(Re)lire l'article, mis en page sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique Focus.

Fondé en 1983, suite à la restructuration de la société I.R.M Corporation, Capcom est aujourd'hui un major de l'industrie vidéoludique japonaise et international. Ayant vécu les développements « familiaux » d'une dizaine de personnes sur arcade et Nes pour ensuite être capable d'employer plus de 600 personnes pour accoucher de Resident Evil 6, sorti en 2012, la société a clairement su s'adapter aux exigences de l'industrie internationale. Cependant, ce focus ne va pas s'attarder sur l'histoire de Capcom mais sur une période charnière de la société. Celle qui a vu naitre son star-system des créateurs de jeux vidéo dans les années 90 et qui a été capable de les perdre dans les années 2000. Beaucoup de « grands noms » sont rattachés à la société, mais nous en avons sélectionné trois qui ont grandi chez Capcom, connu le succès chez Capcom mais ont préféré quitter Capcom, généralement pour différents d'ordre artistiques, économiques, politiques... Ou les trois à la fois. Aujourd'hui, ces trois là font toujours les gros titres de la presse, pendant que Capcom se cherche une politique pour jongler entre marché japonais via ses Monster Hunter et marché international via des Resident Evil action-movie ou des Lost Planet 3 confiés à des studios médiocres. Focus sur Shinji Mikami, Hideki Kamiya et Keiji Inafune.

Shinji Mikami : entre créateur ambitieux et producteur frustré

La « star » de Capcom, c'est lui. S'il y en a qui est adulé par le public et qui sait aussi se faire désirer, c'est bien Shinji Mikami. Né le 11 août 1965, Mikami postule chez Capcom pour un poste de « Game Planner », ce qu'on pourrait qualifier de l'ancêtre de « Game Designer », une personne qui va établir les règles du jeu avec ses collaborateurs, les choix de gameplay du jeu : comment agir, plus posé, plus dynamique, quel type d'attaques peut-on offrir au héros, etc etc. Un poste dégoté grâce à une annonce postée par flyer et présentée par un de ses amis. Sur Famitsu, Mikami y déclare même une anecdote sympathique où son destin aurait pu s'inscrire chez Nintendo puisqu'il avait son deuxième rendez-vous chez les deux sociétés le même jour : « J'ai postulé à la fois chez Capcom et Nintendo et il s'avère que la seconde étape d'entretien pour les deux sociétés se tenait le même jour, et j'ai choisi Capcom. C'est surement le meilleur choix car je n'aurais probablement jamais eu une chance avec Nintendo. »

Il se rôde ainsi sur trois jeux estampillés Disney : le jeu Qui veut la Peau de Roger Rabbit ? Sur Gameboy en 1991 mais surtout le classique Aladdin sur Super Nes en 1992 puis le jeu Goof Troop (Dingo & Max), toujours sur Snes en 1994 dans un jeu d'aventure en vue de dessus, moins connu que le précédent. En seulement trois jeux (et une annulation de jeu de F1), Mikami accède au poste de réalisateur sur la console Playstation et Saturn, avec une certaine liberté sur le projet horrifique Bio Hazard. Resident Evil (nom occidental) est un succès surprise pour Capcom. Aujourd'hui, les joueurs associent plus volontiers Capcom à Resident Evil qu'à Megaman ou Street Fighter comme à l'époque de la Snes. Avec une équipe modeste d'une quarantaine de personnes, selon les crédits, Mikami fait mieux qu'offrir un succès pour Capcom, il lance une tendance : le survival-horror. Même si Frédéric Raynal avait conçu Alone in the Dark auparavant, c'est bien sur Resident que l'on va copier. Il lance aussi un système de jeu 3D particulier basé sur des plans de caméra fixes offrant ainsi des décors mappés 2D impressionnants et une qualité visuelle exceptionnelle pour l'époque. Rappelez-vous, en 1996 sort un autre jeu typé horrifique : Fade to Black, la suite de Flashback de Delphine Software, supervisé par Paul Cuisset. Intégralement en 3D, l'inconvénient est que le jeu manquait cruellement de texture et de richesse. Visuellement moins accrocheur, Fade to Black n'eut pas le même succès que son prédécesseur et encore moins que la folie Resident Evil. Même chose pour Alone in the Dark qui a surtout souffert de son support exclusif PC sur ses trois premiers épisodes (malgré un rapide portage en retard sur PS de Jack is Back, le deuxième épisode). Comble de l'ironie, Alone in the Dark IV reprendra le canon de RE. Sans être précurseur du survival-horror, Resident Evil est suffisamment abouti et profite d'un support en pleine expansion, la Playstation, pour devenir le maitre-étalon du genre. Mikami devient ainsi le nom associé à ce succès. Il entre dans le star-system des célébrités du jeu vidéo.

Mais le succès n'est pas forcément la clé du bonheur. Après RE, Capcom demande à Mikami de sortir la même chose dans un univers différent : ce sera Dino Crisis. Néanmoins, même s'il est crédité comme réalisateur et producteur, Mikami ne parle jamais ou très rarement de cette licence. Pas franchement original, la presse de l'époque avait déjà catalogué le jeu comme un skin à Resident Evil dans le milieu des dinosaures. Mais Dino Crisis est intéressant car le jeu révèle le jeune talent Shu Takumi, connu pour plus tard être le créateur de Phoenix Wright. Dino Crisis est aussi conçu par Hiroyuki Kobayashi. Ce dernier est un pilier de Capcom, encore aujourd'hui. Néanmoins, il n'est que producteur. Il a cependant débuté sa carrière avec Mikami en étant programmeur sur Resident Evil, propulsé game designer sur Dino Crisis puis n'a plus quitté le poste de producteur sur la série Resident Evil (absent sur le 5), Devil May Cry, Asura's Wrath et Dragon's Dogma pour les dernières productions de Capcom. Mikami a lancé beaucoup de jeunes talents et insiste à ce sujet encore aujourd'hui avec son studio Tango Gameworks où il a aménagé des emplacements pour la détente avec un credo « si tu te plantes, va te coucher et reviens dessus demain ». Pas de panique, le stress n'amène rien de bon. Un credo aux antipodes de la culture de l'entreprise japonaise. Cependant, Capcom n'a pas toujours été cette société qui ne s'inquiète pas de ses employés jusqu'à pousser Yoshinori Ono à l'épuisement dans son propre bureau (en 2012, lors de la promotion de Street X Tekken, il est hospitalisé pour fatigue excessive)... Mikami regrette cette époque comme il le confie à Computers and VideoGames : « L'ancien Capcom était vraiment fun, mais en grandissant, le management est devenu plus strict, et comme mes responsabilités grandissaient aussi, il devenait difficile de se sentir libre. »

