En 1994, un souffle de modernité traversa l'industrie dans toutes ses composantes. L'arrivée en grande pompe de la PlayStation n'a pas seulement fait entrer le monde du jeu vidéo dans la troisième dimension. C'est aussi l'avènement du CD-ROM, facilitant l'introduction de la full motion video, ces petits films vaguement interactifs destinés à tisser une filiation cinématographique à des jeux très présomptueux dans leur propos. Avec son regard condescendant, l'industrie du 7e art s'est penchée de manière opportuniste sur les nouvelles capacités des consoles de jeux 32bits.
 
La filiale jeu vidéo de la 20th Fox flaire le filon et dépêche les services d'une société spécialisée dans ce créneau, HyperBole. La série télévisée X-Files n'est qu'à sa deuxième saison, mais les téléspectateurs lui vouent déjà un culte sans borne. Pour entretenir ce succès florissant, la Fox cherche à pénétrer le marché du jeu vidéo afin de s'assurer de nouveaux débouchés à son activité. La société organisa une réunion avec Chris Carter, le créateur de la série, des représentants de la branche interactive de Fox et Greg Roach, chargé via son studio HyperBole d'assurer la réalisation console. L'ambiance était visiblement très tendue, Chris Carter s'adressa à Greg Roach avec un ton arrogant : "que vous est-il possible d'apporter de mieux que moi ?" rapporte le PDG d'HyperBole au magazine Edge. Sans se laisser impressionner, Greg Roach joua l'apaisement. Il mit en avant la carte de la complémentarité des compétences plutôt que la mise en concurrence de leur savoir-faire respectif. Ce qui contribua à détendre l'atmosphère entre les deux parties.
 
 
La réalisation du jeu X-Files dura quatre ans et coûta la bagatelle de 6 millions de $ à la Fox. Avec l'aide du dispositif VirtualCinema, HyperBole a élaboré le jeu comme un monteur de clips vidéo, sans nécessairement avoir des notions de programmation. L'éditeur de scripts assurait une arborescence narrative cohérente afin de maintenir une suite logique d'extraits vidéos aux yeux du joueur. Contrairement aux divers titres qui ont exploité sans réel moyen financier (décors en image de synthèse), X-File bénéficiait du formidable background de la série. Si bien que l'émotion et l'intensité dramatique étaient mises en avant en lieu et place "des jeux 3D temps réel où l'on teste votre capacité à tirer sur tout ce qui bouge" fait remarquer Greg Roach.
 
L'homme se souvient des difficultés à travailler avec une société comme la Fox dont le gigantisme est source de désarroi : "c'est un peu comme parler à une personne ayant un trouble de la personnalité ou souffrant de la maladie d'Alzheimer [...] nous avons dû faire face à la division juridique, au département marketing, à la branche TV [...] chacun d'eux possède ses propres prérogatives" signale le PDG. Sans compter que le statut "non-hollywoodien" de Greg Roach avait agacé les membres très corporatistes de l'exécutif de la Fox...
 
 
Le mariage des deux industries n'a pas fonctionné malgré les moyens déployés par la société cinématographique et l'expérience d'HyperBole. Les prérogatives artistiques du 7e art avaient été au-delà des contraintess imposées par l'interaction. L'atmosphère noirâtre de la série avait empiété sur la lisibilité des lieux à investiguer. "Travailler sur X-Files m'a prouvé que l'interactivité et la dramaturgie s'opposent directement", résume son collègue Vandenberghe. Commercialisé en 1998, le jeu s'écoule à un million d'exemplaires. Trop peu pour la Fox qui se désintéressera de ce marché arcbouté sur ses propres règles de fonctionnement. Grand bien lui fasse !
 
X-Files restera tout de même le meilleur représentant des défenseurs de la FMV qui s'est écroulée sur elle-même à la fin des années 90.