La question est vaste et ne soyons pas prétentieux, je ne compte pas y répondre en donnant une liste exhaustive de ce qu'il faut pour faire un bon jeu. Notre ami Upselo s'y était essayé, mais même après relecture, il y a toujours quelque chose qui me chiffonne à propos de cette liste. Quoiqu'il en soit et pour être clair, la raison pour laquelle je commence à écrire cela se trouve dans le podcast n°238, le « Bilan du mois d'Octobre 2012 ». Dans ce podcast, il est question bien entendu des tests parus sur Gameblog dans le courant du mois précédent et l'un d'entre eux en particulier a retenu mon attention. Le test de Medal of Honor Warfighter.

Dans la section coup de gueule qui se situe en début de podcast, JulienC met en avant son indignation face à la campagne marketing menée tambour battant par EA afin de vendre son jeu par son « réalisme » et sa proximité avec le monde militaire, américain en particulier. Il évoque notamment les liens directs avec un site permettant d'acheter des armes réelles sur le territoire américain et sous condition d'avoir le permis adéquat, cela va sans dire, armes qui sont représentées forcément à la perfection dans le jeu. Plus que la campagne marketing et le coup de gueule en lui-même, j'ai été particulier intrigué non pas par les propos de JulienC, mais par ceux de Rahan. J'utilise bien le terme « intrigué » et non pas « indigné » ou « surpris ». Rahan évoque en effet dans sa prise de parole le fait que le jeu a été globalement mal noté et mal reçu par le public, faisant au passage quelques ventes tout de même, mais rien qui ne puisse tutoyer l'indétrônable Call of Duty.

Ce qui m'a intrigué, c'est que Rahan se dise soulagé que le jeu ne soit pas bon, puisque cela évite que l'on ait à s'interroger sur son propos ou sur sa manière de le traiter peut-être un peu limite. L'idée est donc de dire que le jeu n'est pas bon, parce qu'il n'est pas bon techniquement ; c'est un FPS médiocre, avec des scripts ratés, des IA bas de gamme, un gameplay convenu et un multi qui ne tient pas la comparaison avec ces concurrents. C'est là que je vais commencé à poser une question : cela signifie-t-il qu'un jeu bon techniquement serait automatiquement considéré comme bon « tout court » ?

En effet Rahan dans sa phrase n'utilise pas le terme « bon techniquement ». Il signale simplement que le jeu n'est pas bon et que par conséquent c'est une chance puisque cela évite un peu les débat. Je pense que la phrase en question, dite sans doute dans le feu de l'action et sans explication plus large (je ne doute pas une seule seconde de la capacité de critique de Rahan) mérite d'être tout de même soulevée pour signaler que déjà, pour le journalisme de jeu vidéo, un bon jeu est un jeu qui réussi dans la forme. Puisque immanquablement, on finira par arriver au fameux point Godwin et que je ne compte pas m'arrêter à ce point pour autant, je vais donc lâcher les chiens moi-même : je ne crois pas qu'il soit très sain de sous-entendre qu'un jeu comme Ethnic Cleansing, FPS dans lequel il est question de tuer des noirs et des arabes pour finir par déjouer un complot juif, pourrait être accueilli favorablement par la critique et les joueurs, si tant est que celui-ci soit bon en terme ludique.

Que se passera-t-il le jour où une bouse pareil, avec une idéologie aussi nauséabonde, arrivera mais bien emballée?

Ce qui m'a particulièrement interloqué dans cette intervention de Rahan, c'est son optimisme quant à la situation. Je cite : « Quand tu sors de toute cette histoire, tu te dis voilà :''heureusement, les gens ne sont pas dupes, ils ne vont pas juste acheter un jeu comme Warfighter sous prétexte que c'est du militarisme machin...'' ». J'imagine aisément que l'on puisse se sentir soulagé que malgré la campagne marketing très américaniste, le jeu ne marche pas outre mesure, même aux États-Unis. Ce que j'en ressors tout de même, et je prie ce cher Rahan de ne pas m'en vouloir si je détourne son propos pour lancer mon sujet, c'est que finalement, la raison pour laquelle le public n'a pas répondu présent est la même que celle pour laquelle la presse n'a pas bien noté le jeu : ce n'est pas un bon jeu ''techniquement''. Ce qui me permet de faire une affirmation telle, c'est que le titre le plus vendu tous les ans, depuis au moins quatre années, a plus ou moins le même schéma de pensé (l'interventionnisme est nécessaire) et la même vacuité au niveau de son propos (America Fuck Yeah). Avant d'aller plus loin, je tiens quand même à signaler que j'ai terminé toutes les campagnes solo des Call of Duty depuis CoD4 :Modern Warfare (c'est le privilège de mes vacances chez mes cousins) et que je n'ai, en revanche, pas joué au dernier MoH. Toujours est-il que ce dernier ne peut au pire que faire un pas de plus dans une logique qui est déjà critiquable depuis beaucoup d'années.

