Bénéficiant des outils de développement les plus poussés et un budget de création sans limites, Psygnosis a réalisé un titre qui allait marquer au fer rouge toute une génération de joueurs. Wipeout, produit et réalisé par Liverpool St. devait être prêt pour le lancement de la console PlayStation.

Propulsé dans un futur improbable, wipEout emprunte beaucoup d'éléments à l'école Nintendo F-Zero, Mario Kart, mais aussi Crash'n Burn et Powerdrome. L'éditeur ne cache pas ces évidentes affiliations et les revendique même. Le thème central de cette course futuriste est d'atteindre la première place du podium non sans ralentir ses opposants tout en négociant efficacement la gestion des ressources des pistes (bonus offensifs ou neutres, courbes, dénivelés). La puissance du support avait donné l'opportunité de débrider l'imagination des programmeurs et gamedesigners afin de proposer un jeu doté de graphisme « coup de poing » animé à trente images par seconde.

Wipeout était principalement né de l'inventivité de deux figures dans le monde du jeu-vidéo, l'artiste Jim Bowers et le game designer Nick Burcombe.  « Notre idée de départ était de produire quelque chose de décoiffant dans un monde confectionné en trois dimensions » réagit Nick dans les colonnes de EGM. « L'influence majeure vient de Powerdrome, il était doté d'un bon concept, cependant il était trop en avance sur la technologie d'alors. » L'influence revendiquée ne signifie pas pour autant plagiat : « notre titre apporte son lot d'innovation qui le rend unique » prévient Jim.  « L'idée directrice est le mouvement tout en donnant au joueur la possibilité d'avoir un réel contrôle sur sa course, ce que beaucoup de jeux de voiture oubli parfois. » Il est vrai que les premières simulations automobiles 3D donnaient la désagréable impression de glisser sur l'asphalte alors que les vaisseaux antigravitationnels de wipEout offrent une souplesse de conduite jamais ressentie avant. La caméra pointe vers le sol ou le ciel sous l'action du pilote virtuel (le joueur doit appuyer sur les touches haut ou bas de son pad) favorisant ainsi une pointe de vitesse ou inversement, accélère légèrement la poussée des moteurs lors d'une pente ascendante. Que dire des dénivelés, des courbes en épingle à cheveux. Attaqués en plein écran : « les circuits du style Altima 7 ont été construits spécifiquement pour donner le vertige et des haut-le-coeur » s'amuse Burcombe.

En plus de ce challenge, l'agressivité des opposants devait donner le change au joueur : « les armes ont un rôle important si ce n'est essentiel, pointe Nick. Nous avions mis un point d'honneur à ce que les concurrents répondent avec combativité, ils disposent de leur propre style de combat. Il y a par exemple un compétiteur dont la tactique consiste à manoeuvrer pour vous bloquer avec ses mines tandis qu'un autre cherchera le contact. » La collecte aléatoire des armes via le passage du vaisseau au-dessus de borne de couleurs évite de donner trop d'automatismes au joueur. La recherche de la trajectoire idéale doit primer sur les armes pour remporter la victoire. Le respect de l'équilibre du jeu a été une constante dans le développement du titre. L'équipe s'est appuyée sur une référence : « nous avons repris ce qui fait l'essence d'un Mario Kart » dont l'extrême tolérance permet à tout un chacun de rester en piste pour ainsi continuer d'éprouver sa capacité de nuisance pour le bonheur du joueur.

