Aucun poulet n'a été concassé lors de l'élaboration de cette article. 

___________________________

 

Internet 2.0 est construit sur une utopie que Karl Marx aurait probablement adoubé : tout le monde est désormais libre d'exprimer son avis et de le partager comme bon lui semble au sein d'espaces qui n'ont jamais été aussi perfectionnés ni aussi efficaces.

Cette utopie a donné l'illusion de pouvoir casser la hiérarchie existante entre les hommes derrière les internautes. Twitter, Facebook ou Instagram proposent de directement s'adresser aux staaaaars comme s'ils étaient nos voisins de palier. Cette communication horizontale où toutes nos voix semblent avoir le même impact autorise une proximité (virtuelle argueront certains) entre les personnes d'un même réseau.

De cette proximité sont nées de nouvelles formes de communication, plus « directes » qui s'affranchissent des réseaux traditionnels. 

 

Toutes les voix ont-elles vraiment le même impact ?

 

Non. D'abord, votre voix n'aura pas le même impact si elle est entendue par trois personnes que si elle est relayée par des milliers. Logique, pour obtenir un véritable poids sur Internet, il faut être suivi et écouté par le plus grand nombre. D'où certaines dérives modernes amusantes, tel l'achat de followers, qui correspondrait dans le monde réel au détournement de dizaines de cars remplis de retraités pour occuper des meetings politiques. Je dis ça comme ça, je ne suis au courant de rien...

Peu importe votre message au fond, ce qui compte, c'est qu'il touche le public le plus large possible. C'est la vision d'une certaine partie de la production sur Internet.

 

Un internaute a-t-il du pouvoir ?

  

Oui.  L'internaute est un chien errant dont il faut réussir à capter l'attention.

Dans la vraie vie, il peut être difficile de quitter une salle en pleine réunion. Il sera sûrement très difficile de quitter sa femme depuis plus de 30 ans, compliqué de confier ses problèmes personnels à des proches. Chacun de nos actes entraine une suite de conséquences dont on se méfie, et qui régule notre comportement en nous soumettant aux normes sociales.

Sur Internet, peu de personnes assument leur véritable identité : les avatars et les pseudos nous donnent l'illusion de pouvoir se protéger. Derrière ce mur virtuel, nous agissons plus librement, à l'instinct. Nos comportements sont dès lors plus difficiles à décrypter puisqu'ils ne répondent plus seulement à notre identité propre, mais également à la conscience que nous pouvons nous permettre d'écrire des choses que nous ne pourrions jamais dire dans la sphère quotidienne du réel.

De cette liberté nait un pouvoir : celui d'une expression plus souple. Cette expression est toutefois régulée - par des modérateurs plus ou moins efficaces - mais si Internet est une toile qui prolifère, comment contrôler cette prolifération ? L'internaute décide, donc, et fait des choix.

En ouvrant une page, il donne à cette page un certain poids. Puis viendra un second, troisième, centième, millième internaute etc.

De ces microdécisions naissent des statistiques, et de ces statistiques naissent des certitudes. Vous avez cliqué donc vous avez été intéressés. Nous savons par quoi vous êtes intéressés donc nous allons vous proposer davantage de contenus de la sorte.

 

Il ne faut pas être un expert en sociologie pour comprendre que les contenus les plus prisés seront naturellement les contenus les plus percutants et accrocheurs. Les titres doivent faire la majeure partie du boulot. Le référencement devient dès lors capital ; il faut convaincre vite.

Et ous ne vendrez certainement pas autant de clics sur l'histoire de la Mésopotamie que sur l'histoire du string. Mais en cliquant sur l'article « Histoire du string », vous donnerez du poids à sa pertinence et encouragerez ses auteurs à créer d'autres contenus de ce type.

 

Un internaute est-il foncièrement con ?

  

Oui et non. Un internaute est versatile par définition. Lire derrière un écran n'a rien de confortable pour de nombreuses personnes qui préfèreront un contenu percutant à un texte trop long ou trop complexe. Internet n'est pas un format idéal pour s'épancher même s'il est tout à fait possible d'y trouver des articles élaborés.

Dans la vraie vie, nous naissons, grandissons, nous éduquons, fondons une famille, léguons notre expérience acquise dans le meilleur des cas puis mourrons selon l'archétype habituel.

Sur internet, nous naviguons, picorons et désertons vite. Nos responsabilités sont moindres et nous en profitons logiquement. YOLO.

En fait, nous n'avons aucune conscience de notre responsabilité en tant qu'internaute et c'est ce qui nous rend versatile. Pourtant, par un simple acte de présence, un clic, nous modifions sur le long terme les contenus que nous lirons à l'avenir.

 

  

 

Je clique donc je suis ?

  

Non. Ce n'est pas parce que nous cliquons sur un article que nous en apprécions son contenu. Peut-être avons-nous été piégés par un titre accrocheur et légèrement mensonger ? Peut-être avons-nous ouvert cet article dans un onglet dans l'espoir de le lire ultérieurement ? Nos clics sont parfois irrationnels et c'est ce que l'on appelle la sérendipité. Nous cliquons, puis cliquons encore et soudain, l'objet initial de notre recherche s'est volatilisé.

