Est-ce la renommée de feu Clover ou est-ce l'effet Sega qui nous rend si impatient à chaque sortie de PlatinumGames ? En effet, après Bayonetta, Vanquish, Mad World et Infinity Space, PG sortait l'an dernier au Japon leur ultime jeu pour Sega : Max Anarchy, renommé chez nous Anarchy Reigns. Une sorte de gloubi-boulga mi-beat'm all mi-baston avec des personnages haut en couleurs. Si l'actu de PG est désormais tournée vers la Nintendo WiiU (Wonderful 101 et Bayonetta 2), la restructuration de Sega West a fait retardé Anarchy Reigns, que l'on découvre en début 2013. Un titre qui sent bon le old-school, le style, la décontraction... A nous rendre fanboy.

Crise d'identité

Difficile d'étiqueter Anarchy Reigns en temps que tel. Au premier abord, il y a deux modes distincts : le solo et le multi fonctionnent différemment. On débute naturellement le solo se présentant comme un beat'm all jouable avec deux héros : Jack issu du jeu Mad World sur Wii, passant du noir et blanc en couleurs mais toujours aussi massif et au bras « tranchant » et Leo un soldat du gouvernement fictif muni de lames au bras et aux jambes. Anarchy Reigns se situe dans un monde futuriste post-apoaclyptique où les humains ne peuvent survivre normalement qu'avec des nanomachines ou des prothèses cybernétiques. Une technologie qui peut rendre un peu cinglé, ce qu'il s'est passé avec Max, un ancien détective puissant devenu fou et soupçonné d'avoir assassiné sa femme. Si Jack est engagé par la fille de Max pour le retrouver vivant, Leo doit le ramener pour qu'il soit jugé par les autorités. Chacun ayant sa petite storyline qui va se croiser, vous incarnez donc au choix l'un ou l'autre. Ce beat'm all n'a rien d'un God of War ou Bayonetta où l'on enchaine les niveaux linéaires entrecoupés d'un scénario plus ou moins prenant. L'aventure se découpe en 4 mondes, eux même découpés en missions que l'on active en éliminant des dizaines et des centaines d'ennemis easy copiés-collés en pagaille. Plus vous tuez d'ennemis, plus vous gagnez de points, et plus vous débloquez les missions. Des missions dites « libres » où il faudra survivre ou il faudra éliminer un nombre déterminé d'ennemis, ou autres plus spécifiques. Ces missions pouvant se rejouer quand on veut. Ces missions se jouent en effet en les déclenchant dans le quartier servant grossomodo de hub. Il n'y aura que 5 missions maximum par monde dont deux ou trois étant des missions « scénario » où l'on rencontrera des personnages plus intéressants et plus forts pour des duels, ou des deux contre deux, voir même des trios.

Une variété de personnages haut en couleurs, à l'apparence excentrique comme un mac aux muscles de 3 mètres de diamètre, une sorte de sanglier robotique géant, un type avec une queue de tigre se battant avec une seule jambe de métal, etc etc. Du japan-style complètement libéré, hétéroclite, où chaque personnage ultra stylisé est doublé en japonais usant d'un langage injurier et d'une pose-attitude des plus prononcées. Ce jeu dispose de 16 personnages à débloquer (+ Bayonetta à télécharger gratuitement) et jouables dans des styles complètement variés mais tous réunis dans un désir de faire entrechoqués leur membre mécanique (mais non, ce n'est pas sale !). Un roster alléchant, très sexy, qui sera utilisable dans un mode multi fourni ou dans le mode solo « libre ». Après avoir bouclé le mode solo rapide où les missions sont classées pour inciter au scoring, vous pouvez faire péter vos records avec n'importe quel personnage. Un mode solo de 5 heures, cinématiques inclus, qui ne va pas franchement vous emballer tant son scénario à la limite du compréhensible dû à une traduction française approximative vous laissera de marbre. Reste alors un multi archi-complet puisqu'il y a une bonne dizaine de modes différents allant du « Bataille Royal » où 16 joueurs utilisant le roster en question se mettront sur la tronche dans une arène, du team deathmatch à deux contre deux contre deux contre deux, du survival en équipe, etc etc. Il y a ce qu'il faut sur le papier. On regrettera cependant un jeu voué à une faible durée de vie vu le manque de joueurs en ligne. Car oui, le multi n'est qu'en ligne... Un gros défaut dans le sens où on sent que le jeu a été conçu pour mettre en valeur la diversité de ses personnages. Peu de personnes en ligne, un matchmaking aléatoire, même si l'on peut trier ses parties et probablement des serveurs étrangers font que jouer en ligne est un calvaire où vous patienterez beaucoup trop. Un jeu de baston qui nécessite tout de même une certaine fluidité demandera un faible lag. Là, ça dépend des joueurs mais on note des téléportations ici et là (surtout à 16 joueurs, ce qui semble logique) et des problèmes de collision rendant le jeu totalement foufou mais en rien skillé. Il faut faire le tri entre les modes et, par souci d'optimisation mais aussi de clarté, un bon mode 8 joueurs pour être largement jouable.