Les circuits ont dans un premier temps été dessinés sur papier à dessin avec pour chacun quelques spécificités telles que des péripéties pour pimenter la course ou des dénivelés vertigineux. Les pistes sont catégorisées en deux classes. Les cinq premières courses sont appropriées pour les débutants leur permettant de se familiariser avec l'univers du jeu, tandis que les cinq suivantes sont plus grandes et recèlent de bien des surprises (chemin alternatif, bonus secret). Une fois validés, les circuits étaient ensuite modélisés en 3D grâce à des logiciels de pointe comme SoftImage tournant sur des systèmes SGI. Les game designers avaient travaillé avec une contrainte inhérente à la technologie 32 bits. Aussi puissante soit-elle, l'affichage tardif du décor présentait un tableau inachevé des jeux de course. Ils ont donc été obligés de dessiner les circuits de sorte que les blocs de polygones n'apparaissent pas trop brutalement, à l'exemple d'un Ridge Racer qui a servi de maître étalon pour masquer cette réalité technique. A l'inverse, Daytona USA  servait de repoussoir car il concentrait tout ce qu'il ne fallait pas faire à l'époque, à savoir créer des horizons dégagés favorables au clipping. Toute l'ingéniosité de l'équipe basée à Liverpool a donc été de tracer des courbes en pente ascendante ou avec des angles à 45° dans le but de masquer l'apparition à retardement des décors. Lorsqu'il n'était pas possible de faire autrement, surtout dans les lignes droites ou bien à l'approche des tribunes de spectateurs, les game designers ont atténué cet effet visuel disgracieux en produisant un affichage progressif des circuits ainsi que du décor. Bien que partiel, l'affichage est plus doux. La perception du joueur, son niveau de tolérance est alors acceptable.

Alors que les programmes de développement à la disposition de Psygnosis ont été mis à contribution, l'équipe voulait produire les siens afin de perfectionner l'aspect visuel des courses : « en plus de respecter le calendrier, notre équipe a développé ses propres outils de programmation plus que ceux provenant d'éditeurs tiers. Nous voulions utiliser toutes les ressources hardware de la PlayStation. » Bowers poursuit : « je pense que cela a été l'occasion d'emmagasiner beaucoup d'expérience pour l'ensemble des programmeurs mobilisés autour de wipEout, SoftImage n'a plus vraiment de secret pour eux ! » Le temps investi dans la compréhension du puissant, mais complexe logiciel SoftImage a été d'un grand secours : « le logiciel prend en charge les ressources matérielles, le lighting, le texturing, tous les éléments dont la PlayStation a besoin en dehors de l'apport de nos propres outils. Des choses comme la création d'une source lumineuse projetée sur les circuits sont le fruit de notre propre travail de programmation. Ils sont bien entendu réutilisables pour d'autres jeux » assure Jim Bowers. Le producteur Dominic Mallinson ajoute : « la seule chose qui nous a posé problème avec SoftImage a été l'ajustement dynamique du gameplay, lié au design particulier des circuits. » Ce logiciel s'est imposé de lui-même dans le développement de wipEout sans pour autant être exclusif.

un design unique, une identité forte

En ce qui concerne l'aspect visuel du jeu (emblème et logo), Psygnosis avait fait appel à la webagency The Designers Republic. Son style propre emprunté au style japonais futuriste et stylisé dynamisa l'identité du jeu avant de dévenir un enjeu commercial à lui seul. Beaucoup de produits dérivés (t-shirt...) ont été distribués par Sony Computer faisant de wipEout plus qu'un jeu, un style de vie. La bande-son avait également été valorisée. D'ordinaire considérées comme musique d'ambiance (au sens négatif du terme), les pistes numérisées sur support CD ont contribué au succès du jeu : « Sony Music nous a donné accès à son énorme catalogue musical explique Glen O'Connell responsable marketing au sein de Psygnosis. On cherchait des rythmes rapides, dans la même veine que Letfield et Apollo 440. Nous voulions avoir des groupes célèbres parce que nous avions l'intention de proposer notre bande sonore à la vente. Ce genre de chose marche très fort au Japon. »