En effet, ses « responsabilités » comme il les appelle, c'est son rôle de producteur. Lui qui était venu pour « créer des choses » à Capcom se voit ainsi très rapidement cantonner à un rôle de producteur dès son succès de Resident Evil. Il doit ainsi superviser sa série jusqu'au quatrième épisode sans pouvoir s'impliquer totalement dedans. Il confie ainsi la réalisation du deuxième épisode à celui que l'on considère comme son élève : Hideki Kamiya. La gestion des plans de caméra fixes cinématographiques afin de provoquer le stress dans la série, c'est lui qui en avait la charge dans le premier épisode. On reviendra dessus ensuite, mais tant Mikami découvrait les chaines du rôle de producteur, autant Kamiya découvrait les responsabilités de réalisateur sur ce volet provoquant alors des premières tensions entre les aspirations des deux hommes. Le jeu accouché est un peu plus orienté vers l'action mais il cartonne encore plus que le premier épisode. Nemesis est confié à une autre équipe, tout comme Code Veronica sur Dreamcast, à peu près en même temps. A l'époque, les joueurs et la presse considéraient Code Veronica comme le « vrai » épisode 3. Probablement parce que Code Veronica modère l'orientation action de la série pour retrouver les sensations oppressantes du manoir comme le premier épisode. Bien qu'il soit toujours seulement producteur, Mikami confie la réalisation de cet épisode à un certain Hiroki Kato, qui faisait parti de l'équipe de game designers de l'épisode original. Ce qui explique pourquoi Code Veronica semble plus proche des origines de la série.

Néanmoins, à travers ce « travail par procuration » sur sa propre création, Mikami est frustré et explique à Famitsu : « après RE1, ils m'ont placé comme producteur et je devais rester à l'écart du développement. C'était une époque où je voulais quitter Capcom car j'avais rejoins le studio pour créer des choses et j'ai finalement pensé que partir serait contreproductif. C'était difficile de ne pas être directement impliqué dans le processus de développement. »

Est-ce parce qu'il voulait partir que Capcom lui renforce ses pouvoirs au sein de l'entreprise en 2002 ? Déjà à la tête du studio Capcom Productions Studio 4 depuis 99, il décide, avec l'aval de ses dirigeants, de miser sur la console GameCube de Nintendo en 2002. Un pari des plus osés, puisque Capcom avait connu le succès sur PS1 et avait surpris son monde avec Devil May Cry et Onimusha sur PS2... C'est lui qui décide de concevoir le remake Resident Evil Rebirth accompagné de la préquelle RE 0, puis porter RE2 et Nemesis sur la machine Nintendo. Si Rebirth enchante les fans et la presse, il accompagne RE0 dans les déceptions commerciales à cause du faible parc installé de la console de Nintendo. Il maintient néanmoins son projet Capcom Five. Un accord entre Capcom et Nintendo pour développer 5 exclusivités sur GameCube. Un accord plus oral que juridique à priori puisqu'il ne restera que le jeu P.N.03 exclusif au Cube. Cette époque de Capcom est un véritable paradoxe car elle illustre parfaitement la période où la société a basculé dans l'industrie pure au détriment de la créativité. Les projets Capcome Five étaient : P.N.03 un jeu d'action à la troisième personne dirigé par Mikami, de retour aux commandes dont la médiocrité technique a frappé les yeux des joueurs malgré de bonnes idées de gameplay associant beat'm all et shoot (même si le jeu semble avoir une meilleure côte de sympathie aujourd'hui) ; le projet Dead Phoenix abandonné suite au ratage du précédent ; Viewtiful Joe dirigé par Kamiya ; Killer7 de Suda51 du studio Grasshooper soutenu par Mikami à la co-écriture et production, et Resident Evil 4. Viewtiful Joe a droit à un portage sur PS2 l'année suivante et Killer7 sort simultanément sur PS2 et GC. Resident Evil 4 aura droit à un portage 10 mois après sur PS2.

Resident Evil 4 ne devait pas à l'origine être dirigé par Shinji Mikami. Ce dernier explique qu'il n'a pas voulu s'occuper du jeu pour prouver à Capcom qu'ils n'avaient plus besoin de lui, illustrant une envie très forte de partir, jusqu'à ce que le développement sous Hiroshi Shibata devienne un calvaire.

« J'ai maintenu une distance raisonnable avec RE4 car je voulais gagner la confiance du studio, leur prouver qu'ils n'avaient pas besoin de moi pour créer quelque chose de vraiment bon. Mais ça ne s'est pas bien passé et le planning défilait dangereusement et lorsqu'il a fallu trouver quelqu'un pour prendre en charge le projet et le rafraichir, j'étais le seul vrai candidat. Comme créateur, cependant, j'ai vraiment détesté ! J'étais producteur pendant 8 ans et quand j'ai enfin l'opportunité de retourner au développement, c'est sur RE. C'était clairement pas ce que j'attendais ! »

Outre le fait que Mikami oublie de mentionner son bide P.N.03, il nous explique qu'il en avait marre de Resident Evil. Son envie d'explorer le genre d'action étant bel et bien là, il s'est probablement servi de cette opportunité pour assouvir ses envies. Resident Evil 4, pourtant prévu comme un épisode à l'ancienne, devient sous Mikami un jeu d'action dynamique qui implante la caméra à l'épaule, repris plus tard dans les TPS de la génération suivante. C'est le succès critique et commercial (même sur GameCube). RE4 devient par la suite une mine d'or pour Capcom puisqu'il est porté sur PS2, PC, Wii, ressort sur PSN et XLA et a même droit à un portage iOS. Mikami offre encore à Capcom un énorme succès grâce à Resident Evil. Le paradoxe de Mikami est qu'il est associé au genre « survival-horror » mais il n'en a en vérité conçu qu'un seul... Certes, il a produit les différents épisodes mais son implication étant totalement en retrait et comme RE4 est clairement un jeu d'action brute, il est inexact bien qu'amusant de considérer Mikami en maitre de l'horreur. Il faut attendre 2013, soit 17 ans après RE, pour qu'il retouche au genre avec The Evil Within, fraichement annoncé par Bethesda.