Il ne s'agit pas ici de faire un procès ni à Call of Duty, ni à Warfighter, ni même à un autre titre à tendance américaniste ou militariste forte. Je regarde beaucoup d'œuvres de fiction très USA-centrique sans pour autant avoir envie de brûler la bannière étoilée. J'en apprécie d'ailleurs beaucoup comme cette année The Avengers (qui le fait avec beaucoup de second degré), The Dark Knight Rises (l'Amérique qui se relève) ou encore Men In Black 3 (là par contre on sent que c'est moins conscient). En revanche, je voudrais vraiment comprendre ce qui peut amener à penser que le propos, l'orientation politique ou idéologique d'un jeu ne compte pas dans son appréciation globale en tant qu'objet culturel. Ce que je cherche un montrer un peu du doigt, c'est que c'est un terrain glissant qu'il faut prendre garde à ne pas trop descendre avec légèreté. Et en parlant de légèreté, je voudrais mêler un autre membre de la rédaction de Gameblog à ce joyeux bouillonnement (inutile) de mon cerveau. Ce cher Mimic, juste après la phrase que j'ai cité plus haut, glisse un rapide et furtif mais néanmoins audible : « Ce n'est que du jeu vidéo ». Cette phrase ne doit plus jamais être employée.

Postal 2. Ça n'est que du jeu vidéo. J'ai le droit de dire quand même que c'est de très mauvais goût?

Le jeu vidéo, au même titre que la littérature, le cinéma ou la musique, est part entière d'un partage culturel mondial. Que les développeurs de jeu vidéo le veuillent ou non, ce qu'ils véhiculent dans les histoires qu'ils mettent en scène (de manière réussie ou pas, là n'est pas encore la question, mais je vais y venir) a un impact sur la personne qui joue, tout comme les propos tenus dans un film ont un impact sur celui qui regarde. Pour illustrer ici mon propos, je vais prendre l'exemple du film Argo de Ben Affleck, sorti il y a peu. J'ai personnellement adoré le film pour son mélange habile de suspens et d'humour, son casting bien affûté et sa réalisation maniant bien les effets techniques pour rendre les années 70 palpables. Cependant, malgré cette appréciation qui en l'occurrence est surtout centrée sur de la technique (direction artistique, direction d'acteur, qualité de la narration) le propos en lui-même peut être discuté et nul doute que certains n'apprécieront pas l'aspect glorifiant pour la CIA et le rôle d'antagoniste donné à l'Iran, bien que le film parvienne à jongler avec cette dernière donnée en rappelant quand même au début ce qui a bien pu se passer pour qu'on en arrive à une telle rage de la part d'un peuple envers un autre.

Toujours est-il que quand je parle de Argo à des amis, ou si je fais une critique de Argo, je ne vais pas mettre de côté ce que le film dit sur cet événement, d'autant plus qu'ici il est historique et a des implications politiques directes. De la même manière, si je parle de Shame de Steve McQueen, je ne vais pas me contenter de parler de la photographie admirable, de l'interprétation très juste de Michael Fassbender, ou de cette scène divinement réalisée où le héros se met à courir dans un plan séquence vu de côté et parfaitement cadré. Non, j'évoquerais aussi l'histoire un peu jusqu'au boutiste, la séquence de fellation dans la boîte gay qui est censée montrer à quel point le héros est tombé bas et qu'en l'occurrence j'ai trouvé un peu de mauvais goût. Je pourrais vous citer des dizaines de films comme ça : les Aronofsky (The Fountain, Requiem for a Dream, Black Swan), les Cronenberg (Crash, Videodrome, Cosmopolis) et bien d'autres. De la même manière, si j'étais un peu littéraire (je ne lis que pour mes études et aucune fiction depuis des années) je ne me contenterais pas de juger le style, mais aussi ce qui m'est dit par ces jolies phrases.

