Une équipe de grands méchants, charismatiques, badass et timbrés, lancés dans une mission suicide, c’est ce que promettait David Ayer dans Suicide Squad, le dernier film de l’univers cinématographique DC. Depuis sa sortie, le film fait l’objet de nombreuses critiques négatives. Sont-elles méritées ? Verdict.

Des anti-héros. Des supers-vilains sans cœur ou complètement fous, recrutés contre toute attente par le gouvernement qui les a jetés en prison, pour combattre le mal. Voilà ce que propose, sur le papier, Suicide Squad. Depuis la sortie du film, on lit partout dans la presse et sur le net que le film est « oubliable », « incohérent », et « terriblement raté ». Mais, à l’instar de ce qu’il s’était produit pour Batman v Superman, les critiques sont-elles trop sévères ? Pas si sûr. Attention, spoilers à l’horizon.

Une construction chaotique

L’une des premières réflexions que je me suis faite en sortant du film concernait sa construction narrative. On retrouve dans Suicide Squad un rythme chaotique et inconstant qui faisait déjà légèrement défaut à Batman v Superman. Si la première partie du film enchaîne à grande vitesse les scènes pour introduire les différents personnages et les « enjeux » de ce qui va suivre, la seconde partie ralentit subitement. Si sur le papier cette inconstance rythmique n’est pas un défaut, elle dessert profondément le film et l’enfonce dans sa schizophrénie mal assumée, mais je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Principal acteur du chaos narratif de Suicide Squad : son montage, qui a manqué de me faire m’arracher les cheveux à plusieurs reprises, surtout en première partie. En effet, certaines scènes m’ont parue incompréhensibles tant elles semblaient sortir de nulle part, sans explications, et sans transitions.

Suicide Squad ou Deadshot the Movie ?

La force de Suicide Squad devait en partie résider dans l’originalité de ses personnages et leurs interactions. La folle Harley Quinn, le tueur sans scrupule Deadshot, le maléfique El Diablo, le brutal Killer Croc, et l’imprévisible Joker. Mais les critères définissant de ces personnages ont-ils été respectés ? Pas vraiment. En lieu et place d’un Deadshot meurtrier, véritable tueur au sang-froid, Will Smith (qui n’y est sûrement pas pour rien) incarne plus un bon père en quête de rédemption qu’un sanglant criminel. Par ailleurs, le tireur d’élite occupe une place prépondérante dans le film, à tel point qu’il fait de l’ombre aux autres personnages, y compris Harley Quinn qui est reléguée, hélas, au triste poste de personnage secondaire féminin dont les atouts sont bien (trop) mis en avant.

Will Smith n’est pas un mauvais acteur. Il est capable de belles performances mais il semblerait qu’il n’ait pas compris le personnage qu’il devait jouer dans ce film. D’aucuns diront qu’il a d’ailleurs forcé la main à la production en donnant à Deadshot un côté plus humain et bon, ce qui est probablement le cas. Will Smith sait jouer le bon père de famille et c’est ce qu’il a encore voulut faire ici.

Quid des autres personnages ? Difficile de juger leurs qualités et leurs défauts tant ils évoluent dans l’ombre de Smith. Harley Quinn, dont c’est la première adaptation au grand écran depuis l’invention du personnage par la série animée des années 1990, fera l’objet de quelques fulgurances tout au long du film, mais déçoit par d’autres aspects, comme notamment sa relation avec Joker, sur laquelle je reviendrai quelques lignes plus bas. Quant à El Diablo, Captain Boomerang ou encore Katana ? Ils sont si brièvement introduits que le spectateur éprouve des difficultés à s’attacher à eux ou même à se sentir concerné par ce qui leur arrive tout au long du film.

 

Le Joker, cette blague.

Le Joker. Attendu au tournant par une énorme communauté de fans du personnage, Jared Leto livre à l’écran une prestation qui laisse perplexe. Le défi à relever était de taille : succéder au brillant psychopathe incarné par Heath Ledger n’est pas chose aisée, loin de là. D’aucuns diront que le Joker de Suicide Squad est un sous-produit mal interprété du Joker de la trilogie The Dark Knight. Si ce n’est pas vraiment le cas, le clown de Gotham de Jared Leto est loin d’être parfait.

Le problème principal :  le Joker ne sert à rien. Ne faisant pas partie de la Suicide Squad, il passe l’intégralité du film à essayer de sauver son Harley Quinn… qui n’a pas besoin de l’être ! Certaines scènes totalement superflues, et terriblement mal réalisées (celle où il propose à un gangster de « fricoter » avec Harley) ne font rien pour arranger les choses, voire tournent en ridicule ce personnage qui n’est là que pour faire plaisir aux fans. Le Joker apparait ça-et-là au cours du film, comme une mauvaise blague sortie en soirée pour détendre l’atmosphère, sans réussir.

Au-delà de son inutilité, intéressons-nous plutôt à son « caractère ». Dans Suicide Squad, Joker est une sorte de parodie des gangsters « fous-fous » des années 1930. Mais on ne le voit pas suffisamment à l’œuvre pour s’imprégner du décalage qui, normalement, le définit et le caractérise. Par ailleurs, sa seule motivation dans le film consiste à sauver sa bien-aimée : l’amour donc. Une motivation bien trop humaine et compréhensible par le spectateur pour que le Joker ne puisse briller par sa folie et son imprévisibilité.

Parlons-en, d’ailleurs de cette relation : elle ne fonctionne pas. Dans les comics (ou la série), Joker se fiche éperdument de la donzelle qui, elle, revient sans cesse à la charge, folle de lui. Au contraire, Joker utilise plutôt Harley pour servir ses intérêts sans jamais vraiment ressentir d’amour pour elle. On est bien loin de cette relation dans l’amour passionnel et partagé qu’ils éprouvent dans Suicide Squad.