Avec l'appuie marketing, la musique, le design et les graphismes uniques du jeu, tout était réuni pour faire de wipEout un succès commercial. Il l'a été non sans soulever quelques critiques acerbes, surtout liées à la réputation de Psygnosis dans le monde du jeu-vidéo. Des jeux beaux, mais creux à la jouabilité problématique. En effet, en plus de son niveau de difficulté herculéen, la maniabilité très sensible associée à l'intolérance du jeu lorsque le vaisseau heurtait les rambardes de la piste avait fini par lasser beaucoup de prétendants au podium : « je ne regrette rien, cela fait partie de l'identité de wipEout » se défend Burcombe. Mais les doléances des joueurs n'étaient pas pour autant tombées dans l'oreille d'un sourd. Le carton international a appelé inévitablement une suite. En dépit d'un temps de développement réduit en peau de chagrin (7 mois seulement accordés par Sony Computer) afin d'être dans les linéaires pour les fêtes de fin d'année, le second volet suivait la même trajectoire triomphante que son ainée : « nous avions identifié ce qui ne collait pas dans le premier opus. Nous nous sommes davantage focalisés sur le gameplay plutôt que sur la technologie sur le second épisode. Bien que nous ayons eu des personnes talentueuses à nos côtés, je ne pense pas que le design des circuits aient été aussi imaginatif que dans wipEout 1″ déplore Burcombe. Effectivement, si les rebords de la piste ne sont plus aussi pénalisants, si l'environnement des circuits a été humanisé (végétation...), la taille des pistes ainsi que les contraintes de contrôle (dénivelés, tournant sec...) ont déçu faute d'inspiration nouvelle. Ce dont l'équipe a été néanmoins le plus fière, c'est la création d'une trainée de lumière bleutée à l'arrière des vaisseaux. Une innovation gourmande en ressource, mais avec un moteur 3D optimisé, la PlayStation a su le gérer sans pour autant sacrifier la fluidité ou le nombre de polygones affiché à chaque image/seconde.

le design des vaisseaux a contribué à la réputation de la série

Les remous internes provoqués par le désir d'indépendance exprimé par Psygnosis (adaptation de wipEout sur consoles Saturn et Nintendo 64 au grand dam de Sony Computer) n'ont pas permis au troisième volet de s'épanouir davantage. La haute résolution dorénavant standardisée sur PlayStation n'avait pas séduit les joueurs qui se détournaient de cette franchise sclérosée. Même avec l'apport du stick analogique simplifiant grandement la prise en main, l'audience du jeu sombre. La PlayStation 2 aidant, wipEout Fusion se présentant comme l'unification des trois précédents volets peine aussi à convaincre. L'identité du jeu souffre d'un effet de mode dépassé et le gameplay reste trop proche des précédents wipEout en dépit de nouvelles armes (canon à protons, lance-flammes qui profitent de la puissance du support) ainsi que des circuits plus tortueux (les vaisseaux peuvent s'arracher de leur mode antigravité pour temporairement s'élever dans les airs afin de s'accrocher aux pistes supérieures). Psygnosis dissoute, c'est le Studio Liverpool qui a maintenant la charge de donner un nouvel élan à la série. Las, la franchise gagna une seconde jeunesse sur modèle de poche dont l'expérience en ligne sera prolongée peu ou prou sur le PlayStation Network.

Le premier wipEout explique à lui seul l'engouement si prononcé des joueurs en faveur de la PlayStation. Il attira bon nombre de joueurs adolescents car le jeu concordait avec leur aspiration du moment (cyberespace, volonté de rompre avec l'univers sucré de Nintendo). « La reconnaissance de wipEout s'est articulée autour de son design unique et parce qu'il collait bien à l'image high-tech de la PlayStation. Intégrer des graphismes avant-gardistes, de la musique contemporaine ont représenté un choix judicieux pour les gens comme nous, surnommés « geek ». Je pense que le département marketing a conservé ce qualificatif. » Chaque rouage constitutif du gameplay de wipEout, l'architecture polygonale très sophistiquée des circuits ont contribué au dépassement du stade expérimental auquel wipEout était d'abord prédestiné. Cette franchise deviendra un grand classique des consoles PlayStation jusqu'à muter dans une version dématérialisée et orientée online, sa véritable vocation.