Maintenant que son calvaire de producteur est terminé, Mikami est affecté à Clover Studios. Une équipe dédiée aux projets originaux et créatifs de la firme. Autrement dit, un vestige de la politique Capcom Five qui privilégiait des nouvelles IPs et des prises de risque. Heureusement pour Mikami, cette équipe est dirigée par Atsushi Inaba, dont l'unique métier aura été producteur. Le créateur pourra créer à nouveau. Pendant que son ancien élève Kamiya développe Okami (après Viewtiful Joe), Mikami s'occupera de God Hand, sorti en 2005. Les deux jeux ont un accueil vacillant. God Hand est en fait flingué par la critique lors de sa sortie et ce sont les joueurs, un public de niche, qui louent ses qualités exceptionnelles. Un beat'm all extrêmement riche en combos, d'une difficulté élevée et dont la nature beat'm all incite à la rejouabilité, associé à une direction artistique proche d'un Hokuto no Ken, avec plus d'humour. Le jeu est une bénédiction pour les joueurs. Hélas, ils sont bien trop peu nombreux. Le jeu fait un four. Tout comme Okami. Les deux jeux n'ont en fait pas eu un gros support de la part de leur éditeur, avec peu de communication mais surtout une très faible quantité distribuée en occident. Clover ferme ses portes en 2006 après seulement trois jeux et deux ans depuis leur ouverture. Dégoutés par la tournure des évènements, c'est l'exode des créateurs chez Capcom. Atsushi Inaba, pourtant formé par la maison part et fonde Seeds Inc avec Hideki Kamiya. Tatsuya Minami, lui aussi producteur historique de Capcom (depuis Final Fight en 1990, a participé à Super Ghouls'N Ghosts, Street Fighter II, plusieurs épisodes de Megaman, etc) fonde Odd Inc. Les deux entités fusionnent rapidement pour former PlatinumGames, dont le PDG est Minami. Shinji Mikami, de son côté fonde Straight Story, d'après le film du même nom de David Lynch (Une histoire vraie, en VF). On a jamais beaucoup entendu parler de cette société dans la presse. D'un point de vue légal, ce studio de Mikami a en fait été embauché comme sous-traitant par PlatinumGames, permettant au créateur de RE de rester indépendant. C'est comme ça que Shinji Mikami rejoint ses collègues pour développer Vanquish, un TPS (encore) ultra dynamique misant sur les combo frag et les esquives, là encore à contrario des tendances du moment. Là où le cover-shooter à la Gears of War cartonnait, Mikami fait le pari de jouer l'offensive. Anecdote sympathique : Binary Domain, jeu développé chez Sega jouait aussi la carte du TPS mais en cover-shooter, avec un fond sci-fi americano-japonais. Son réalisateur, Daisuke Sato (réalisateur de Yakuza 3 et Yakuza : Dead Souls) a été junior sous la tutelle de Mikami. Vanquish est très bon mais très court et surtout comme toute la collaboration de PG avec Sega, les jeux ne se vendent pas assez. Peu importe, Mikami n'est pas lié contractuellement avec PlatinumGames.

Sa structure Straight Story ferme rapidement ses portes et il refonde aussitôt Tango Gameworks, en 2010. Sa société ne semble pas active avant un moment cependant, puisqu'il accepte un boulot chez EA pour développer Shadow of the Damned avec Suda51. Un vrai calvaire. Il faut savoir que sur Shadow of the Damned, les deux créateurs ne sont que producteurs ; le réalisateur étant l'italien Massimo Guarini (fondateur du jeune studio Ovosonico avec qui il a passé un contrat d'exclusivité pour Sony). Comme en pouvait déjà témoigner le produit final bâtard et pas franchement sérieux, le développement ne s'est pas bien déroulé. Son casting 5 étoiles multinationale accompagné d'Akira Yamaoka à la musique (Silent Hill) a probablement été totalement décousue. Sans entrer dans les détails, Mikami explique à CVG que le projet « est devenu un jeu complètement différent que voulu. C'était très décevant. Je pense que Suda n'a pas été capable de concevoir le scénario qu'il avait prévu et a dû le ré-écrire plusieurs fois. »

On connait les méthodes d'EA à la supervision des plus contraignantes... Néanmoins, sans prendre parti, il est aussi possible que cette belle équipe ait encaissé son chèque sans se casser la tête, vu le projet franchement bancal de départ et l'absence d'unité dans le produit fini... Il y a probablement un peu des deux.

Au final, Mikami revient à l'horreur qu'il estime disparu de l'industrie, avec cette fois un éditeur qui lui laisse sa liberté créative, mais aussi et surtout des moyens colossaux. Lui même avoue que ce partenariat Amérique-Japon lorgne plus vers un budget AAA américain que japonais. Avec le moteur id Tech 5 en sa possession, son équipe a les outils et la liberté nécessaire pour faire ce qu'il a toujours voulu faire avec The Evil Within : « créer des choses ». A 47 ans, lui qui considère que « un créateur de jeux vidéo atteint son plus haut potentiel à sa trentaine d'années » a droit à une rallonge.

Hideki Kamiya : Ask you mom

L'histoire de Hideki Kamiya a beau être nettement moins passionnante que Mikami, il n'en est pas moins un produit de la maison Capcom qui a participé à la gloire de la société avec un tempérament de feu. Hideki Kamiya, né le 19 décembre 1970, débute, on l'a dit plus haut, comme game designer sur Resident Evil premier du nom et responsable de la gestion de caméra, qui participe activement aux sensations de frisson du jeu. Il grimpe vite dans la hiérarchie pour devenir réalisateur de Resident Evil 2 sous la production de Mikami. Cependant la collaboration entre les deux hommes est entachée par une vision radicalement différente sur ce que doit être le jeu. Déjà à son âge et malgré son inexpérience, Kamiya veut un jeu plus orienté vers l'action, à contrario de Mikami plus orienté vers le frisson. En se remettant dans leur contexte, c'est la première fois que Kamiya était réalisateur et première fois que Mikami était producteur. Mikami voyant aussi son jeu lui quitter des mains n'a pas dû aider. Une première version de Resident Evil 2 est annulé, bouclé à environ 60%. Kamiya avouera lui même que c'était « trop mauvais pour être rattaché à la série Resident Evil ». Cette version annulée a été appelé par les fans Resident Evil 1.5 et a été ressorti grâce à un travail underground, seulement en 2012 à travers une .iso partagée sur la toile. Le jeu n'est pas bien stable, néanmoins on sait que le jeu était jugé trop action. RE2 sort mais augmente malgré tout la quantité et l'intensité d'action par rapport à l'épisode original et c'est un succès. Notez que Squaresoft avait débauché une partie du staff de l'équipe du jeu d'origine pour concevoir Parasite Eve, ce qui a participé au développement chaotique de RE2.

