A l'occasion du coma prolongé du PSN et de l'arrivée providentielle d'un patch 1.05, je me suis replongé dans Fallout New Vegas. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler succinctement dans ces pages, mais je ne résiste pas au plaisir de disséquer plus méthodiquement l'expérience, en la comparant avec celle de Fallout 3.

Adéquation joueur/avatar
L'aventure débute alors que notre personnage, un messager du Mojave, le désert post-apocalyptique entourant ce qu'il reste de Las Vegas, se réveille comme par hasard amnésique après qu'on lui ait tiré une balle en pleine tête. Au joueur de tenter alors de retrouver ses agresseurs, récupérer la mystérieuse cargaison qu'on lui a dérobé pour compléter sa mission, éventuellement se venger et au passage en apprendre plus sur l'identité et les motivations de son commanditaire.
Un aspect trop souvent négligé dans les jeux, et particulièrement les mondes ouverts, est le trop grand fossé qui peut exister entre les aspirations affichées du personnage et celles du joueur. Dans Fallout 3 et New Vegas, le joueur est surtout mû par la volonté d'explorer le monde, de découvrir les histoires qui ont pu y naître et, dans une certaine mesure, de participer à en écrire de nouvelles.
Fallout 3 propose une justification très satisfaisante à cette soif de découverte. On incarne en effet un personnage qui a vécu dans l'ignorance du monde extérieur toute sa vie, élevé parmi ceux qui ont choisi la sécurité aliénante de l'Abri. Rapidement, on se retrouve obligé, plus ou moins de force, de gagner la surface à la poursuite de son père qui s'est fait la malle sans crier gare. L'attrait d'un monde complètement inconnu apparaît pleinement, on veut découvrir la surface telle qu'elle est, et dépasser l'endoctrinement que notre personnage a subi toute sa jeunesse.
New Vegas s'en sort lui un peu moins élégamment. On se serait logiquement attendu d'un coursier qu'il connaisse déjà parfaitement la région ou il officie, qu'il n'ait plus rien à découvrir, les développeurs ont donc infligé à notre personnage une amnésie un brin clichée pour justifier cet aspect découverte/exploration. 
Du côté des quêtes principales par contre, j'ai préféré celle de New Vegas. Les deux sont par nature dirigistes et vont à rebours de cette tendance naturelle au vagabondage, mais celle de New Vegas m'a paru se plier plus facilement à mon style du jeu, se faire plus discrète. Fallout 3 nous pressait un peu artificiellement de partir à la recherche de notre père, alors que ce dernier était parti sans un mot, nous laissant nous débrouiller seul face à un monde hostile. La sensation d'être abandonné irresponsablement et sans avertissement, si tôt après le début du jeu, n'était pas franchement de nature à favoriser un attachement particulier envers lui, et encore moins une raison suffisante pour partir déplacer des montagnes à sa recherche.
La quête de vengeance et le mystère entourant mon agression, pour simples que ces motivations soient, ont de fait bien plus résonné chez moi dans ce cas. Elles m'ont paru me laisser plus libre de mon destin, m'autorisant plus ouvertement à m'investir autant ou aussi peu que je le souhaitais dans la poursuite de mes agresseurs. J'ai donc pu me consacrer au tourisme virtuel que j'apprécie tant, sans avoir l'impression de trahir le jeu ou l'histoire de mon personnage.

