Puisque décidément, on ne peut prétendre tenir un blog moribond sur les jeux de qualité, sans poster un billet pour pousser une gueulante sur la pente savonneuse dans laquelle dérape l'industrie vidéo-ludique contemporaine.

Passé ce petit préambule aussi succinct et vide de propos qu'arrogant et prétentieux − oui, même dans l'auto-flagellation j'ose me permettre de manier le verbe avec force geste et fierté nonchalante − donc passée cette courte introduction, je vais m'atteler point par point à établir ce qui à mon avis sclérose les jeux de notre époque.

Le jeu vidéo « classique » au XXIème siècle

Viens dans mon couloir, on est déjà quatreViens dans mon couloir, on est déjà quatre

Avec les années 2000, et de façon plus marquée avec l'arrivée 5 ans après des consoles next-gen (Wii exceptée, mais nous y reviendrons, elle ne sera pas épargnée, #yapadraison), la démocratisation − et surtout la promotion −  de la HD, du son 5.1, des milliards de pixels dans ta face et des poils de slip de Snake tous modélisés un par un ; le jeu vidéo a entamé un virage prononcé, lentement mais sûrement, celui de la surenchère technique, au détriment du gameplay, voire de l'expérience de jeu.

Cette voie choisie traduit assez bien le contexte dans lequel le jeu vidéo évolue depuis quelques 40 ans : pour le grand public le jeu vidéo, dans son acception large, est le parent pauvre de la télévision, elle-même le parent pauvre du cinéma. En effet le jeu vidéo garde au fil des ans cette image de loisir abrutissant, auquel nos chères têtes blondes abandonneraient sans pouvoir lutter leur temps de cerveau disponible : affichant pour le néophyte une interface cabalistique faite de couleurs criardes ou baveuses et de sonorités sommaires et répétitives, à la fin du XXème siècle le jeu vidéo fait peur et reste alors un marché de niche, au grand désarroi des grands du marché, qui comme dans toute industrie visent l'expansion (cet éternel lissage de la culture sous le joug du capitalisme galopant, diraient des bobos marxistes).

Dans cette optique, la volonté de lorgner du côté du cinéma dans la réalisation vidéoludique s'explique aisément : utiliser la technique pour faire évoluer le jeu vidéo vers un médium supposé plus noble, et ainsi viser un plus grand public en lui proposant un produit plus ordinaire, moins à même d'éveiller une méfiance vis à vis d'une nouveauté par trop différente, répond à des exigences purement consuméristes, et aura permis une première vague de démocratisation du jeu vidéo.

Bien sûr, certains considéreront que le jeu vidéo gagne à être connu. À ceux-ci e répondrai par une simple question : En quoi ? On eut pu imaginer que cette expansion du marché du jeu vidéo se serait accompagné d'une qualité sans cesse renouvelée, liée aux budgets toujours plus élevés dès lors qu'ils accompagnent un succès grandissant. Mais honnêtement, en quoi, les millions d'exemplaires du dernier Call of Duty en font un jeu meilleur qu'Half-Life ou Quake ? Quand la technique, mise au service de la seule réalisation, vient galvauder la qualité d'un gameplay par des scripts honteux masquant l'absence d'IA, le tout transformant le jeu en parcours d'obstacles en couloirs, où est la plus-value ?

Et Activision n'est pas le seul sur la brèche, il suffit de voir des Uncharted, des Resident Evil, le prochain Tomb Raider, les Assassin's Creed proposer tous des shooters construits sur les mêmes mécanismes de base, dans des environnements ultra-linéaires, pour achever de se convaincre que le prix à payer a été plus grand que les gains apportés. Quel intérêt aujourd'hui de payer un jeu le prix fort quand la seule différence avec une place de ciné est qu'on tient un pad plutôt que du pop-corn entre les mains ?

QTE, DLC, DRM, DTC

Comme George Bush, t'appuies sur un bouton et BOUM !! Pour 5€ de plus tu pourras le faire sur une méduse !

Ajoutons à cela la présence aujourd'hui d'internet dans tous les foyers, permettant une distribution plus aisée et moins coûteuse des add-ons (renommés pour le coup DLC). Alors qu'à l'époque les dits add-ons surfaient sur la vague de jeux au succès mérités, aujourd'hui, des mécaniques de jeux sur-scriptées, clonables et clonés à l'envi, permettant des découpages de jeux en épisodes, font que les éditeurs sortent sciemment des jeux pas finis pour mieux vendre derrière les derniers chapitres d'une aventure déjà pas forcément fameuse...

C'est ici qu'on assiste à ce que cette évolution a eu de plus dégueulasse : le joueur n'est plus qu'un consommateur vache à lait plutôt qu'un client à satisfaire.

