C’est le feuilleton de cet hiver qui en marge de la commercialisation de la PlayStation 4 met en vedette Crash Bandicoot, otage bien malgré lui d’une bisbille feutrée entre Activision et Sony. Le vrai-faux retour sur le devant de la scène de cette mascotte jadis désavouée par le constructeur japonais tiens à la personnalité joueuse de Mark Cerny, grand architecte du renouveau de Sony PlayStation (ex Sony Computer).
 
Développeur multicarte, il participe à un grand nombre de projets à succès, dont le fameux Crash Bandicoot. Il porte en cette série un attachement certain, vérifiable dans son discours quant au développement de sa dernière création : “pour dire simplement les choses, j’ai souhaité à travers Knack évoquer la même sensation de jeu que lorsque vous découvriez Crash Bandicoot pour la première fois” explique-t-il dans une vidéo promotionnelle de son jeu. Crash est une évidente fierté au travers de son riche parcours professionnel : “c’était la licence la plus vendeuse sur PSone” confiait le technicien à Ign.com.
 
Dorénavant grand artisan du rebond de Sony grâce à une console de salon censée réincarnée la philosophie vertueuse des cycles PS1/PS2, il dispose d’un pouvoir de décision élevée. Peut être assez puissant pour exiger de la branche marketing de glisser un message furtif dans une publicité télévisée “Pour les joueurs” vantant l’univers iconique vaste de la PlayStation 4. La silhouette du coyote à peau rouge est reconnaissable entre toutes pour les yeux exercés. Une initiative visiblement prise aux dépens d’Activision, détenteur des droits d’exploitation commerciale. La lecture de l’arbitrage de l’éditeur nord-américain est par ailleurs assez confuse. Dans un premier temps, le numéro un mondial de l’édition bazarde la page web officielle de Crash Bandicoot en une Erreur 404 qui ne dit pas son nom : “Oops, il n’existe aucun résultat trouvé pour Crash Bandicoot. Merci de modifier votre recherche”. Identique toilettage sur le site officiel d’Activision, tous les titres de cette série lancée par l’éditeur n’y figurent plus.
 
 
La fin de cette histoire rocambolesque semblait couler de source jusqu’à l’intervention inopinée d’un porte-parole de l’éditeur dans les colonnes du site GameInformer.com : “nous détenons les droits exclusifs de Crash Bandicoot, nous travaillons sans relâche dans la manière à redonner vie à cette licence”. Dont acte. Ce véritable vaudeville aurait pu s’achever sur ce message contradictoire, mais la filiale danoise de Sony PlayStation vient de relancer les spéculations en présentant sur sa page Facebook une carte de voeux. Celle-ci met en scène le coyote avec cette question sibylline : “quels voeux formulez-vous pour Noël ?”. Les coulisses des négociations entre Sony et Activision sont probablement tendues. La nouvelle autorité de M.Cerny associée à la montée en puissance du studio Naughty Dog change la donne. L’orchestration du retour de Crash dans l’escarcelle de Sony rappelle avec force les origines de cette icône contre laquelle Ken Kutaragi s’était farouchement opposé au statut de mascotte, arguant que la marque PlayStation se suffisait à elle-même.
 
Nous sommes en 1994, les fondateurs historiques de Naughty Dog se font remarquer avec le jeu de combat Way of the Warrior sur 3DO financé grâce à leur bas de laine. C’est le vice-président d’Universal Interactive Studios qui leur tenda le premier la main. Depuis sa haute fonction, Mark Cerny devenait signataire d’une commande de trois jeux avec Naughty Dog. À cette époque, le studio se cherchait : “les jeux de course 3D ont leur référence avec Ridge Racer et Virtua Racing, le combat 3D c’est Virtua Fighter, Virtua Cop truste les shooting 3D”, égrène Jason Rubin dans le mensuel Retrogamer. Un créneau restait vacant à ses yeux : “le jeu d’action/plate-forme 3D autour d’un personnage figuratif”. À l’instar d’un Sonic pour Sega et d’un Mario pour Nintendo, il fallait créer de toute pièce un avatar original, mais cette fois modélisé en trois dimensions. L’inspiration de J.Rubin aidé de son acolyte est plutôt singulière : “au cours d’un voyage qui nous a amenés à traverser l’Amérique profonde [...] nous nous étions convenus de le nommer les fesses de Sonic”. En anglais dans le texte !
 
Le mode de représentation volumétrique imposait une perspective arrière et anticipée comme “une difficulté d’identification” alors que Sonic et Mario étaient traditionnellement vus de profil. Ce problème fut ainsi tourné en dérision en le qualifiant d’une façon lubrique. Lorsque ce concept fut soumis à Mark Cerny, ce dernier se montra enthousiaste. Derrière la grossièreté de façade, le vice-président de la filiale interactive d’Universal y décela une précieuse innovation, car à sa connaissance, aucun développeur n’avait encore envisagé la chose. La 3D était en effet au stade embryonnaire sur consoles de salon.
 
 
Avant d’appartenir corps et âme à Sony, Naughty Dog évoluait en roue libre. Sa stratégie ouverte l’enjoint à mesurer les forces en présence. La sélection par élimination entreprise par les deux fondateurs fut sans appel : “il ne nous a fallu que très peu de temps pour choisir. 3DO : puissance 3D médiocre et aucune vente. 32X : pétard mouillé et aucune vente. Saturn : conception matérielle hybride délirante et devkit mal pensé. Puis il y avait Sony. Sa feuille de route était lamentable, cependant la stature de la société japonaise ainsi que sa séduisante console l’ont fait sortir du lot”. Un autre postulat avait été mis en évidence grâce à cette veille concurrentielle. Contrairement à Nintendo et Sega, Sony ne disposait pas de mascotte pour personnifier son format 32bits. Le champ concurrentiel était pour ainsi dire dégagé.
 
L’expertise de la PSone leur apporta satisfaction à une chose près : “la console dispose d’une résolution vidéo de 512x240 accessible à une petite poignée de développeurs talentueux, car ce mode est très gourmand en ressource mémoire (La norme standard était 320x240). Les textures en pâtissent. Sinon, cette plate-forme excellait dans la gestion des ombres des polygones non texturés” détaille Jason Rubin. Alors, les programmeurs de ND s’arrachèrent les cheveux pour atteindre la définition maximale de la 32bits en trichant sur la taille des personnages ainsi que le niveau de détail des textures visibles : “le plus fou a été de caser tout cela dans les 2MB de RAM de la PSone”. D’autres solutions moins avouables pour les programmeurs ont été mises en place telles que la délimitation de l’espace 3D temps réel, l’avatar évoluant au sein d’un tunnel quasi invisible pour le joueur.
 
Le jeu est sans surprise un succès international. Désireux de rompre avec les conventions de l’ère 8/16bits, les dirigeants de Sony Computer refusent d’associer le personnage à sa console vedette. Qu’importe pour le studio, Crash Bandicoot était viscéralement associé à la machine de Sony dans l’esprit des joueurs. Ce triomphe donna un formidable élan à l’ascension de ND.