Cohérence du monde
Ce nouvel épisode est pourtant initialement plus dirigiste que son aîné. En effet, les dangers environnants orientent fortement la progression du joueur, le poussant à un long détour avant de parvenir à la ville phare de New Vegas. On peut ainsi dès le début du jeu tomber nez à nez avec un Deathclaw si l'on ne fait pas suffisamment attention. Mais il s'agit d'un obstacle qui s'explique dans le jeu, logiquement intégré, qu'on peut choisir d'éviter ou de surmonter à ses risques et périls, et qui n'apparaît donc pas comme une contrainte déplacée. Dans Fallout 3, de tels dangers se trouvaient bien plus loin du point de départ, et le joueur était en conséquence moins guidé sur un chemin. Malgré cela, le Mojave m'a paru plus cohérent que le Capital Wasteland. Dans Fallout 3, j'avais l'impression de voir des lieux d'importance, étrangement seuls vestiges d'un paysage autrefois bien plus dense. Ces lieux me paraissaient trop uniformément et méthodiquement répartis, sans rien autour. Ici une usine, là un hôtel, ici un magasin, là un drive-in, à chaque fois un peu au milieu de nulle part, et tout ce qui avait dû être à côté  ayant été mystérieusement anéanti sans laisser de traces. Le Mojave est lui dès le départ un désert, donc cela trouve bien plus facilement son explication. De plus, en dehors des villes et hameaux, on tombe également le plus souvent sur de petites installations, une cabane ou une grotte, dont le caractère isolé se justifié bien plus facilement. Les usines et les bureaux, constructions plus importantes, font ici tous partie d'une zone industrielle, et sont rattachés à la grande ville où se concentre encore la grande majorité de la population, New Vegas. L'échelle générale est donc bien plus cohérente.

Aucun des deux jeux n'échappe malheureusement aux travers du moteur utilisé, le calamiteux Gamebryo. On subit des zones affreusement découpées et absurdement emmurées, les rues de Washington notamment dans Fallout 3, et le Strip de New Vegas et ses nombreux faubourgs dans sa suite. Heureusement, la balade se fait le plus souvent librement, et se diriger grâce aux lueurs nocturnes lointaines de New Vegas ou simplement des ruines d'une gigantesque bretelle d'autoroute apporte la dose de grandeur appropriée. Le moteur nous inflige également une répétition des environnements, avec un nombre d'éléments graphiques récurrents qui peut déranger légitimement. Que tous les abris ou les stations de métro soient architecturalement identiques se conçoit sans mal, mais le reste est tout autant affecté, avec nombre d'immeubles et de préfabriqués trop similaires. Fallout New Vegas s'en sort mieux avec de plus grandes variations, des casinos à thème, les camps des différentes factions avec leur ambiance unique, etc. Ceci participe à garder le joueur immergé et intéressé par le monde qu'il parcourt.

L'influence de la vulnérabilité
L'autre détail loin d'être anodin concernant le monde de Fallout 3 et New Vegas, c'est que ce sont des mondes que l'on arpente à pied. Pas de moyen de locomotion pendant la majeure partie de l'aventure. Cela impose un rythme fatalement plus mesuré. On rushe moins, et le temps passé à marcher nous imprègne mieux des décors, de leur histoire. On est dans un rythme plus quotidien. New Vegas renforce d'ailleurs admirablement cet aspect par le biais d'un mode hardcore avec l'ajout de plusieurs mécaniques qui forcent le joueur à se préoccuper de ses besoins primaires journaliers, comme la faim, la soif, le sommeil, en plus des classiques niveaux de radiation et santé. De même, chaque munition pèse son poids, et il est bien plus difficile d'emporter avec soi un arsenal conséquent. Tout ceci participe en fait à rendre le personnage plus vulnérable. C'est en parfait accord avec le thème essentiel de la survie dans ces mondes apocalyptiques, et force à être sur ses gardes à tout moment. L'impact de ce mode hardcore sur le jeu n'est pas aussi impitoyable qu'on pourrait le supposer, puisqu'il est notamment rare de ne pas trouver de quoi étancher sa soif, mais cet effort supplémentaire permanent pour veiller à ne manquer de rien renforce bien l'immersion. Je conseille aussi fortement et pour les mêmes raisons d'y jouer dans le mode de difficulté le plus élevé. La vulnérabilité des débuts du jeu oblige également à considérer avec soin ses options d'évolution. Chaque point de compétence attribué a un impact primordial sur l'expérience de jeu, vous forçant à être plus discret, vous permettant de retourner des tourelles contre leurs maîtres ou encore en améliorant votre force de frappe. Avec un nombre de perks réduit, les choix se font donc plus cruciaux, plus stratégiques, et donc plus intéressants. Cet intérêt et cette immersion accrus par la vulnérabilité du personnage sont donc logiquement à leur apogée au début de l'aventure, lorsque notre avatar est encore inexpérimenté. S'éloigner des quelques maisons et magasins qui composent le hameau de Goodsprings, c'est aussi s'éloigner de la sécurité relative que peut apporter le contingent même réduit de ses habitants. Le jeu n'est cependant pas avare en situations nécessitant nos compétences et nos décisions par la suite. 

