Quand un studio a des moyens, il produit de gros jeux. Quand il est reconnu, on attend forcemment ses productions, mais sa jeunesse peut engendrer une certaine méfiance. Ninja Theory rentre bel et bien dans ce moule d'acier des développeurs qui ont trop vite grossi, avec des idées novatrices qui dérangent joueurs et presse spécialisée, et qui divise sans trouver grâce aux yeux de la majeure partie du public. Mauvais, les jeux de Ninja Theory, oh que non... Parfait, loin s'en faut. Juste une volonté farouche de faire du jeu un prolongement du cinéma, traduite dans les faits par quelques ratés, mais surtout une vraie personnalité.

2006, la PS3 est dévoilée en grande pompe. Parmi les jeux présentés, un sort clairement du lot : Heavenly Sword. Mise en scène cinématographique, animations en motion capture incroyables, cinématiques bluffantes, casting venu tout droit du cinéma avec notamment Andy Serkis, etc. Bref, un vrai pont entre le septième art et le jeu vidéo. La promesse d'une next gen flamboyante dépassant les frontières du monde vidéoludique pour se propager jusqu'au grand écran, à moins que ce ne soit l'inverse.

Pourtant, lors de la sortie du jeu en 2007, les critiques furent mitigées, les joueurs divisés, et la belle promesse dissoute dans l'oeuf. On a tout entendu sur le jeu : il est répétitif, le gameplay est mou, imprécis, la construction du jeu ne se renouvelle pas... Alors que c'est-il passé ? Pourquoi Ninja Theory, qui tenait là un des plus gros buzz du lancement de la PS3 a-t-il laissé filé tant de défauts, qui ont discrédité un jeu over-hypé ? Je vais passer pour un naïf ecervelé, mais je pense que Ninja Theory place l'histoire, l'univers et l'enrobage au premier plan, quitte à proposer un ressenti bien plus fade manette en main. Après tout, quand l'écran n'était constitué que de quelques pixels, tout le jeu se basait sur le gameplay, mais aujourd'hui, ne pourrait-on pas produire des jeux qui valent pour eux-mêmes, pour le simple divertissement visuel et sonore ?

On le voit bien avec Heavenly Sword : Ninja Theory est allé au bout de ses idées mais en a oublié le reste, qui constitue la nature même d'un jeu vidéo. Pourtant, on note un certain talent au niveau des dialogues, et du scénario, bien souvent absent des grosses productions. Mais pourquoi donc la presse n'a-t-elle pas reconnu ces qualités, pourquoi les joueurs n'ont-ils pas été charmés par les panoramas parfois carte postale proposés au lieu de pester sur l'absence de saut lors des combats ? Peut être parce que le jeu vidéo, quoi qu'on veuille en penser, ça reste tout d'abord d'appuyer sur des boutons.

C'est pourquoi, quand on voit débarquer Enslaved, nouveau jeu du studio, et que les mêmes reproches fusent, quoique moins nombreux quand même, on peut se poser la question suivante : Pourquoi donc l'idée que se fait Ninja Theory du jeu vidéo est-elle aussi incomprise ? Les développeurs proposent un travail artistique que je trouve pour ma part sublime, un univers futuriste unique, de robots inspirés, et j'ose même dire, un parfum poétique rare. Ils offrent aussi une histoire intéressante, des personnages dont la complicité s'étoffe au fil du jeu, et une musique magnifique. Certes, mais ce n'est pas ce qu'attendent les joueurs, qui butent sur le gameplay sans surprise, l'imprécision des commandes et autres défauts présents oui, mais loin d'être importants aux yeux d'un studio qui a toujours travaillé en priorité la forme et la narration plutôt que la jouabilité.

CONCLUSION

Ninja Theory, développeur jeune, sans conteste talentueux, développant ses propres licences originales, s'appuie sur des budgets conséquents et un marketing avantageux. Une force pour un studio qui tente de créer selon sa propre vision du jeu, bien plus proche du cinéma que du jeu tel qu'on le conçoit traditionellement. Au point d'en oublier le jeu lui même ? Certainement pas, mais jouer à Enslaved, ou Heavenly Sword, c'est accepter de jouer non pas pour le jeu, mais pour découvrir une histoire et un univers. Personnellement, ça me semble être une raison plus que suffisante pour tenter l'aventure, quitte à devenir amateur des productions de ces conteurs de belles histoires brittaniques...