A l’occasion de la sortie du DLC Rajas of India la semaine dernière, petit retour sur un des jeux de stratégie les plus atypiques de ces dernières années.

J’ai toujours aimé les jeux de stratégie/gestion. Ma première histoire d’amour vidéoludique, c’était Sim City sur mon ZX Spectrum. La suivante fut une montée en puissance, puisque c’est Sid Meier’s Civilization (premier du nom) qui monopolisa une grande partie du temps que j’aurais normalement dû consacrer à mes devoirs…

Mais malgré cette passion dévorante, ni l’un ni l’autre ne me donnait tout à fait la sensation que je recherchais : me sentir pleinement dans la peau d’un puissant dirigeant. En effet le maire de Sim City, ou les leaders de Civilization restent des concepts abstraits, dont l'incarnation se limite essentiellement à un curseur sur l'écran. Il leur manque une personnalité propre qui permet au joueur de s'incarner dans un personnage de chair et de sang.

Les années passant, le constat est resté inchangé. J'ai consacré des milliers d'heures à divers jeux de stratégie, et vénéré certains d'entre eux. Mais je n'étais jamais que dans la peau d'un joueur de jeux de stratégie, pas dans celle d'un monarque.

 

Arrive Crusader Kings II, et ma quête du graal est enfin achevée. Voilà un jeu où l'on incarne une dynastie de nobles qui, certes, doivent gérer leurs domaines, mais ont également une vie familiale complexe. Une vie faite d'héritiers à engendrer, de filles à marier pour sceller des alliances, de tentatives d’assassinat… Sans parler des règles de succession à changer pour éviter que le cousin Hugues, le bossu un peu débile dont la rumeur affirme qu'il préférerait le jeunes garçons, et Dieu sait que ce n’était pas vu d’un très bon oeil à l’époque, ne prenne le relais à votre mort (Dans Crusader Kings II, à la mort de votre personnage, vous vous réincarnez en son successeur – pour peu qu’il soit de la même dynastie sinon c’est Game Over)

Même si le jeu n'est pas une bête technique, on a vu carte du monde plus moche...

Un exemple valant mieux qu’une longue explication, laissez-moi vous conter les aventures d’Eudes, duc de Bourgogne et de sa longue descendance. Notre histoire débute le premier avril 1081. Après quelques petites batailles internes au royaume de France, Eudes a pu rapidement ajouter quelques comtés à son escarcelle et créer le Duché de Berry, le faisant donc deux fois duc. Mais le bon roi Philippe I finit par interdire que les nobles de son royaume se fasse la guerre. Eudes vit ainsi ses possibilités d’expansion future anéanties. Fort heureusement, sous la pression de ses vassaux, le roi revint à une administration plus laxiste, mais Eudes découvrit vite que d’autres embuches s’accumulaient sur la route de la puissance. En effet, passé l’euphorie des premières conquêtes, il devint vite évident que le pouvoir accru des de Bourgogne commençait à agacer le roi. Chaque nouvelle annexion de comté voyait invariablement Philippe I déchoir Eudes d’un de ses titres, forçant de facto le statut quo. Il avait peur de la rivalité. Quelles options alors pour Eudes et ses héritiers ? Déclarer la guerre au roi pour arracher l’indépendance ? A supposer que la Bourgogne et le Berry puisse rivaliser avec les armées françaises, ce qu’elles ne pouvaient pas, le Saint empire Germanique n’était qu’à un jet de pierre et il a déjà clairement fait savoir qu’il ne lui déplairait pas de manger toute crue la Bourgogne… Mais il était écrit que les étoiles brilleraient pour les de Bourgogne. Le mécontentement montait chez les nobles français et ceux-ci ont monté un complot pour destituer Philippe et installer un membre de ma dynastie sur le trône. Après une guerre longue et pénible, attaqué de toutes parts, le Roi fut obligé de reconnaître sa défaite et de laisser la place à mon cousin éloigné. Si je voulais moi-même le trône de France, il fallait encore que j’hérite du roi ou que le roi hérite de moi (je rappelle qu’à la mort de votre personnage, vous vous incarnez dans son héritier). Par chance, le nouveau roi était très vieux et j’avais depuis longtemps adopté le séniorat come règle de succession (le membre de la dynastie le plus âgé hérite des titres). Ne restait pour le vieux duc de Bourgogne qu’à mourir, ce qui arriva tout naturellement et assez vite. Le Duc est mort. Vive le Roi.