Skillé... ou skiné ?

Beat'm all ou baston, c'est cette incertitude qui va remettre en cause la qualité du jeu. Ce mix fait beaucoup penser à Power Stone de Capcom. Même si la majorité de la team PlatinumGames a travaillé chez Capcom, aucun d'entre eux n'était sur ce jeu Dreamcast. Quoiqu'il en soit, sur le papier, le jeu rappelle énormément ce principe de « baston libre ». Si l'on conçoit un roster aussi varié et aussi étoffé, c'est bien pour l'utiliser... Or, voici le gros défaut du jeu, ils ont tous la même palette de combo limitée... Malgré ses allures de jeu de baston en multi, il se joue comme un simple beat'm all basique à base de « carré, carré, carré, carré, triangle ». Il y a environ 8 combos dont la variante se résume au nombre de coups légers (carré) ou une demi-seconde de pause entre l'enchainement de carrés et l'ultime carré-triangle. C'est la même chose pour tous les personnages, avec des mouvements similaires, tout aussi frontaux. La seule différence est que le personnage svelte court plus vite et que le personnage robuste encaisse mieux. A part cette très légère différenciation, que l'on joue Jack, Joe, Big Bull, c'est la même chose. Seule Bayonetta sort du lot en ayant plus de combos, grâce au travail effectué sur le jeu éponyme.

Muni d'un lock manuel permettant de tourner autour de l'adversaire et d'esquiver efficacement, on notera aussi une tendance à frapper tout droit, en zone. Ce qui est quand même préjudiciable quand la majorité des jeux du genre savent gérer les changements de direction. Ça retire un peu de précision et de fluidité. Pour le solo, ce ne sera pas trop gênant puisque les spawn d'ennemis en zone sont faibles et que les boss sont en un contre un ou dans le pire des cas à deux, le lock est gérable. En multi en revanche, cette absence de souplesse pénalise beaucoup. D'autant que si l'on rentre en mode multi, on passe en mode « baston » et dans ce cas, on aurait aimé avoir la possibilité d'annuler un coup par exemple pour esquiver par réflexe... Ce qui n'est pas possible. On a collé le gameplay de beat'm all assez générique dans un mode appelant aux codes de la baston... Ça empêche non seulement de la diversité de part ses faibles combos mais aussi du skill nerveux car les joueurs physiques sont bien plus bourrins que l'IA. Du coup, le premier qui accule l'autre est quasi sûr de gagner, sauf si un tiers vous frappe de dos. Tout ça manque cruellement de subtilité et de maitrise car se mettre sur la gueule à 16 apporte tout de même un plaisir coupable. Certes, ce n'est pas aussi skillé que ça devrait l'être mais le plaisir collectif est là à se tabasser l'un l'autre comme des gaulois du village d'Astérix. Si l'on ajoute à ça, la possibilité de récupérer des armes ou des protections rappelant certaines heures de Mario Kart, le concept est éblouissant de fun. Mais dans la pratique, tout ça n'est pas poussé à bout, provoquant du spam de boutons assez frontal. C'est un brouillon. C'est la même chose pour le solo où se balader dans une zone ouverte à déglinguer des punks a des relents de Streets of Rage. De quoi émoustiller le fan d'arcade qui sommeille en vous. Mais là encore, avec cette idée de missions courtes basées sur du Survival ou Time Attack en seulement 4 petits mondes rend l'ensemble bien évidement court mais surtout haché. On peut toujours essayer de s'amuser à battre son record mais il y avait trop moyen de nous faire un petit beat'm all zoné jouable jusqu'à 4 en co-op où le plaisir entre potes aurait été exploité pour de vrai. Les missions courtes sont en fait sans réel intérêt à part se défouler et ne servent même pas à s'entrainer puisque tous les combos se ressemblent.

Ce gameplay pas assez élaboré malgré des idées simples mais bienvenues comme l'utilisation d'une arme sanglante d'une simple touche ou d'un mode « ravage » où cette arme devient illimitée empêche un super concept old school de prendre son envol.

