Lors de ma dernière chronique, je vous parlais du sacrifice de soi en guise d'offrande pour plus de pouvoir. Aujourd'hui je vous parlerai du vrai sacrifice. Le vrai, celui où l'on offre sa vie pour une cause qui nous dépasse.

De fait, le sacrifice de soi au bénéfice d'autrui est et reste une source de fascination et d'éloge puissante pour l'humanité, et ce, déjà bien avant la mort de Jésus expiant pour les péchés du monde. Dans les oeuvres de fiction modernes, ces moments de sacrifice de soi sont généralement présentés sous deux formes :

a. Le personnage qui se sacrifie s'était jusque là comporté de façon lâche, indigne ou bien avait causé du tort à d'autres personnages de l'histoire. En se sacrifiant - que ce soit en se jetant sur la trajectoire des balles ou en se faisant exploser avec une grenade face à une horde d'aliens - il rachète ses erreurs passées, obtenant une rédemption posthume.

b. Le personnage est un ami ou un allié proche d'un autre personnage et son seul but dans l'existence est de voir leur mission/cause réussir, ou d'aider et protéger à tout prix cette personne. Dès lors, en donnant leur vie, ils montrent leur dévouement absolu à leur cause, ami, ou amour.


La mort be Boromir dans le Seigneur des Anneaux

Ces deux profils de sacrifice fournissent un potentiel important d'impact émotionnel, d'autant plus puissant que les sacrifiés ont un lien profond avec les autres personnages.

Et pourtant, ces deux profils ont ceci en commun qu'après la mort des personnages, il est possible de revenir sur leurs vies, de voir, comprendre et pardonner les choix qui les ont menés jusque là, à la lumière de ce qu'ils sont devenus. Ainsi, en se sacrifiant, ces personnages justifie leur présence dans l'histoire et se rachète une conscience morale.

Les exemples de sacrifices sont de fait devenus tellement nombreux dans la fiction qu'il est devenu facile, voire presque acceptable et attendu, pour le lecteur/spectateur/joueur de voir un quelconque personnage donner sa vie pour sauver celles des autres. Ainsi, nous pouvons être tristes de la mort de tel ou tel personnage mais nous finissons toujours par nous faire à l'idée de sa mort - qui ne fut pas "inutile". C'est un peu ce que les personnages secondaires font et sont donc presque destinés à faire.

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Je ne suis pas un fan de Final Fantasy. J'en ai apprécié certains, pas tous, notamment le VI. Jusqu'à récemment, je n'avais jamais joué au IV et son remake sur Nintendo DS fut l'occasion rêvée. Pourquoi je vous en parle, après mon laïus précédent ?

Et bien, Final Fantasy IV contient précisément un moment de sacrifice qui, non seulement m'a pris au dépourvu, mais m'a relativement ébranlé et surtout, impressionné par la façon dont il s'écarte des clichés du genre. Laissez-moi vous raconter.

Lorsque j'ai rencontré Palom et Porom, je venais juste de survivre à un vilain naufrage. Me rendant au village le plus proche, je découvre alors qu'il s'agit de celui que j'avais autrefois attaqué et mis à sac : bien évidemment les villageois ne m'accueillent pas les bras grands ouverts... Souhaitant me racheter, je vais donc rendre visite à l'ancien du village (car il y a toujours un ancien du village) qui me propose de m'envoyer au sommet d'une montagne voisine pour faire de moi un paladin - trop cool. Je décide d'y aller et l'ancien demande à des jumeaux, Palom et Porom, de m'accompagner. Les deux enfants sont les apprentis mages de l'ancien, l'une est mage blanche, l'autre mage noir - et considérablement doués pour leur jeune âge.

Palom était une enfant gentille, polie et attentionnée. Son frère, à l'inverse, relevait plutôt du petit galopin impétueux et insolent. Pas plus de dix ans tous deux sans doute. La première était spécialisée en magie de soin et de protection tandis que le second était un expert en sort de destruction massive. Ensemble, ils m'aidèrent à surmonter maintes péripéties, acceptant d'abandonner leur foyer pour venir m'aider.

Puis vint la séquence où, venant de vaincre un boss, nous dûmes fuir un château - nous nous retrouvâmes alors dans une salle scellée et dont les murs se rapprochaient, nous condamnant à périr écrasés. C'est alors que ces deux gamins, ces deux enfants qui avaient encore toute leur vie devant eux, se précipitèrent consciemment contre chaque mur, décidant de se pétrifier afin de retenir les murs et nous permettre de nous échapper. Nous essayâmes de les libérer de leur propre magie mais rien ne marcha.

Alors que nous continuions de fuir, nous jurâmes que leur sacrifice ne serait pas vain - mais la vérité, c'est qu'au fond de moi, je savais que c'était de ma faute : si je n'avais pas fait de mal à leur village, si je n'étais pas revenu ici, tout cela ne se serait pas produit : ils y seraient sans doute encore, vivant paisiblement entourés de leur famille, de leurs proches. Peut-être que s'ils n'avaient pas été là pour bloquer ces murs, alors nous serions tous morts et le monde aurait été détruit. N'empêche, il me paraissait difficile d'accepter le sacrifice d'enfants si jeunes. Est-ce qu'ils comprenaient réellement le sacrifice qu'ils étaient en train de faire ? On dit que les enfants comprennent beaucoup plus de choses que ce que l'on croit, mais est-ce que ceux-là saisissaient vraiment ce à quoi ils renonçaient en offrant ainsi leur vie ?

Des enfants... Et si tôt dans le jeu, je ne m'y attendais pas. A la limite, j'aurais sans doute plus accepté le sacrifice des autres personnages, mais c'aurait été une énième application des clichés dont je vous parlais au début.

Mais l'histoire devait continuer, et ignorant de ce qu'il adviendrait encore, je poursuivis mon voyage et ma quête, jusqu'à affronter l'ennemi final, inspiré par la bravoure et la générosité de deux jeunes enfants. Leur sacrifice avait un sens. Il était complètement inattendu (du genre de la mort d'Aeris dans FFVII, sauf qu'elle ne s'est pas sacrifiée volontairement...), il était dramatique, et surtout, il m'a amené à les voir sous un jour complètement différent, à reconsidérer l'ennemi que nous affrontions, à réfléchir sur ma volonté de le vaincre - et surtout, à me rappeler encore une fois la puissance émotionnelle que peuvent véhiculer les jeux vidéo. Je vous parlais d'Heavy Rain il y a quelques temps : Final Fantasy IV, lui, date de 1991. Presque vingt ans plus tard, un petit jeu sur cartouche portable me fit vivre un moment d'intensité dramatique remarquable, me montrant un acte de sacrifice dépassant en valeur beaucoup de sacrifices affichés dans bien des films et romans...

Et vous, quel est le plus beau sacrifice que ayez pu découvrir dans une fiction ?

P.S. J'avoue, jai poussé un grand ouf dans la cinématique de fin en découvrant que les deux gamins furent finalement libérés et purent continuer à vivre leur vie. Satanés happy end, je vous hais.
(Source)