 Chaque personnages a des stats détaillées et des attributs basé sur les vertus ou les péchés capitaux

Après de telles émotions, un demi-siècle de relative tranquillité au Royaume de France ne furent pas de refus. Mais les meilleures choses ont toujours une fin, et deux crises majeures devaient se succéder :

1)      A un moment de la vie de la dynastie des de Bourgogne, l’héritier était un fieffé hérétique. Bien évidemment, tentative fut faite de s’en débarrasser pour faire hériter le suivant dans la ligne de succession. Sans succès. Diriger le royaume de France, quand on est hérétique, c’est très fun… ou pas. Crusader Kings II offre la possibilité de se convertir à la religion dominante, mais cette option est bien cachée dans le menu Intrigues (pourquoi pas le menu Religion ?) et je ne l’ai trouvée que très tard, malheureusement bien après que la Pape ait lancé… une croisade contre la France !!! Que je n’ai pu tenir en respect que par miracle.

2)      Alors que je pensais bénéficier de la prospérité à laquelle tout roi nouvellement converti a droit, les Mongols ont tout d’un coup décidé qu’ils ne pouvaient plus supporter le manque de vins, de fromages et de cuisses de grenouilles qui sévissait chez eux. Les voilà donc partis pour envahir la France ! Au pire moment, puisque la croisade ne m’a laissé qu’une armée fatiguée et les coffres vides. J’avais quelque espoir que le Saint Empire Romain ferait tampon entre eux et mon Royaume, mais la marine mongole fut très efficace et me voilà face à un débarquement mongol en Normandie. Il ne fallut pas bien longtemps pour constater que la défaite était totale. Dans sa grande bonté, le Khan me laisse quelques morceaux de territoires dispersés et le titre de Roi d’Aquitaine. Un titre qu’il aurait très facilement pu usurper, mais quand on a un empire qui couvre la moitié de l’Europe à gérer, de tels petits oublis sont bien compréhensibles…

 A ce stade, il ne reste plus que la prière pour espérer survivre. C’est à ce moment que mon personnage eut à bénir la mémoire de son défunt père, dont le mariage devait s’avérer décisif pour la destinée des de Bourgogne. En effet, mon grand-père mourut et ma mère hérita tout à a fois des Royaumes de Norvège, du Danemark et de l’Angleterre. Maman vécut une (trop) longue vie, mais quand elle fit finalement preuve d’un peu de pitié et passa l’arme à gauche, je (re)devins instantanément un Roi très puissant.

On a souvent l'embarras du choix pour se marier (ou quand on est trop jeune, se fiancer)

A partir de ce moment, les événements se sont bien calmés jusqu’en 1453, date où le jeu se termine automatiquement. Etre grand et puissant n’est pas aussi intéressant qu’être petit et comploter pour s’agrandir. On ne s’ennuie pas vraiment : on peut micro-gérer tout un tas de choses dans Crusader Kings II, mais on manque un peu d’adrénaline quand on est trop puissant pour que d’autres viennent nous menacer. Les dernières décennies furent donc consacrées à une inexorable expansion, morceau par morceau, en commençant par les terres païennes de Finlande. Cela me permit d’unir toute la Scandinavie et à la fin du jeu, j’étais Empereur de Scandinavie, Roi de Norvège, Roi de Suède, Roi de Finlande, Roi d’Angleterre, Roi du Danemark, Roi d’Aquitaine, sans oublié trois titres de Duc et neuf titres de Comte. Avec un score final de 94.238.

Je pourrais vous raconter d’autres histoires, notamment celui de Beyerbei Uthman (un duc dans ce qui est aujourd’hui l’Iran), et comment ses femmes s’assassinaient mutuellement pour favoriser leurs propres enfants dans la succession, le plus souvent pendant qu’il était parti faire le pèlerinage à La Mecque. C’est cela Crusader Kings II en fait : plus qu’un jeu, un générateur quasi-infini de petites histoires dans la grande. Alors bien sûr, le jeu n’est pas exempt de défauts, le premier d’entre eux étant une documentation pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Le débutant va passer beaucoup de temps sur les forums et dans les wikis pour essayer de comprendre les tenants et les aboutissants de cette mécanique complexe. Mais si la tâche est rude, les récompenses sont largement à la hauteur. Bien qu’il soit sorti il y a déjà deux ans, Paradox continue à sortir régulièrement des DLCs, que ce soient de bonnes grosses expansions qui renouvellent le jeu, ou des micro-DLCs purement cosmétiques

Et si malgré les centaines d’heures que tout ce joli paquet d’octets vous offre, vous n’en avez toujours pas assez, vous pourrez toujours vous tourner vers les  nombreux mods (modifications/scénarios créés par les fans du jeu) disponibles, dont un très fouillé basé sur Game of Thrones et un autre sur la série de jeux Elder Scrolls.

 Westeros (Game of Thrones) version Crusader Kings II

Crusader Kings II est un jeu de stratégie pour Windows, Mac et Linux. Il est disponible à l’achat sur un nombre incalculable de sites, de Steam jusque Gamersgate, en passant par la webshop de Paradox. Il est disponible en français, bien que la nécessité d’arpenter les forums et guides stratégiques pour bien le comprendre rendront le jeu plus confortable si vous êtes au moins un peu anglophone.