Tout ce déroulement n'a pour but que de signaler que vouloir séparer le propos d'un jeu, son fond, de sa technique, sa forme, c'est quelque chose qui doit commencer à évoluer rapidement. Le pourquoi du comment on est encore là n'est pas compliqué à trouver. Ça ne vient à mon sens pas forcément des jeux qui sont plus matures qu'avant (merci D.Cage) mais simplement du fait qu'on commence à enfin se masturber sur la question.

Je sais que beaucoup de joueurs de jeu vidéo n'ont pas envie de se tordre les méninges sur le jeu vidéo. Quand je dis « beaucoup », j'entends une large majorité. Il n'y a aucun mal à cela et encore est-il heureux que chacun puisse prendre dans ce média ce qu'il veut. Le problème cependant, c'est que tant que la très écrasante majorité des joueurs et des journalistes de jeu vidéo réfléchiront par la règle du « un bon jeu est un jeu bon techniquement » les développeurs continueront à stagner sur le plan, non seulement de la narration (comment on raconte une histoire via le jeu vidéo) mais aussi sur le propos (ce qu'on raconte dans l'histoire). Ce n'est pas parce que les développeurs ne savent écrire que le jeu vidéo n'a pas, globalement, de très bonnes histoires ou des thèmes très intéressants. Simplement aujourd'hui, un jeu peut-être bon aux yeux d'un joueur, même connaisseur, ou d'un journaliste spécialisé, sans pour autant que ni l'un, ni l'autre ne signale ce qui a pu les gêner ou les pousser à apprécier la trame ou l'idéologie véhiculée par le jeu. Ce n'est pas un problème qu'ont la littérature et le cinéma pour la simple raison que si l'on veut faire un livre ou un film qui soit apprécié de la critique et pas seulement du public, il faut aller plus loin qu'une réussite de la forme.

Il ne s'agit pas de dire que c'est bien ou que c'est mal d'avoir des personnages féminins avec des poitrines énormes et des personnages masculins body-buildés à l'extrême dans 100% des jeux de combats. Il s'agit simplement de ne pas omettre dans l'appréciation globale du titre que c'est quelque chose de notable pour la personne qui joue. Qu'on décide de passer outre, c'est entièrement à l'appréciation du joueur, mais ce dernier devrait comprendre qu'apprécier aveuglément un titre sans prêter garde à ce genre de détails, soit parce qu'ils sont éculés au point d'être fermement imprimés dans le cerveau, soit parce que ça n'entre pas dans sa grille de lecture du jeu (qu'il jugera plus à l'aune de son gameplay et ses graphismes) c'est ce qui conduit à des attitudes too much comme le Master-Chief qui parle de Halo 4 comme d'un jeu pas fait pour les gonzesses lors de sa promotion en Israel.

Le jeu vidéo, un monde pas très "girly"...tu m'étonnes!

L'idée de ce post était relativement précise, même si j'ai bien conscience que sa concrétisation est à la fois assez vague et peu structurée. Néanmoins, je voulais vraiment enfoncer cette porte déjà entre-ouverte par de nombreux collègues de la blogosphère vidéoludique : le propos d'un jeu doit si ce n'est compter, au moins figurer, être mentionné, dans la critique que l'on fait des jeux qui offrent des réflexions évidentes sur le sujet. Bien sûr que je ne demande pas que l'on dédie un paragraphe à l'enracinement de la course à la technologie dans la culture Japonaise pour parler d'un shmup avec des mechas. Cependant, quand clairement il y a quelque chose de dit sur un phénomène culturel qui mérite d'être précisé, j'aimerais beaucoup qu'on cesse de se retrancher derrière le sacro-saint « Ce n'est que du jeu vidéo » pour s'excuser de ne pas vouloir mouiller sa propre sensibilité. C'est bien de respecter les autres cultures, mais il y a une chose qu'a appris l'anthropologie notamment, c'est que le relativisme absolu ne vaut pas forcément mieux que l'intolérance.