Des quêtes aux multiples possibilités
En effet, en même temps que l'on découvre des lieux riches d'histoires, le présent s'impose souvent à nous et exige que l'on réagisse, quitte à ce que cela consiste à tourner les talons sans se retourner. S'impliquer ou non dans les (nombreux !) problèmes qui agitent les habitants du Mojave, les camps que l'on décide de rejoindre, la manière même de procéder pour venir en aide à l'un ou à l'autre, tout cela permet au joueur d'affirmer et d'exprimer une identité et des envies. Le système de relations entre factions de New Vegas apporte une complexité supplémentaire aux décisions liées à ces quêtes, bien mieux que ne le faisait le très binaire et limité karma de Fallout 3 (qui est reconduit dans New Vegas, mais vidé de toute importance). Les PNJ appartiennent souvent à l'une des nombreuses factions, et vos actes vis à vis des membres de ces groupes influencent le comportement des autres. Cela donne une complexité et une cohérence supplémentaires au monde de New Vegas, ou les gens sont paradoxalement moins isolés que dans le Capital Wasteland. Ils connaissent un minimum le reste du monde, se positionnent par rapport aux autres, sont presque politisés pour ainsi dire. Cela sert à la fois l'univers et le gameplay, et si l'on peut déplorer que les nouvelles de nos actes semblent se répandre un peu trop magiquement, au final, cela reste un progrès notable par rapport à Fallout 3. Les quêtes en elles-mêmes sont bien moins axées sur le combat et mettent ainsi souvent à l'honneur des compétences annexes, comme la mécanique, la médecine, ou le marchandage. Mais s'il existe bien une variété d'approches et d'alternatives conséquente, ceci veut aussi dire qu'aucune n'est jamais véritablement essentielle pour résoudre un problème. Il est toujours possible d'arriver à ses fins même en ayant négligé certaines compétences grâce aux nombreuses alternatives mises en avant. Et s'il reste des possibilités vraiment créatives (notamment grâce à l'infiltration et aux pièges explosifs), on est encore souvent bien guidé par les objectifs de quête. Les solutions aux problèmes sont trop souvent explicitement énoncées par les indicateurs de quête dans notre journal, nous privant du plaisir de chercher et d'arriver nous même à notre propre solution. Retrouver une caravane perdue est ainsi aussi simple que de suivre la flèche. Convaincre un personnage de la culpabilité d'un autre se fait en allant récupérer la preuve, unique, dont la cachette est clairement indiquée sur la carte.

L'exception notable que j'ai pu rencontrer est le fait qu'il est possible de retrouver son père disparu dans Fallout 3 sans suivre aucune des quêtes suggérées. C'est réellement le genre de détail que j'apprécie. Malheureusement, le jeu s'emmêle tout de même les pinceaux, faisant comme si on était passé par toutes les étapes intermédiaires, les dialogues évoquant des personnes et des lieux encore inconnus, comme si on les connaissait bien (ce qui est encore plus illogique considérant que notre père ne nous en a jamais parlé auparavant et qu'il n'a aucun moyen de savoir comment on l'a retrouvé). Une occasion manquée en somme.