Mais le jeune Kamiya a tenu bon. En 98, il est interviewé pour la promo du jeu et pense qu'il développera Resident Evil 3. Il ne participe ni à Nemesis encore plus orienté action, ni à Code Veronica, retournant aux sources. Mais il participe à la conception de ce qu'il pense être Resident Evil 4, pour la Playstation 2. Là encore, sa propension à aller vers l'action va lui jouer des tours. Cependant, fini les engueulades avec Mikami, du moins ça n'a pas été relayé par la presse. Plutôt que de lui faire refaire le jeu, Mikami fait orienter la stratégie après trois mois de discussion avec ses supérieurs (selon IGN, à l'E3 2001) en faisant abandonner l'attache à Resident Evil. Avec son histoire de démons et ses inspirations architecturales gothiques, le projet devient Devil May Cry. Il devient aussi un tout nouveau modèle du jeu d'action. Extrêmement dynamique, maniant guns et épée, dans des décors en full 3D et caméra libre (à contrario des plans fixes de Resident Evil et Onimusha), DMC réinvente totalement le genre du beat'em all. Kamiya accouche ainsi de son premier « bébé » comme il l'appelle lors d'une interview à 1Up en 2006. Sur cette même interview, il connait le premier gros « choc » de sa carrière. Il apprend qu'il ne développera pas la suite de son « bébé » lorsqu'un game designer lui demande, lors de la finalisation de la localisation du titre pour l'occident, son script. Lorsqu'il lui demande pourquoi, l'employé (non nommé) lui apprend qu'il s'occupe de la suite du jeu. La façon dont il l'apprend l'abasourdit et a peut être commencé à comprendre ce que ça faisait quand Mikami voyait Resident Evil 2 lui échapper... Toujours dans cette même interview de 2006, il explique que le point de vue de l'éditeur est de détacher le plus vite possible le créateur de sa franchise afin de ne pas en être dépendant et continuer à exploiter la franchise comme il le souhaite. C'est probablement à cette époque qu'il comprend qu'il ne doit pas franchement s'attacher à Capcom... 2004, rebelote. Il dirige Viewtiful Joe pour le compte du projet Capcom Five. Grâce au portage, le jeu fonctionne suffisamment pour qu'une suite soit développée. Ce sera sans lui. VJ témoigne aussi que Kamiya sait diversifier son type d'action. Très original, mais perpétuant le dynamisme prôné par le créateur, VJ est un beat'm all à scrolling horizontal où le joueur peut ralentir ou accélérer le temps pour ajuster la puissance ou la rapidité de ses coups. Le tout dans un trip sentaï humoristique et cartoonesque. Kamiya, c'est un marrant. Kamiya aime faire les choses « à la cool ». Il explique qu'on doit clairement « sentir les choses » pour le faire. Lorsqu'il cause de DMC2, il paraphrase son interviewer en expliquant « quand on essaye de trop, ça foire ». C'est à dire qu'on doit pas se forcer à faire les choses au point de ne pas les comprendre, au point de ne pas avoir ce feeling. C'est totalement abstrait comme vision des choses et ça ne fonctionne pas pour tout le monde (c'est même pas franchement recommandé)... Mais ça marche pour Kamiya. Son credo de gameplay reste tout de même très important, qu'il décrit de la sorte : « Le genre de jeux que j'aime faire est réactif, la manette te laisse faire ce que tu veux. Si tu balances ton épée, mais que tu veux te retourner pour frapper quelqu'un d'autre, tu dois être capable de le faire avec ta manette plutôt que d'attendre péniblement la fin de l'animation ». Il disait ça en 2006, et ça s'adapte pour absolument tous ses jeux d'action. En particulier, Devil May Cry et Bayonetta dont le cancel pour favoriser l'esquive est crucial. On fait d'ailleurs très souvent remarquer dans nos critiques (Metal Gear Revegeance de PlatinumGames, par exemple) l'absence de cette feature sur bon nombre de jeux.

2006, il dirige Okami, toujours dans le studio Clover. Un chef d'œuvre pour beaucoup de joueurs. Mélange d'action dynamique, avec pouvoir magique où le joueur doit tracer des bouts de décors à la main, des inspirations de Zelda pour les donjons et les villages, le tout saupoudré de référence d'Histoire du Japon grâce à une D.A proche des estampes et des calligraphies, Okami rafle les critiques dithyrambiques. Le paradoxe étant que le public japonais n'a pas accroché et a été un échec commercial. Même chose pour l'Occident, même si en vérité Capcom n'a pas vraiment assuré sa promotion comme il le devait en fournissant un très faible stock à la distribution. Pour leur défense, nous étions en 2006 (et même en 2007 en Europe) et c'était la fin de la PS2, l'éditeur privilégiant le basculement à la next-gen d'alors... Mais le mal est fait. Sous prétexte que les ventes de God Hand et Okami sont décevantes, Capcom ferme Clover Studio. Kamiya ne se pose pas trente-six questions et accompagne son directeur de studio Atsushi Inaba pour fonder Seeds Inc. qui deviendra PlatinumGames après la fusion avec Odd Inc. de Tatsuya Minami. Histoire d'enfoncer le clou dans le manque de respect envers Kamiya, après lui avoir ôté des mains Devil May Cry, puis Viewtiful Joe, Okami ressort sur Wii développé par les américains de Ready at Dawn. Un portage comprenant des erreurs de crédits, ainsi qu'une absence de filtre imitant le grain du papier de riz. Okamiden, une suite sur DS au look « tout mignon » sort en 2010... Le jeu original ressort ensuite sur PS3. Après avoir fermé son équipe la plus créative et talentueuse sous prétexte d'un manque de rentabilité, Capcom exploite leur travail sans aucune honte, encore aujourd'hui. A l'heure où nous écrivons ces lignes, la rumeur parle d'une annonce liée à Okami de la part de Capcom... Vous comprenez ainsi pourquoi Kamiya refuse désormais de faire tout commentaire à propos de son ex-employeur et des suites de ses jeux. Parce qu'il a le sang chaud Kamiya. Il fait des jeux « cool », il a un look « cool »... Et il n'aime pas trop être pris pour un con. Parfois son ton un peu « branleur », un peu « rien à foutre » est mal interprété. Il s'embrouille par presse interposée avec Tomonobu Itagaki, le créateur de Ninja Gaiden. Tout va bien, les deux hommes s'ignorent cordialement jusqu'au jour, où Kamiya a le malheur de déclarer à EGM en 2008 ne pas s'intéresser à Ninja Gaiden et n'y a donc jamais joué, préférant alors God of War. Itagaki s'enflamme et commence à basher littéralement Okami où il dit s'y ennuyer à mourir.

« Ma fille a essayé de jouer à Okami et elle en a eu vite marre et moi aussi. Et je ne suis pas en train de flinguer le jeu ou quoique ce soit, je dis juste qu'il ne semble pas donner beaucoup d'envie. C'est unique mais ce n'est pas un jeu de combat très puissant... Et donc j'entends Kamiya dire un truc à propos que le genre action n'a pas bougé en huit ans... Vous pouvez m'en dire plus à ce sujet ? »

Concluant par : « On a un dicton au Japon qui dit « c'est le chien le plus faible qui aboie le plus fort » (ndlr : en fait, ça se dit aussi en occident mais bon) - et j'aimerais sincèrement lui rappeler de rester éveiller les prochaines années. »

Kamiya jugeait qu'il n'y avait rien eu de mieux depuis Devil May Cry qui a posé les dernières bases du genre. L'ego d'Itagaki en prend un coup puisque selon lui Ninja Gaiden II est ce qu'il se fait mieux dans le genre. Ce n'est pas rien si les deux hommes ont sensiblement le même âge (Itagaki a deux ans de plus que Kamiya), ont une adoration pour les looks occidentaux et aiment se la péter en public. Ça aurait pu s'arrêter là avec un « 1 partout ». Mais à la sortie de Bayonetta, Itagaki en remet une couche :

« Si j'avais fais un jeu similaire pour la compagnie que j'ai quittée (Tecmo), les gens auraient dit « cet idiot n'est pas capable de faire autre chose ? ». Voilà ce que je pense à peu près de ce Bayo-machin. »