Vous avez d'ailleurs peut-être fait preuve de sérendipité pour parvenir jusqu'ici et il n'y a rien de mal à cela.

Pourtant, qu'il soit fortuit ou non, qu'il soit assumé ou non, un clic reste un clic et il sera comptabilisé comme tel. Et même si ses motivations sont multiples, il sera toujours perçu comme un encouragement voire un argument.

  

« Si tu n'aimes pas, tu ne cliques pas ? »

 

Non. Nous cliquons très régulièrement sur des articles qui a priori ne nous informeront que très modérément. Internet étant aussi (surtout ?) un espace de distraction, nul doute qu'il vous est déjà arrivé de lire des contenus triviaux, abrutissants ou tout simplement nuls. Et c'est votre droit. Mais la curiosité est un vilain défaut quand elle n'équivaut qu'à se faire piéger par des rédacteurs retors exploitant à merveille les techniques de séduction débouchant sur du vent.

Pensez au nombre de fois où vous avez secoué la tête devant un contenu affligeant vendu quelques secondes plus tôt par un titre putassier. Une citation de deux lignes, un titre exagérant la nature de cette citation et le tour est joué. Vous avez été pris au piège et ce n'est sûrement pas la première fois. D'ailleurs, il est tout à fait concevable de croire que des contenus doublent voire triplent leur nombre de vues grâce à de pareilles manipulations peu reluisantes.

Pourtant, nous y reviendrons, encore et encore, inexorablement. Notre bon sens nous commandait de nous méfier, mais nous avons quand même cliqué et sommes de nouveau déçus. Certains vont l'exprimer, d'autres ne vont rien dire. Et ceux qui exprimeront leurs critiques se verront presque immanquablement répondre cette proposition, sorte d'encouragement à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, grand classique des discussions entre internautes : « si tu n'aimes pas, tu ne cliques pas », variante de « la France, tu l'aimes ou tu la quittes ».

 

Mais alors, tu te barres et tu ne lis plus que les choses qui t'intéressent ? Et il faut aussi quitter le pays ?

 

Ce n'est pas si simple. Nous l'avons dit, la contradiction et le plaisir de se perdre font partie intégrante des caractéristiques d'un internaute.

Un internaute est aussi exagérément critique ; l'anonymat est un libérateur de parole et il peut distordre la réalité, amplifiant par conséquent les remarques enflammées - souvent négatives.

Un autre effet pervers, mais cette fois du côté des sites, est l'omnipotence des annonceurs dans le système de l'Internet gratuit. Si le gratuit était une voiture, la publicité serait sa remorque. L'une ne fonctionnant pas sans l'autre, ces deux mamelles - il est grand temps de parler de mamelles, je sens que je suis en train de perdre mon lectorat testostéroné - cohabitent bon an mal an. Mais à qui vendrez vous de la publicité si vos pages ne s'affichent que des dizaines de fois ? Le schéma est donc simple : faites-moi afficher ces pages des milliers de fois, bon sang !

 

POIL A GRATTER, sommes-nous condamnés au pire ?

 

Oui et non.  Il est de notre responsabilité de savoir ce que nous voulons. Internet est un media jeune, rempli de contradictions et de compromissions. En jouant sur nos plus bas instincts (la curiosité, le sexe, les embrouilles), certains rédacteurs nous divertissent à défaut de nous informer. Mais si nous cherchons le divertissement avant tout, quel est le mal ?

Réfléchissons simplement un instant à la portée de nos clics. Quand vous cliquez, même si cela n'est pas votre objectif initial, vous donnez votre feu vert à l'auteur du contenu. Son hameçon a fonctionné, vous êtes comptabilisé dans le nombre de vues. Vous avez été exposé aux publicités. Maintenant, voyons voir si le contenu en lui-même est intéressant. S'il l'est, bravo, le pacte a été respecté. S'il ne l'est pas, posez-vous simplement une question : avez-vous vraiment envie de perdre votre temps à cautionner des choses que vous n'aimez pas ?

 

Pourquoi ces tops ?

 

Les tops sont l'appât ultime, le fast-food de l'article et beaucoup de rédactions l'ont intégré. Rien ne vous empêche de cliquer mais il est tellement tentant de le faire. Alors vous cédez et craquez pour cette boite de 20 nuggets.

Une fois la page affichée, le top peut parfois se décliner en une dizaine de pages, vous exposant d'autant plus aux publicités de l'article. Si vous remplissiez un test de personnalité, le résultat serait :

  

Vous avez coché une majorité de cercles, vous êtes un internaute peu exigeant, facilement diverti : le pigeon idéal.

 

Si le but n'est bien évidemment pas de contraindre les libertés, l'objectif reste de façonner les sites que vous aimez à votre goût et de ne pas les autoriser à vous tromper en usant de duplicité et d'artifices.

Ne laissez pas les choses que vous appréciez se détériorer pour de mauvaises raisons. 

 

 ___________________________

Plus loin : à juste titre, blog hilarant compilant tous les titres les plus putassiers du web français.