Des conclusions décevantes
En parlant d'occasion manquée, j'ai été surpris dans New Vegas comme dans Fallout 3 par l'écart entre les quêtes proposées et la résolution des arcs narratifs. Chaque jeu se finit en effet par une série de slides censée illustrer les différents destins des personnages rencontrés au cours de notre aventure, l'impact de nos décisions et de nos actes, le résumé de notre vie et de notre héritage en quelque sorte. Et si le narrateur ne manque pas de nous dépeindre comme un voyageur peu intéressé par la destinée globale de l'univers, nous faisant plus ou moins systématiquement repartir silencieusement vers le soleil couchant, les quêtes et le scénario exige de nous qu'on s'implique et qu'on devienne un héros, parfois contre notre gré et contre toute logique. La fin de New Vegas voit notamment tous les grands acteurs du scénario nous manger dans la main et dépendre de nous pour accomplir la moindre tâche, décrédibilisant totalement leur supposée puissance. Je comprends que dans ce monde brutal tout le monde essaie de nous exploiter à son avantage, mais la fin est vraiment trop attentiste. La composante scriptée du scénario est vraiment dommageable à l'immersion, rien ne se produisant avant qu'on intervienne d'une façon ou d'une autre. C'est un défaut classique des RPG, mais Fallout se donne pourtant du mal en début de partie à ne faire de nous qu'un pion, entre des forces largement supérieures. Le joueur acquiert un statut plus proche du demi-dieu que d'autre chose. Pourtant, impossible de vraiment profiter de ce pouvoir absolu, puisqu'une fois les soucis résolus, le jeu baisse le rideau et coupe toute possibilité d'exercer cette emprise qu'il semble nous octroyer. Pas possible de diriger le Strip notamment, ou d'imposer notre loi à la RNC.

La fin de Fallout 3 est bien pire, culminant en un dilemme tombé de nulle part, qui oblige à un sacrifice grandiloquent mais vide de sens, particulièrement quand il pourrait être aisément évité.

Des défauts bien présents
Enfin, un paragraphe pour évoquer les nombreux autres défauts du titre. Au premier rang desquels les nombreux bugs bien sûr, qui ont très fréquemment entravé ma progression à coups de freezes, annihilé mon immersion à coups de personnages qui traversent les décors, et ruiné mon expérience à cause de ralentissements intempestifs. Je dois sûrement m'estimer heureux de ne pas avoir eu de bugs de quêtes ou autres. Au chapitre des défauts, je retiendrai aussi particulièrement les combats. L'intelligence artificielle ennemie consiste uniquement à charger directement le joueur. Si ce type de comportement simpliste peut être approprié pour les bêtes sauvages, il est bien moins crédible pour des humains, et cela nuit au global à l'intérêt des joutes, qui se trouvent privées de stratégie. Les sensations sont elles aussi absentes, et ce n'est pas la présence du VATS qui change quoi que ce soit. On se contente de viser la tête pour plus d'efficacité, et on observe la surenchère de violence gratuite avec force ralentis et démembrements. Clairement l'aspect le plus rébarbatif du jeu. Pour briser l'immersion, on peut également compter sur une modélisation et une animation des personnages tout simplement affreuses. Ce n'est pas non plus le casting vocal bien trop limité qui permet d'étoffer les personnages. 

Malgré cette myriade de défauts, il faut rendre à César ce qui lui appartient. Fallout 3 et surtout New Vegas sont quasi uniques dans la richesse de contenu que leurs univers proposent. La narration progressive par l'exploration, le degré rare de liberté dans les embranchements scénaristiques, les nombreuses alternatives viables de gameplay, l'utilisation classique mais astucieuse d'un personnage vulnérable pour favoriser l'immersion en font un jeu d'une ambition trop rare. Ce n'est pas ce que Fable promettait, la simulation totale d'un univers complexe, mais c'est déjà d'une richesse presque déroutante.