A propos du chara design de Bayonetta : « Elle est couverte de cheveux ? Je sais pas, Mr. Kamiya doit avoir beaucoup de choses qui lui passent par la tête [ndlr : Kamiya est chauve ; y a probablement une feinte là dedans]. Mais quoiqu'il en soit, je lui recommanderais une chirurgie des yeux. Je suis sûr qu'il n'est pas autant à court dl'argent, non ? »

Kamiya flanche et finit par s'abaisser au niveau de son opposant : « Je suis chauve, mais au moins je ne suis pas gay ». Après avoir insinué des complexes autour des goûts de chara design d'Itagaki : « C'est une grosse erreur de penser comme un abruti que plus gros sont les seins des femmes, plus elles sont attirantes. »

Pourquoi on relaye cette histoire digne d'un People ? Déjà, c'est drôle et fallait la ressortir si vous ne l'aviez pas connu à l'époque. Ça montre qu'on peut être un adulte de 40 ans, avoir un poste responsable et avoir vendu des millions de jeux tout en ayant des conversations de CE2. Deuxièmement, c'est la première fois qu'on voit Kamiya commencer à se lâcher de la sorte. Et ce ne sera pas la dernière fois qu'on voit que le comportement de Kamiya est souvent agressif et/ou moqueur. Passé cet épisode, Kamiya découvre les joies de Twitter. Il s'inscrit et son compte n'a rien de très personnel, il s'engage à répondre aux questions de fans... Même les plus débiles, à son grand désarroi. Il lui arrive de répondre par des « ? » quand on lui pose saugrenues comme « quelle arme souhaiterait-tu savoir manier en vrai ? »... Mais il continue le garçon. Il enchaine, il enchaine, il enchaine. Et finit par s'énerver même sur ses fans. Il finit par répondre régulièrement des « I don't give a shit » (« J'en ai rien à foutre ») quand on lui demande des trucs sur d'autres créateurs de jeu, ou sur les suites de ses jeux. Fallait surtout pas l'asticoter sur le DmC de Ninja Theory... Il enchaine ses running gags à base de « Ask your mom » pour éviter de répondre à une question débile ; ainsi qu'une autre classique, dont Gamekult est tombé dedans, « Cette semaine, dans vos magazines » quand on lui demande des nouvelles de Bayonetta 2. Il se permet même de poster un vieux montage Paint quand on lui demande un screenshot du jeu... Bref, Kamiya aime faire le troll. Mais malheureusement, il n'aime pas se faire troller... Journaliste de l'extrême (haha), PG Birganj a tenté l'expérience de la vanne avec Kamiya en lui faisant savoir que l'on connaissait le plot de Bayonetta 2 révélant qu'elle était un transsexuelle qui « marchait comme une femme et se bastonnait comme un mec »... ... ...Ben il a pas aimé du tout notre blague, a effacé un ou deux twitts et nous a blacklisté de sa timeline après l'avoir complimenté sur sa blague très sophistiquée « Ask you mom ». En effet, si on lui répond « My mom told Ask Kamiya », il répond... rien du tout, il t'envoie bien chier comme il faut « t'es un putain d'abruti » (dit-il en japonais, pensant qu'on connait pas Google Translate). Nan il est rigolo Kamiya quand il trolle ses followers avec leurs questions banales, faut juste lui apprendre qu'un bon troll est un troll adepte de l'auto-dérision, pour éviter le ragequit.

Dernière affaire en date, février 2013 : un petit malin de journaleux de Kotaku a pris un de ses tweets au sérieux qui disait « Je ne connais pas bien Valve ». Ainsi, pour titrer son article généraliste sur la perception des japonais à propos du jeu vidéo PC, il écrit « Le type qui a fait Bayonetta n'a aucune idée de ce qu'est Valve et le jeu PC »... Un titre racoleur pour attirer le clic facile et la petite polémique, en plus d'être totalement erroné puisque l'équipe de Kamiya avait annoncé s'être entretenu avec Valve pour porter Bayonetta sur Steam, en septembre 2012, relayé par Polygon. Il se fait un plaisir de les traiter d'imbéciles, ainsi qu' un follower de mange-merde qui lui demandait (un peu à côté de la plaque) s'il avait lu le papier... Tout ça pour dire que Kamiya a un tempérament fougueux qui, aujourd'hui, fait plus facilement parler de lui que Bayonetta 2. On ne connait pas trop sa réaction vis à vis de la gestion de ce dossier très délicat mais nulle doute que ce soit épicé. Rappel : la licence Bayonetta appartient à Sega. Le développeur est le studio indépendant PlatinumGames. Mais Sega a trop de problèmes financiers pour éditer la suite du jeu, qui en plus ne s'est pas assez vendu. Sega « loue » pour ainsi dire sa licence à Nintendo qui prend en charge l'édition de Bayonetta 2 en échange d'une exclusivité pour la WiiU, annoncé en grandes pompes lors de la présentation de la console. Problème : les ventes de la WiiU ne décollent absolument pas et nous n'avons toujours pas vu d'images concrètes du jeu. Ça ne vous rappelle rien, ça ? Un deal avec Nintendo pour une machine au très faible parc installé ? L'ombre de Capcom Five semble planer sur la tête de PlatinumGames. Kamiya, devenu producteur sur Bayonetta 2 (et non réalisateur comme d'habitude) peut être heureux d'être déjà chauve car sa situation aurait de quoi s'arracher les cheveux. Comble de l'ironie, c'est la première fois de sa vie qu'il peut enfin développer une suite à un de « ses » jeux.