Alors : oserons-nous poser la question ? Pourquoi pas : le Lex Luthor de BvS n’est-il pas un meilleur Joker que le Joker lui-même ? Trop tôt pour le dire. Attendons d’en voir plus du clown de Gotham dans un éventuel futur Batman.

Des enjeux décalés, une intrigue ratée

Toute cette belle équipe (plus ou moins réussie/ratée, c’est selon) est donc bel et bien réunie par Amanda Waller, « The Devil », celle qui veut combattre le mal par le mal. Mais le mal, où est-il ? Et bien il vient de l’intérieur. Le grand méchant de l’histoire vient finalement de l’équipe constituée pour le combattre. En effet, Enchantress, une sorcière métahumaine vieille de plusieurs milliers d’années, l’une des membres de la squad, se rebelle contre Waller et retrouve son frère pour qu’ils étendent leur domination sur Terre. C’est alors que la Suicide Squad entre en scène. Leur objectif final (passons outre les « rebondissements ») : vaincre cette semi-divinité aux pouvoirs ancestraux.

Décalage, vous avez dit ? Complètement. Comprenez-bien : vous envoyez une psychopathe armée d’une batte, un tireur d’élite, un mutant-crocodile tout doux tout gentil, une ninja, un pyromane pacifiste et un homme qui se bat à l’aide de boomerangs pour combattre un démon ancestral de plusieurs millénaires ?

Ici, le problème n’a qu’un seul visage : la surenchère. La volonté de toujours faire les choses en grand. Pourquoi envoyer une équipe pareille se battre contre une menace aussi dangereuse et beaucoup trop puissante ? Dans sa perpétuelle quête de démesure, le cinéma hollywoodien brille ici par ses défauts : il sacrifie la cohérence scénaristique au profit d’effets spéciaux spectaculaires et d’antagonistes aux pouvoirs divins et illimités qui sont en complets décalages face aux (anti)héros de la Suicide Squad. Le film aurait bien mieux fonctionné avec une menace à leur portée. La menace, d'ailleurs, ne se fait jamais vraiment sentir : l'antagoniste n'a aucun intérêt et ses motivations sont inintéressantes.

 

Suicide Squad est schizophrène

Comment en est-on arrivé à ce résultat ? Suicide Squad a été victime d’une série de mauvaises décisions, d’une réalisation bipolaire, et d’une pression mal placée des studios. Pour comprendre où je veux en venir, je vous invite à visionner à nouveau la toute première bande annonce du film, dévoilée en juillet 2015.

 

La première bande-annonce témoigne d'une ambiance qui devait être plus sombre qu'elle ne l'est finalement

Si vous avez vu le film, vous devez probablement vous dire que l’ambiance qui en ressort est bien loin de celle que présentait ce premier trailer. Que s’est-il passé ? Deux raisons : les critiques de Batman v Superman et le succès de Deadpool. Hélas. Comme je l’avais précisé dans mon verdict sur Batman v Superman, les critiques ont été injustement sévères avec le second film de l’univers cinématographique de DC. On reprochait au film sa trop grande « maturité » et sa tendance à être trop sombre (ce qui est pourtant tout l’intérêt de DC par rapport à Marvel). Cela, ajouté au succès retentissant de Deadpool, qui brise les conventions des films de superhéros, a poussé les studios a demandé aux équipes de Suicide Squad de retourner certaines scènes du film pour les rendre plus « humoristique », plus « Deadpool-like ». Résultat : Suicide Squad est schizophrène.

Le film avait pour vocation initiale d’être bien plus sombre. Il était même question d’une relation abusive entre le Joker et Harley Quinn, bien plus proche de ce qui se produit dans les œuvres originales. Mais au final, le ton sombre côtoie l’humour, parfois réussit, parfois pas : dans un mélange incohérent et auto-contradictoire.

L'évolution du logo du film depuis son annonce jusqu'à au jour de la sortie montre bien qu'il a complètement changé de ton

Par ailleurs, le film met en avant un casting de super-vilains et joue sur l’originalité de personnages aux motivations obscures et qui n’aspirent qu’au chaos. Même à cela, le film échoue partiellement. Non seulement les différents personnages sont trop peu mis en avant en raison d’un Deadshot bien trop présent, mais en plus, ils se retrouvent finalement à jouer le rôle de simple héros : combattant un mal plus grand et plus dangereux qu’ils ne le sont, réduisant leur statut de vilain à un simple « titre ». Finalement, même Waller, celle qui a assemblé la team, est une meilleure vilaine dans la mesure où elle agit bien plus froidement que les méchants eux-mêmes, lorsqu’elle n’hésite pas à tuer sans remord ses propres employés.

Verdict

Suicide Squad promettait de briser les conventions, d’apporter de la fraicheur et de l’inédit dans le monde cinématographique des superhéros. Hélas, le film échoue et, au contraire, essaie à moitié de se calquer sur une recette qui ne lui est pas adaptée. Décevant et loin d’être à la hauteur de ce qu’il faisait miroiter, Suicide Squad est presque oubliable. L'inquiétude grandit à mesure que les films DC déçoivent et je ne peux m'empêcher d'être triste en pensant à quel point le film aurait pu être bon et innovant s'il n'avait pas échappé au contrôle de son réalisateur. Avec du recul, toutefois, Suicide Squad consitue un bon divertissement qui offre quelques scènes mémorables avec des personnages, mine de rien, qui s'avèrent tout de même attachants. Schizophrène, vous avez dit ?

W. R-P.