En plein pendant la production de "Arrietty", Miyazaki-sensei a réalisé une interview incluse dans le BluRay et le DVD du film. Pendant une durée de 23 minutes, le maître nous livre les secrets de fabrication de l'avant-dernière réalisation du Studio ainsi que quelques révélations et une triste vision de l'animation au Japon.

Son avis sur le réalisateur de "Arrietty"

L'interview commence d'ailleurs, selon moi, de manière ambiguë car, à la question "Pourquoi avoir choisi Hiromasa Yonebayashi comme réalisateur ?", Miyazaki répond que seul lui pouvait le réaliser, qu'il en avait l'intuition et qu'il n'a pas d'autre explication.

En entendant cela, mon sang n'a fait qu'un tour. Tout d'abord, ça donne l'impression qu'il ne veut pas s'étendre sur le sujet et j'interprète cela plus comme "il n'y avait que lui de disponible pour le faire" plus qu'autre chose. D'autant plus que quelques minutes plus tard dans l'interview, il déclare "Il se trouve que Maro (le surnom de Yonebayashi) était là et on a décidé de lui confier le film". Mais tout ceci n'engage que moi, évidemment.

Cependant, dans une interview au site evene.fr, Yonebayashi explique très bien que son travail sur Ponyo avait impressionné le réalisateur de Porco Rosso et comme en plus il souhaitait un peu souffler après la direction de Ponyo, il lui confia Arrietty. Et je passerai sur la contradiction entre cette interview dans laquelle Miyazaki déclare avoir un peu aidé Yonebayashi et celle de ce dernier qui dit, je cite : "Et une fois le scénario écrit, Miyazaki n'est pas du tout intervenu sur la mise en scène." car ce serait vraiment polémiquer pour ne rien dire...

 

On apprend sur le disque que la philosophie de Miyazaki est de retoucher tous les dessins afin de conserver sa patte sur l'ensemble du film. Malheureusement, Hiromasa Yonebayashi n'était pas assez rapide pour le faire pour l'intégralité des dessins. Plus tard dans cette même interview, il expliquera même que ses traits sont trop anguleux et qu'il n'arrive pas à faire de courbes naturelles. "C'est terrible pour un animateur" dira-t-il.

Miyazaki dit également que le Studio Ghibli a pour mission de faire naître des vocations chez des jeunes afin qu'ils créent de nouvelles choses mais il estime que ça n'a pas été le cas. Pour que les studios ne ferment pas, il a fallu trouver quelqu'un et, comme je le mentionne déjà plus haut, ils ont donc confier le film à Maro presque parce qu'il passait par là. Il finira par avouer, en rigolant comme souvent le font les japonais quand ils sont gênés que ça a été un pari pour Ghibli de le lui confier. En effet, Yonebayashi est un bon dessinateur mais réaliser demande d'autres qualités. Il conclura en demandant à quelqu'un hors champ (Suzuki-san ?) s'il aurait dû se taire. Mais étant donné qu'ils ont choisi de garder la réponse dans l'interview...

Quand on lui demande son avis sur le réalisateur, Miyazaki évoque une histoire de pince à linge, celle qu'Arrietty a dans les cheveux. C'est ce détail qui a permis à Yonebayashi d'être persuadé d'avoir trouvé son personnage. Mais comme l'interview a été faite en pleine production du film, Miyazaki ne souhaite pas monter en épingle ce détail. Personnellement, je trouve que beaucoup des héros et héroïnes des films du Studio Ghibli en général ont tous des liens de parenté, on va dire. Il y a un style Ghibli (ou peut-être Miyazaki dans ce cas précis) et je trouve que Sho d'Arrietty ressemble à Ashitaka de Mononoke Hime et Arrietty a des airs de Nausicaa.