Keiji Inafune : le producteur aimablement détestable

Notre troisième larron n'est pas des plus respectés par le milieu et par certains joueurs mais il a pourtant beaucoup apporté à Capcom. C'est Keiji Inafune, né le 8 mai 1965, crédité comme « InafKing » sur ses jeux Nes où les développeurs choisissaient un pseudo pour éviter de se faire débaucher. Inafune est connu comme étant le « créateur » de Megaman. Du moins, c'était le cas pendant de longues années avant qu'il révèle de lui même lors d'une interview pour Gamespot au TGS 2007 qu'il n'en était pas le créateur original. Inafune est illustrateur de profession. C'est à ce poste qu'il obtient son premier boulot chez Capcom pour le jeu Street Fighter, en 1987. Il est ensuite rapidement affecté à l'équipe de développement ayant pour mission de créer un tout nouveau personnage. Il intègre donc l'équipe supervisée par Akira Kitamura, le créateur original de Rockman. Le personnage était déjà conçu, ainsi que la plupart des bases du jeu. Inafune, étant junior a juste intégré le groupe de travail. Ce même groupe de travail voit son jeu être une déception commercial mais s'oppose ardemment au refus de Capcom de leur donner une seconde chance sur Megaman. Inafune a probablement appris à se battre pour imposer ses idées à cette époque puisqu'il réitéra ce comportement par la suite. Megaman 2 est en chantier, en même temps qu'un jeu sur le base-ball Professional Baseball Murder Mystery, projet imposé par l'éditeur. Plus varié, plus d'action, plus de musiques, Megaman 2 est un succès lançant ainsi à la fois la série sur la durée, ainsi que la carrière d'Inafune. Inafune travaille exclusivement sur les Megaman comme designer et prend de plus en plus de galon puisque le créateur de la série Kitamura quitte le groupe dès la fin de Megaman 2, puis les deux autres membres de l'équipe d'origine, Yasuaki Kishimoto et Naoya Tomita alternent leur participation jusqu'à l'arrivée de la série sur Snes avec Megaman X. Au final, le dénominateur commun de tous les Megaman, séries dérivées inclus est Keiji Inafune qui revendique indirectement sa paternité. C'est probablement à cause de ça que le public s'est senti floué quand ils apprennent sur le tard qu'Inafune n'est pas le « créateur » de Megaman, dans le sens où il est parti d'une feuille blanche pour en pondre un jeu. Ce qui était une réaction des plus puérils puisque l'on sait très bien qu'un jeu se conçoit en équipe. Tout le contraire du star-system installé dans l'industrie JV. Néanmoins, il a travaillé et a poursuivi son évolution jusqu'au bout. C'est Inafune qui conçoit le personnage de Zero, censé être le nouveau héros de Megaman X avant que les dirigeants refusent de voir le personnage bleu emblématique être mis de côté. Au final, Zero, le personnage d'Inafune a vu sa popularité croitre au point d'avoir sa propre série sur GBA et DS. Néanmoins, arrivé sur Snes, Inafune a plus de poids, plus de responsabilités et va découvrir les joies d'être producteur. Mais c'est quoi un producteur ? En théorie, un producteur de jeu vidéo est un type qui va chapeauter la cohésion du développement. Il va donner des directives assez abstraits pour orienter le jeu vers plus d'action, plus d'ouverture de public, etc. En gros, un type qui donne des ordres mais qui fout rien, diront les développeurs (ceci est valable dans n'importe quel métier créatif industrialisé : graphisme, com', architecture mais aussi dans le monde la cuisine par exemple). En pratique, tout dépend des projets. Il y a des producteurs qui vont entretenir de bonnes relations avec leur directeur (par exemple quand Mikami soutient Kamiya sur RE2 ou quand ce même Mikami soutient Suda51 sur Killer7) et donc vont participer positivement au projet. D'autres vont clairement la jouer à reculons, en donnant des ordres bateaux sans rien connaître au travail effectué ne servant que de liaison avec les supérieurs hiérarchiques. Et parfois, un même producteur peut très bien s'investir sur un projet plutôt qu'un autre (ce qui est somme toute assez logique, un développement c'est un travail d'humains, pas de machines à répondre aux ordres ; ça implique des relations variées). Et Inafune a vite compris le boulot de producteur qui évite souvent de se salir les mains. Il était l'un des producteurs sur Resident Evil 2, en 1998 et Kamiya expliquait que personne dans l'équipe ne l'avait vu dans le groupe de travail. Le réalisateur de DMC et Bayonetta ne se gêne même plus pour le tacler en parlant de lui comme d'un « business man ». Mais il faut être honnête, le créateur de la série, Mikami et son réalisateur déjà game designer sur l'original étaient sur la suite de leur jeu. Si le game designer de Megaman se serait immiscé dans leur travail, ça n'aurait pas été apprécié pour autant... Inafune sait donc choisir ses projets soigneusement. C'est ce qui le rend assez antipathique vu de loin, puisqu'il n'a plus quitté son relatif confort de producteur depuis les années Playstation. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Mais ça ne l'empêche d'assurer à entretenir la série de Megaman à travers le temps, avec des scores qui déçoivent de plus en plus mais aussi au budget de plus en plus limité, ce qui n'a donc pas l'air de déranger Capcom. En 2006, la série des Megaman : Star Force, RPG isométrique inspiré de la série animée est un succès, prouvant que Megaman a encore la côte pour peu qu'on lui trouve des nouvelles déclinaisons.

Mais si Inafune a aussi travaillé comme graphiste sur le premier Breath of Fire, son premier gros jeu à part Megaman est Onimusha sur PS2. Il n'est que producteur certes mais c'est sa première collaboration avec Jun Takeuchi dans une relation producteur/réalisateur. Onimusha cartonne, est original malgré une jouabilité très marqué « Resident Evil » et est un jeu de très grosse ambition pour Capcom où l'acteur Takeshi Kaneshiro prête ses traits et sa voix pour le héros Samanosuke. Avec DMC qui arriva 6 mois plus tard, Capcom s'implante dans le domaine de l'action-spectacle en 2001 sur PS2. Inafune prouve avec ce sujet qu'il peut superviser des gros budgets. Pendant ces même années, il enchaine les Megaman et réussit à coller son nom dans les crédits de Resident Evil 4... En 2005, il supervise le jeu Shadow of Rome en compagnie de Yoshinori Ono et dirigé par Motohide Eshiro, le réalisateur d'Onimusha 2 (épisode à part dont Inafune n'a pas participé). Mais malgré les bonnes qualités de ce titre méconnu (il s'agit d'un jeu sur la Rome Antique avec deux personnages pour deux gameplay différents : l'un beat'm all où l'on incarne un gladiateur ; l'autre général romain qui doit enquêter en toute infiltration), c'est un four. Mais peu importe, Inafune s'installe bien dans son rôle de « commandant » et va entrainer le premier déclic de son image de grande gueule : imposer Dead Rising et Lost Planet en 2006. Il n'avouera en public qu'en 2009 lors d'une phrase choc : « Personnellement, quand je regarde autour de moi tous ces jeux sur les stands TGS, je me dis « Mince le Japon est fini. Nous sommes finis. Notre industrie du jeu est finie. »

Il est évident que le bonhomme a déjà cette idée en tête quand il impose le lancement de deux nouvelles IPs par Capcom et qui plus est sur Xbox 360 ! Capcom, développeur exclusif sur une console américaine... L'idée est totalement dingue mais il la défend. Il avoue des années plus tard, en 2011 sur Famitsu qu'il a fait développer les jeux avant l'aval de ses supérieurs, afin de les mettre sous pression. La politique d'alors était de se baser que sur des suites. Les premiers prototypes du jeu ont été refusés mais l'homme les a forcé à les commercialiser quand il affirme, lors d'un séminaire à l'Université Ritsymeikan de Kyoto qu'il a explosé le budget prototype de Lost Planet de 400%. Il se sert ainsi de son nouveau poste de Senior Corporate Officier (le chef de production) du studio Capcom Production Studio 2, promu en 2005 pour imposer ses idées. Dead Rising illustre le plus cette idée d'occidentalisation, outre le fait qu'Inafune avoue adorer Resident Evil mais qui n'avait plus rien de « zombie » dans le 4. Il ouvre sa « grande gueule » sur Dengeki : « Bien sûr, Resident Evil 4 était vraiment chouette. En tant que « jeu », je lui met 98... Mais pour un « jeu de zombies », je met zéro. Si vous implantez des zombies qui courent comme ça dans Resident Evil, je pense que vous devez changer le titre. Les zombies de RE n'ont jamais couru autant et faisaient peur, alors pourquoi vous devez soudainement changer ça ? »