Lady gaga se bastonne

Muni d'un énorme potentiel alliant le beat'm all 90's et la baston à la Power Stone mais resté au premier degré de son concept, Anarchy Reigns profite néanmoins d'un gros capital sympathie purement superficiel. On l'a mentionné plus haut, ce roster sorti de nulle part est superbement varié et sans complexe où une sorte de cochon peut se transformer en mutant d'un simple clic ne jure pas aux côtés des triplées que sont les filles Rin telles trois drôles de dame se battant avec une arme différente. D'une belle allure, le joueur y trouvera forcément son coup de cœur. Du jaune, du rouge, du violet, ce jeu multicolor dans des zones dévastées (dont un joli monde inspiré des stéréotypes de Hong Kong) respire trop les 90's. Vous savez, cette époque où les animées n'étaient pas encore bourrés de CGi et n'avaient pas tous le même très fin en guise de dessin où l'on osait encore des trucs un peu dingues et qu'on se faisait pas chier avec une pseudo poésie à deux balles où ça se bastonnait comme des brutes à coup de poings géants dans la mâchoire décollée... Ben la mise en scène d'Anarchy Reigns, c'est ça. On dira que c'est kitsch, certes. Un kitsch encore jeune puisqu'il pastiche une époque récente. Car cet Anarchy Reigns n'est pas de cet espace-temps. Assurément. Ni dans son gameplay, ni dans son look excentrique. Tout ça est souligné par une bande musicale survoltée mélangeant electro et hip hop incitant le joueur à jouer sourire aux lèvres. Une ambiance « no shame » : ouais je kiffe les gros muscles et les face à face au ralenti avec de l'electro-dance en fond musical ! C'est un peu ça, l'effet Anarchy Reigns. Bayonetta était déjà gratiné dans le « ridicule » (que ce soit dans le bon ou mauvais sens), Anarchy Reigns l'enfonce totalement. Toujours plus kitsch : les scènes de dialogues sont illustrées par deux portraits et un sous-titrage au milieu, comme les 90's... Ou les productions fauchées à la One Chanbara. Une description quasi-parfaite de la série Z.

L'ensemble se tient, l'ambiance désinvolte fait plaisir. Pourtant, on se rend bien compte que ce gameplay est limité... On voit que son graphisme est à la rue, même si la modélisation des personnage rend hommage à leur design, le reste est bassement texturé, avec une gestion de collision dépassée, votre personnage va glisser droit comme un i sur une rampe ou va se téléporter pour réussir sa chope... On a honte de rien, chez PlatinumGames ! Pire, dans certaines arènes où tomber est fatal, vous chuterez plus d'une fois à cause des combos frontaux que l'on ne peut annuler en bloquant ou esquivant. Malgré tout, on s'en fout, dans le pire des cas on meurt et on revient aussi tôt pour donner des grosses mandales en tutu jaune. Malgré ces bugs, le jeu se manie correctement et ne souffre d'aucune lourdeur ou retard d'affichage. Sa simplicité ne nous empêche pas de marteler notre pad. Et si vraiment ce coup de cœur (subjectif) intervient car le jeu a ce potentiel inachevé en lui qui le rend attirant, vous pourrez toujours augmenter votre difficulté max en solo et, si ça dure, trouver des bons matchs en ligne (si vous êtes patient).

Bien loin du chef d'œuvre et bien loin d'être conseillé les yeux fermés, Anarchy Reigns est un jeu au potentiel nostalgique surpuissant où le gameplay beat'm all, la musique electro, les personnages ultra colorés rappellent Streets of Rage et où le multi important rappelle Power Stone jusqu'à 16 (!). Deux chouettes références de la castagne, dans des styles différents qui auraient pu être réunies sur une galette. Hélas, si son absence de variété de combos peut éventuellement se tolérer en solo, elle est incompréhensible dans son mode « baston » où 16 personnages stylistiquement différents se jouent de la même manière. Ce défaut majeur casse l'idée de base. Le reste de ses défauts, d'ordre technique (graphique, infrastructure en ligne) ou de level-design (missions génériques mal découpées, peu de zones différentes) n'aident pas à mieux l'accepter non plus. Et pourtant... Pourtant il défoule, ce jeu tout con. Ils pètent la rétine, ces personnages poseurs de couleurs primaires et secondaires. Elle nous met dans le mouv', cette musique. On sent que le jeu n'a pas été développé avec beaucoup d'ambition (ou de moyens), et c'est bien dommage tant le potentiel défouloir complet était là. Comble de l'ironie, ce jeu mal fini au scénario inutile a été intégralement doublé en français par Sega West, justifiant six mois de retard (japonais dispo aussi)... Pendant ce temps, on ne sait même pas si Yakuza 5 arrivera en Occident. Il y a vraiment des directives de distribution à rectifier chez Sega.

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(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".

Note : la première critique de l'année inaugure aussi un nouveau système de notation, comme expliqué dans notre article "Aiguisez votre regard critique !". On y a remplacé les classiques "graphismes, jouabilité, son, durée de vie et scénario" par "gameplay, dir.artistique, finition, originalité et plénitude" (*plénitude = lié à la durée de vie mais aussi se demander si les dev vont au bout de leur concept). Toujours sur 20.