Ses techniques de travail

On en apprend également plus sur la façon de travailler du maître et de sa relation vis-à-vis de ses disciples ("la relation maître-disciple n'est pas toujours paisible. Et puis Maro n'est pas mon disciple."). Il essaie de toujours doser son degré d'intervention dans le travail du réalisateur. Être trop présent et donner des directives sans convaincre réellement risque de tuer la créativité de l'autre. Miyazaki garde une approche traditionnelle de la façon de faire un dessin animé : le moins possible de logiciels informatiques et un regard paternaliste ("on ne confie pas un film à quelqu'un qu'on n'aime pas"). Pour lui, on fait de l'animation à la dure, travailler sans relâche et jusqu'à ce qu'on ne puisse plus tenir un crayon. C'est comme ça que les aînés ont travaillé et montré la voie aux jeunes. Miyazaki-sensei parle franchement dans cette interview : "Yonebayashi est comme il est. On ne peut pas le présenter en public. On voudrait plutôt le cacher." mais "c'est un homme bien. Ses collègues l'apprécient et ... sont prêts à l'aider". C'est très important car un film est un travail d'équipe. Mais pour la guider, Miyazaki avoue qu'il a mis longtemps avant de trouver la bonne façon de parler "Ce n'est pas bon" ou "Ce n'est pas un travail de professionnel" sont des phrases qu'il avait tendance à dire au début mais il a appris à nuancer ses propos et surtout à parler de façon concrète et constructive en expliquant ce qui ne va pas et pourquoi ça ne va pas.

Il est intéressant de noter que pour Miyazaki, déplacer le contexte du roman originel vers le Japon moderne a été primordial mais pas pour les raisons qu'on imagine. Selon lui, les jeunes ne connaissent rien aux cultures étrangères et auraient été perdus ("Maro le premier"). Ils sont moins curieux que leurs aînés. Il a donc pensé que ce serait plus simple de transférer le film dans un milieu plus familier et confortable. En un sens, il rejoint l'opinion de KITANO Takeshi qui estime lui aussi que les jeunes sont ignorants et paresseux. Mais c'est également plus pratique pour les recherches photographiques et bibliographiques !

 

 

Enfin, le maître termine sur l'histoire de l'animation japonaise. 

Il déplore que preque plus personne ne sache dessiner des courbes naturelles, les courbes qu'on voir tout simplement quand on observe la nature et la vie autour de soi. Mais selon lui les jeunes vivent actuellement trop dans le virtuel, ils grandissent avec les dessins animés et leurs traits sont alors trop anguleux. Ca ferait une sorte de cercle vicieux et pourrait peut-être tirer le rideau sur 50 ans d'histoire de l'animation. Il nous informe que le Japon ne compte en tout que 800 animateurs et qu'il y a un manque de techniciens. Les jeunes générations se renouvellent mais abandonnent le métier quand ils voient qu'ils ne s'en sortent pas financièrement (il pense notamment que le système de droits d'auteur ne fonctionne pas bien car seule une minorité de personnes peut en vivre). Et il ne suffirait pas d'augmenter les salaires car les conditions de travail sont mauvaises. L'Etat a beau financer la formation des jeunes animateurs, la concurrence est rude avec les animateurs chinois et philippins. Sans spectateurs, tout est fini et il pense que ce métier n'a pas d'avenir. "A l'heure actuelle, quel film vaut vraiment d'être vu ? Il faut se poser cette question." Il enjoint les jeunes à réagir s'ils veulent pouvoir vivre de leur passion et s'exprimer via l'animation.

Hayao Miyazaki décrit ici une situation bien noire de ce domaine qu'il connaît bien. Il dit qu'au Studio Ghibli, il essaient d'améliorer cette situation mais qu'ailleurs, rien ne bouge. Par contre, ce que je ne comprends pas, c'est que les spectateurs répondent pourtant toujours présents pour les films d'animation. On entend souvent parler des dessins animés japonais qui battent régulièrement des records et des manga qui se vendent à des millions d'exemplaires. Certes, la sous-traitance se fait peut-être dans des pays où la main-d'oeuvre est moins chère mais le Japon doit profiter de cela, selon moi, pour changer ses méthodes de production et se concentrer sur la valeur ajoutée des talents qu'il possède en animation qui demande plus de jugeotte que le travail d'intervallistes : le scénario, la mise en scène, le design,...

 

Pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir le DVD ou le BluRay, nos amis de chez Courte Focale ont fait une transcription intégrale de l'entretien.