Ce propos n'a pas fait grand bruit, en 2010. Pourtant, lorsque l'on voit l'orientation de Resident Evil encore aujourd'hui, n'importe quel fan sera d'accord avec lui pour dire que ça n'a plus grand chose de Resident... Donc voilà, il pensait déjà ça à l'époque de RE4, d'où son envie de s'inspirer des films de Romero pour Dead Rising. Mais en fait, le jeu est très américanisé déjà de par son inspiration mais son gameplay en monde ouvert (même si nous étions dans un centre commercial, l'immensité du terrain et la souplesse des missions étaient impressionnantes) avec armes à fabriquer, missions à déclencher dans l'ordre que l'on veut, ce côté « bac à sable » était largement en avance sur son temps quand on voit le nombre de jeux reprenant ce genre de level-design plus tard (Red Dead, Batman, Just Cause 2, etc). Dead Rising est donc un joli succès occidental. Occidental puisque la console Xbox 360 ne se vend pas au Japon. Mais Inafune tape en plein dans le mille : l'avenir du marché vidéoludique se situe surtout en occident. Il faut regarder là bas tout de suite. On était en 2006. Habitués à prêter allégeance à la suprématie de Sony dans le domaine du jeu vidéo international, les éditeurs japonais sont tous tombés dans le piège de cette next-gen avec une 360 qui a bousculé les habitudes occidentales... Influençant ainsi les décisions du marché japonais pour l'exportation. Inafune ne se trompe ainsi donc pas et évite à sa société les mêmes erreurs que Square-Enix par exemple (qui avait tout misé sur la PS3 dans la conception de son moteur 3D, retardant toute sa production Final Fantasy). Si vous aimez les comparaisons GGreuses, vous remarquerez que son collègue Mikami qui avait lui aussi misé sur l'exclusivité d'une console, la GameCube à l'époque, s'y était planté sur toute la ligne. C'est la différence entre un homme qui a toujours voulu n'être que créateur et un autre qui a choisit de prendre du recul sur son industrie. Inafune n'est pas un business man au sens « ne pense qu'à faire du blé », mais sa perception et compréhension de l'industrie sonnent juste. Et sait globalement comment faire pour capter le marché, capter le public et décider d'un jeu en question. Lost Planet suit le même chemin en reconduisant sa collaboration avec Jun Takeuchi comme à l'époque du premier Onimusha. Le jeu a des mécaniques un peu plus japonaises qu'américaines mais l'action à tout va dans un style TPS cartonne. Jun Takeuchi que l'on aime appeler par chez nous le fossoyeur de licence a donc déjà été capable de diriger de bons projets : Onimusha et Lost Planet. Est-dû à la présence d'Inafune ? Impossible de tirer de telles conclusions avec si peu d'informations mais lorsque Takeuchi prend les rennes de Resident Evil 5 et Lost Planet 2, il transforme ces deux séries en bouillasse d'action informe et sans personnalité... D'ailleurs, suite à ces deux énormes échecs critiques, Takeuchi n'a plus rien dirigé, ni produit. De son côté Inafune a prouvé à sa société la qualité de son flair et c'est lui qui va initier la pratique (sans pour autant la contrôler, il ne reste qu'un simple producteur) de l'outsourcing. C'est à dire de faire développer ses jeux à des studios externes occidentaux pour ainsi profiter de leur rapidité d'exécution, ainsi que de leur technologie où il estime que l'occident a dépassé le Japon. Une vision partagée depuis longtemps par Hideo Kojima par exemple qui avait été visiter un grand nombre de studios occidentaux spécialisés dans le FPS comme Guerilla, Infinity Ward et Treyarch en 2008. Inafune lance donc cette idée et Capcom commence à confier des projets à des studios européens et américains. C'est une expérience très regrettable dans l'ensemble. Le plus gros échec étant le reboot de Bionic Commando, confié aux suédois de GRIND (aujourd'hui fermé). Inafune ne participe en rien au projet mais reste un des producteurs. Bionic Commando a beau être un bon jeu avec de très bonnes idées, le jeu ne se vend pas. C'est un projet qui a coûté beaucoup d'argent, avec une grosse promotion et n'a pas été rentable. Associé au jeu Dark Void (une purge d'Airtigh), la déception commerciale de Dead Rising 2, confié aux canadiens de Blue Castle Games (racheté pour devenir Capcom Vancouver), à la semi-déception de Lost Planet 2, cette période entre 2008 et 2010 est plutôt néfaste pour la société. Pour autant, Inafune grimpe encore d'échelon pour devenir le patron de la Production de Capcom (en gros, responsable de la ligne éditoriale si l'on voudrait comparer avec le milieu du livre), le 22 avril 2010. Une décision bien étrange puisque le outsourcing a coûté plus d'argent qu'il n'en a rapporté. Véritable marque de confiance ou patate chaude ? On aurait tendance à opter pour la deuxième puisque le 29 octobre de la même année, soit 6 mois après sa promotion, Inafune quitte la société qui l'a formé et lancé. Tout en lançant quelques jours avant : « je déteste ce job ! Je veux prendre ma retraite tôt et prendre du bon temps. » expliquant que selon lui, plus la tâche de son métier est détestable, plus elle est difficile et plus tu deviens un leader. Une vision assez extrême qu'il faut recouper avec son insistance à démontrer que le marché japonais se repose sur ses lauriers. Inafune expliquait sobrement les raisons qui l'ont poussé à quitter son job au magazine 4Gamer le 11 novembre soit seulement trois jours après sa démission : « la raison pourquoi je quitte Capcom est principalement parce que je pense que l'industrie vidéoludique doit changer la façon dont on conçoit des jeux. Je pense que le plus gros problème est que l'industrie japonaise pousse à transformer les créateurs en « salarymen » ».

Il continue sur son poste à haute responsabilités de chef de production : « J'étais à la tête du développement. Ça veut dire que j'étais tout en haut de Capcom. Je ne pouvais pas aller plus haut. Ça aurait été donc pour moi la meilleure place pour un salaryman, ne pas faire de choses nouvelles pour éviter l'échec, ne pas dépasser les bornes, acquiescer en silence. Car si je faisais quelque chose d'osé et de raté, je perdrais cette place. »

En lisant entre les lignes, on déduit que son haut poste à responsabilités n'avait, selon lui, aucun pouvoir de décision sur Capcom et était en ligne de mire si les produits Capcom ne se vendaient pas. Quand l'interviewer de 4Gamer lui demande s'il pourrait travailler à nouveau, Inafune répond simplement que ce n'est pas possible en l'état actuel des choses. Dans un pays où on évite de laver son linge sale en public, Inafune a fait énormément de mal à Capcom taclant l'ego de l'industrie japonaise, en pressant ses supérieurs et en enchainant sa petite opération de com' sur son départ. Il l'avoue d'ailleurs sans problème de son séminaire de Kyoto que sa phrase choc de 2010 « le Japon est fini » était censé servir à réveiller les esprits avant qu'il ne soit trop tard. Il est intéressant de noter que si Capcom continue d'exploiter le travail des anciens de Clover (Okami, ressortie en démat de God Hand), Capcom a annulé absolument tout ce qui touche de près ou de loin à Megaman : de Rockman Dash 3, en passant par Megaman Online et même un projet de reboot FPS Megaman... Comme si que Capcom non seulement effaçait Inafune de la carte de sa société mais prenait aussi un malin plaisir à divulguer au compte-goutte ces annulations. On ne saura probablement pas comment les choses se sont envenimés mais le fait est que Inafune a quitté le navire Capcom, sans regret.