 

Après le cinéma, le casual gaming

Pof, une blondasse, du rose : un sous-Sims à moindre frais, ça va rapporter du pognon

Je parlais au-dessus de la prévalence de la vidéo sur le jeu comme d'une première vague d'évolution du jeu vidéo vers le grand public. Plus (re)connue, plus critiquée bien que paradoxalement peut-être moins perverse, l'émergence avec la DS, et de façon plus marquée encore la Wii, du casual gaming a généré au milieu des années 2000 conséquente révolution dans le paysage vidéo-ludique. En répondant à la curiosité de non-joueurs qui ne souhaitent pas s'investir autant dans un jeu vidéo qu'un gamer classique, Nintendo − à la suite de quelques tentatives de Sony avec l'Eye Toy ou Singstar − a permis l'émergence d'un nouveau marché vidéo-ludique.

Si cet évènement a été dans les années suivantes un véritable coup dur pour une concurrence encore concentrée sur le marché dit classique, les répercussions pour le gamer lambda, tout anti-casual soit-il, n'auront cependant été que minimes : même après l'apparition de la Kinect ou du Playstation Move,chacun des deux marchés sera tout de même resté relativement séparé.

Et quand bien même le casual gaming auraut eu un impact sur le reste du marché vidéoludique, j'estime qu'il s'agit d'un mal pour un bien : parvenir à morceler un marché déjà profondément perverti par une optique cinématographique ne peut être objectivement considéré comme un mal. Et si, avec l'hégémonie d'Internet et une crise économique vidant les porte-feuilles plus vite que la sortie d'un blockbuster Activision, il est difficile de mesurer l'impact de cette évolution sur la crise du jeu vidéo classique, rappelons que ç'aura permis la reconnaissance de la scène indé,  malheureusement avec, encore et toujours, les effets pervers d'une industrie décidément pas près de lâcher la grappe, comme nous allons le voir.

L'imposture de l'indé

« Cet homme menaçait de révéler que j'étais vendu à Microsoft, je devais à tout prix le faire taire... »

Ainsi donc, aux alentours de y'a quelques années (flemme de me documenter sur des détails chronologiques, je vous laisse le choix dans la date), le casual gaming a chamboulé tant les habitudes des joueurs, que les politiques des constructeurs et éditeurs, au travers d'un marché du neuf tout bousculé. En ajoutant à cela le succès grandissant, d'une part de plateformes online telles que le XBox Live, Steam ou le Playstation Store (ou quel que soit son nom actuel),  d'autre part du retro-gaming, d'homebrews toujours plus facilement utilisables, et de manière plus globale, le désenclavement d'une scène indépendante qui se fait connaître au travers de structures permettant leur promotion (je pense au vivier que représente Newgrounds), et même plus tard d'initiatives médiatisantes telles que Kickstarter, véritables fers de lances de l'aboutissement de réflexions plus ou moins conscientes sur de nouvelles façons de consommer ; tous ces évènements ont mené les constructeurs et éditeurs à mener une véritable évolution à rebours : redorer le blason du jeu, quitte à délaisser esbroufe technique, sur la base de budgets plus restreints.

Ainsi donc Microsoft, premier sur la brèche, nous propose assez vite un XBLIG, suivi par la suite par Sony et Valve, visant à promouvoir les jeux indépendants en mettant à leur disposition une vitrine sans pareil.

Vaste blague.

Si sur le papier l'idée est enthousiasmante, si le principe est alléchant pour les développeurs, en pratique les procédures d'acceptation, les coûts associés, et une politique d'asservissement des développeurs, détruit toute indépendance dans le processus, transforme les développeurs en salariés Microsoft (mais sans les avantages), et au final on assiste juste à une plateforme dématérialisée remplie de jeux certes bon marché, mais dont la qualité est bridée par le support : quand sur un budget de $20000, 10000 servent à financer la procédure d'acceptation du jeu par l'éditeur − coût négociable sur la base de contrats d'exclusivité, bien sûr − naturellement les moyens affectés au développement même s'en voient diminués de moitié.

Second effet pervers, la promotion et la sur-médiatisation de ces plateformes nuit au succès d'une scène purement indépendante, qui ne sacrifie pas son indépendance − qui à la base la définit ! − sur l'autel de la publicité.

Le jeu vidéo en ces années 10

Le Cantal pittoresque : 981. Le Falgoux − Départ de l'Autobus

En définitive, l'état actuel des différents marchés du jeu vidéo n'est pas fameux fameux. Entre un marché classique toujours plus tourné vers l'esbroufe graphique à la Michael Bay, un casual gaming qui oublie toujours autant d'apporter un peu de qualité pour gagner ces lettres de noblesses, et une scène indé partiellement galvaudée par les intérêts pécuniaires de constructeurs et d'éditeurs à la page, le jeu vidéo au sens noble du terme semble toujours en péril.

Attention, loin de moi l'idée de nier l'existence de jeux de qualité, aujourd'hui comme hier ils existent toujours, pour le plus grand plaisir de qui sait les dénicher, mais perdus dans un tel marasme aux volontés purement économiques, c'est pas beau à voir...