relation Mario-Peach ne fait pas l'objet d'une exposition détaillée, elle n'est que suggérée. De fait, elle sert uniquement de prétexte symbolique à la quête du héros, selon la structure classique des contes. Comme dans ceux-ci, l'accent est mis sur les péripéties et les obstacles à surmonter : dès que les deux personnages sont réunis, la conclusion est immédiate, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

« Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour »

Jouer l'amour dans le jeu vidéo, ce serait donc le plus souvent accomplir une quête épique pour sa dulcinée, comme un écho à la citation de Pierre Reverdy "il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour". On comprend que ce soit plus aisé pour les développeurs de proposer cette épopée, ces épreuves d'action spectaculaires, familières et rodées, plutôt que de s'intéresser à créer de nouveaux challenges autour des épisodes plus communs mais pas moins complexes qui peuvent émailler une vie de couple. Cependant, c'est se borner à utiliser la relation amoureuse comme une toile de fond, une justification pour l'action, et renoncer à en faire le coeur du gameplay. Si l'amour est un thème répandu, rares sont les titres qui s'aventurent à l'incorporer directement dans les mécaniques de jeu. En définitive, la seule phase d'une relation qui soit invariablement proposée à jouer est la séduction, sans doute parce qu'elle peut être assimilée sans soucis à une forme de challenge.

Et en effet, quand il s'agit de gameplay des relations amoureuses dans le jeu vidéo, les références sont les dating sims, qu'on retrouve d'ailleurs régulièrement en mini-jeu annexe dans des titres comme Grand Theft Auto IV ou Yakuza 3. Qu'il s'agisse de Mass Effect ou Alpha Protocol, les jeux qui s'essaient à la séduction se conforment à ce modèle : suivez un ensemble de consignes particulières, accomplissez une ou deux quêtes, répondez bien aux questions, et l'affaire est dans le sac !


L'aboutissement de toute relation dans Mass Effect : 2 minutes de sexe et chacun repart de son côté.

Cette formule a l'avantage de présenter explicitement au joueur des mécaniques facilement assimilables. Tant que le joueur s'applique, sa progression est assurée. La seule qualité réellement nécessaire est l'assiduité et la "récompense" est garantie. La mécanique est claire et bien huilée pour permettre au joueur d'exercer pleinement sa capacité d'agir et donc ne pas le frustrer. Le problème est que cette vision des relations est terriblement réductrice : les relations sexuelles y sont des marchandises et les partenaires potentiels sont de simples distributeurs. Dans Mass Effect, on ne séduit pas un partenaire pour avoir une relation pérenne avec lui, mais uniquement pour être gratifié d'une scène de sexe politiquement correcte. L'acte sexuel est la récompense ultime, signe indiscutable que le joueur a une nouvelle "conquête" à son "tableau de chasse", et n'est jamais considéré comme un des éléments d'une relation plus profonde. Les cartes de femmes à collectionner dans The Witcher en sont l'exemple même.

Ils n'ont pas de goûts que nous ne puissions satisfaire

De fait, en refusant une identité propre aux partenaires potentiels, en les réduisant à des jouets aux leviers explicites que le joueur manipulerait à sa guise, comme dans Fable II, on prive ces personnages de leur crédibilité en tant qu'êtres humains complexes et imprévisibles. Ils n'ont pas de goûts que nous ne puissions satisfaire, ils constituent simplement un harem dans lequel nous n'avons qu'à piocher à notre convenance, sans trop de risque d'être rejeté. Le personnage n'est qu'une marionette pour le joueur tout puissant. On ne peut les respecter, on ne peut les aimer, on ne peut que les exploiter. Cette conception simpliste des rapports amoureux se traduit parfois malheureusement dans la réalité. En témoigne le syndrome Nice Guy, où certains estiment qu'une relation leur est dûe du moment qu'ils s'appliquent assez, sans tenir compte des préférences et désirs personnels.


Un feedback explicite à chaque acte, une bague = +19 d'amour ! Le personnage perd toute humanité pour devenir une marionnette sans âme.

L'arrivée de Catherine prouve cependant que les développeurs n'ont pas tous baissé les bras et qu'il est possible de concevoir un jeu principalement autour d'une relation de couple complexe dépasssant le cadre et les thèmes limités de la séduction-conquête. Il est à espérer que d'autres jeux suivent ce chemin et nous donnent à vivre des vies de couples. Il semble en effet n'y en avoir que pour les célibataires : il était décevant de voir Mass Effect 2 remiser au placard la relation du premier épisode, et de voir Heavy Rain se dispenser totalement de la mère des enfants dans son intrigue, alors que la dynamique de couple aurait pu apporter beaucoup. On en viendrait presque à croire qu'être en couple ne serait qu'un poids. C'est que s'il est facile de montrer ce que le héros peut retirer d'une relation amoureuse avec un personnage, l'apport pour le joueur devant la machine et l'écran est moins évident. Ceci dit, il n'est vraiment pas certain que la création d'un compagnon virtuel dont les joueurs s'éprendraient soit la voie à suivre.

D'ici là, il y a néanmoins de larges pistes à explorer pour proposer une vision moins réductrice des relations amoureuses, en premier lieu rendre la séduction mois prévisible, redonner sa place à l'aléatoire pour rendre les rencontres plus significatives et moins mécaniques. En espérant que ce premier rencard avec Catherine soit concluant et augure d'évolutions sur ce thème.