Il décide donc de monter son studio, comme ses anciens collègues Mikami, Minami et Inaba. Mais comme il n'aime pas faire comme les autres il en monte deux : Comcept et Intercept, en 2011. Le premier est spécialisé en game design, tandis que le second s'attaque au développement, de fond en comble. Seul Comcept est actif encore aujourd'hui. Le principe de ce studio est de travailler le game design, les concepts, les grandes lignes du jeu mais ne travaille pas sa mise en forme. C'est sous cette participation que son équipe d'une vingtaine de personnes développent conjointement avec Marvelous AQL, édité par Sony, Soul Sacrifice, pensé exclusivement pour la PS Vita. Son succès japonais (dans l'attente des chiffres occidentaux) et les bonnes critiques donnent déjà matière à réflexion pour Inafune, relayé dans une interview sur IGN du 24 avril 2013. Selon ses dires, il aurait déjà commencé à évoquer le sujet avec les directeurs de Sony Japan. Comcept travaille aussi sur Yaiba, un spin-off de Ninja Gaiden pour le compte de Tecmo, prévu sur PS3 et 360 en fin d'année. Ajoutons à cela son sens de la dérision mis en avant en développant un jeu pour la compilation expérimentale Guild02 sur 3DS de Level5 où la 2nde Guerre Mondiale continue mais à l'échelle de fourmis. Il prête aussi son visage comme attaque spéciale dans le jeu Hyperdimension Neptunia mk2. Inafune revient ainsi sur le devant de la scène par ses propres moyens, sans Capcom et va peut être enfin se délaver une bonne fois pour toute de son image de « profiteur » qu'il traine dans le milieu de l'industrie japonais. Sans lui, Capcom patauge dans la semoule puisque l'outsourcing lui a malgré tout amené de bonnes critiques sur DmC par Ninja Theory et le développement en interne de RE6 s'est soldé par des critiques moyennes et des ventes décevantes malgré un départ explosive. Malgré leur annonce répété de ne plus externaliser leurs projets, Capcom confie encore aujourd'hui Lost Planet 3 à Spark Unlimited (médiocre sur Legendary et Turning Point), ainsi que le remake de Duck Tale à WayForward (médiocre sur Double Dragon Neon)... Qui prendra la responsabilité de ces décisions ? Nul ne le sait mais ce ne sera certainement pas InafKing.

Nous sommes en 2013 et pour beaucoup, Capcom est mort. Seul Yoshinori Ono essaie de conserver un minimum de personnalité et de culture 90's dans ce Capcom internationalisé, devenu un « EA japonais » en poussant la résurrection de Street Fighter avec le quatrième épisode. C'est d'ailleurs Keiji Inafune qui a appuyé Ono pour son projet de Street Fighter IV alors que tout le monde était contre, comme il le révèle sur Gamekult, en 2012 pour les 25 ans de la série. Cependant, Capcom ne semble pas apprendre de ses leçons passées. Suite à son surmenage en 2012, Ono décide de prendre du recul et délègue son travail sur Street... Dans le même temps, malgré le fait qu'il ait apporté beaucoup d'argent à sa société, Capcom semble lui bloquer le développement de Darstalkers 4 sauf si sa compilation Darkstalkers Resurrection se vend bien sur PSN et XLA. Un chantage affectif pour les fans, une belle carotte pour Ono puisqu'un simple portage d'un jeu de niche a bien peu de chances de cartonner autant que Street. Ce qui est confirmé par les propos de Christian Svensson de la branche américaine avouant que les ventes sont en deçà des espérances... Bonjour la reconnaissance. Même si aucune décision officielle n'a encore été prise, le principe est lâche. Même chose pour Shu Takumi, le créateur des Phoenix Wright se voit être devenu « que » producteur sur Phoenix Wright 5 attendu cette année sur 3DS, obligé de ne plus activement participer à son jeu. Une pratique qui a provoqué lentement mais surement le départ de Mikami et en le poussant plus dans ses limites, Inafune. On a décidé de ne s'axer sur trois grandes figures encore en activité, mais le destin de Yoshiki Okamoto est similaire. Concepteur de 1942 sur arcade qui est tout simplement le premier succès de Capcom, mais aussi de Gun Smoke, Magic Sword, bref un spécialiste de l'arcade. Il finit cantonné au poste de producteur de nombreuses années pour enfin quitter Capcom et fonder Game Republic. Aujourd'hui disparu, c'est le studio derrière les magiques Folklore, Maijin et le plus classique Knights Contract. Aujourd'hui ce pilier de l'histoire du jeu vidéo préfère se tourner vers le marché mobile. Idem pour Tokuro Fujiwara qui a rejoint Capcom en provenance de Konami en même temps qu'Okamoto. Ayant participé à Vulgus, Megaman et créateur de Ghost'N Goblins, Fujiwara a dû se résoudre lui aussi à un rôle large de « producteur » pour ensuiter quitter la société. Aujourd'hui, celui que l'on créditait Professor F. se cantonne à des rôles de consultant comme le professeur considéré par tous ses anciens collègues. Il est par exemple crédité comme le concepteur original de Mad World de PlatinumGames, sans trop que l'on sache ce qu'il a apporté concrètement. Pratiquement toute l'histoire de Capcom est partie vers d'autres horizons. Le départ de tous ces éléments étant déçus de la direction qu'a prise leur studio « famillial ». Pour résumer, Capcom a cette tendance d'enchainer ses créateurs à chaque succès afin d'en ponctionner toute la rentabilité. Ce ne sont pas les seuls à se comporter de cette manière mais au travers de la carrière de Shinji Mikami, Hideki Kamiya et Keiji Inafune, la démonstration y est parlante. Surtout si l'on met en parallèle les problèmes de Capcom pour retrouver le chemin du marché occidental, malgré la tentative (fort louable) de Dragon's Dogma (plus gros budget de la firme) ou encore Resident Evil 6 (plus gros effectif de l'histoire de la firme).

Les anciens hommes forts de la marque se débrouillent ainsi pas trop mal sans leur société et semblent aussi plus épanouis que jamais au travers de quelques Bayonetta, Vanquish ou Soul Sacrifice. Pour notre plus grand plaisir.