Il était très attendu. La campagne marketing de la Warner a, une fois de plus, fonctionné à merveille. C'est la fin de la trilogie Batman de Nolan, c'était annoncé. On sait tous que boucler une trilogie est compliquée, surtout quand vous avez la pression du succès. Sam Raimi connait trop bien cette pression où il fut forcé de chambouler ses plans pour Spider-Man 3 (ça aurait dû être le Lézard et non Venom en méchant mais qui a été imposé par les Producteurs suivant certaines envies de fans). Et donc, on pouvait se demander légitimement si Chris Nolan n'avait pas pu, par exemple, se relâcher ou avoir eu des contraintes supplémentaires pour cette fin après un The Dark Knight au regard sociopathe déconcertant qu'il arborait via son avatar du Joker.
Un Dark Knight par ailleurs abonné aux lancements de deuil puisqu'après avoir perdu son acteur Heath Ledger, voilà que le massacre d'Aurora rajoute une tache de pessimisme sur le Chevalier Noir. Ceci ne doit pas nous faire oublier que malgré ces messages et ces propos réalistes ancrés à notre époque, The Dark Knight reste une fiction. Et ce Rises alterne justement le pur spectacle au propos contestataire marqué.

Le méchant a toujours raison

The Dark Knight Rises est la suite directe de The Dark Knight. Même si vous n'avez pas vu ce dernier, vous comprendrez malgré tout le film. Cependant, il reste lié à son prédécesseur et c'est donc mieux de l'avoir vu pour bien comprendre la « gravité » que dépeint ce troisième volet.
Huit ans se sont écoulés depuis que Batman a endossé la responsabilité de la mort de Harvey « Double-Face » Dent pour préserver l'image positive qu'avait cet avocat auprès de la population. Grâce à la loi « Dent », des milliers de criminels sont en prison et Gotham City vit en paix. Batman devenu par dessus le marché criminel s'est effacé et a disparu. Très atteint par cet épisode, Bruce Wayne (Christian Bale) vit reclus dans son manoir et est estropié par ses années de justicier. Ce monde idyllique où la Police en est réduit à enquêter sur le léger retard d'un député chez lui ne peut évidement pas persister. Ces huit années où le Commissaire Gordon (Gary Oldman) a dû mentir à toute une population pour lui garantir une sécurité tiraillent la conscience du policier, tout comme elles ont atteint l'équilibre mental de Wayne. Cette hypocrisie ambiante qui fait comme si de rien n'était alors que l'injustice frappe toujours dans cette société, illustrée très rapidement mais efficacement par le focus d'un orphelinat en manque de moyens sortant des jeunes désabusés, va finir par péter. Et la mèche sera allumée par un mercenaire discret, infiltré mais terriblement violent : Bane (Tom Hardy). Cet élément perturbateur accompagné d'un personnage moins épais mais crucial, Selina Kyle (Anne Hattaway), une voleuse professionnelle vont faire sortir respectivement Batman et Bruce Wayne de leur grotte.

Le métrage est très très pessimiste. La tristesse et le sentiment de désolation vous porteront le long des 164 minutes, du début à la presque fin. Certains trouveront que l'ensemble démarre très doucement, prenant le soin de bien re-situer les personnages aux motivations bien changées depuis les deux précédents films. Gotham pleure Harvey Dent, leur sauveur, tous les ans, Gordon culpabilise, Bruce Wayne n'a plus aucun but dans la vie, Alfred (Michael Caine) se ronge les sangs pour la santé de celui qu'il pourrait considérer comme son fils et surtout, Bane et Selina vont imposer leur rythme. N'importe quel lecteur de comics « super-héros » avec un tout petit peu d'expérience vous le diront : ce sont les méchants les plus fascinants. Ce sont eux qui ont leur caractère complexe, alambiqué permettant de justifier leurs actes, le héros n'est là « que » pour régler l'ordre. Une théorie qui n'est pas véridique à chaque histoire mais il est indéniable que les méchants ont toujours une attention particulière. Batman ne déroge pas à la règle et déjà Tim Burton avait donné le beau rôle à Nicholson, DeVito et Pfeiffer. Cette fois, après que Heath Ledger ait réussi à impacter The Dark Knight de toute sa silhouette en ayant pourtant que des scènes sporadiques, c'est au tour de Tom Hardy de porter le film, accompagné par une Anne Hattaway aux faux airs de Famke Janssen en femme espiègle. Lentement mais sûrement, le dessein de ces personnages se dessine, leur ombre plane sur le Caped Crusader et va l'étouffer sur scène. Bien ? Mal ? Peu importe. Ces méchants donnent une raison de vivre à Batman, c'est un thème récurrent dans le comic et c'est d'ailleurs ce qui est montré dans le film. A partir de là, il est logique de voir Bale se faire voler la vedette et d'endosser un rôle de martyr. En attendant, on décomposera le film en deux parties : une lente ascension des méchants dépeints par leurs motivations et actions dans des scènes optant plus pour les dialogues, le calme... Pour ensuite déchainer la tempête du spectacle moins verbeux mais peut être aussi plus consensuel de ce que l'on avait déjà vu chez Nolan.

Capitalism Ban-n-e-d

Cette première partie du film est fascinante car elle reprend le portrait social qu'avait commencé à dépeindre Nolan en l'effleurant dans Batman Begins grâce au propos de Ra's al Ghul (Liam Neeson), puis mis en exergue via le Joker dans The Dark Knight et sa théorie du chaos. Plus qu'un film de super héros aux simples valeurs morales, la trilogie Batman tente de dépeindre une société en crise, corrompue et faible. Ce troisième volet va très loin dans le propos puisqu'en réalité, les méchants, Bane et Selina, combattent l'injustice sociale. « Catwoman » (elle ne porte pas ce nom dans le film et n'a aucune référence aux chats), voleuse de riches, Bane, mercenaire engagé aux convictions libertaires enragées. Parce que les méchants effacent pratiquement le Batman, parce que la caméra s'attardent sur eux, parce que la « Catwoman » paraît cool grâce à 90% des petites blagues pince-sans-rires du film (qui semblent bien trop décalés et forcés compte tenu de l'atmosphère pesante), parce que la caméra est obnubilée à mettre en avant Bane (gros plans, pose-attitudes montrant sa musculature, abus de contre-plongés pour mettre en avant sa supériorité physique et morale), on met totalement en avant leur idéologie simple : éradiquer l'injustice sociale.

Les deux, aux méthodes très différentes, s'attaquent au système bancaire, à la haute-société et ses privilèges, ainsi qu'à la restriction des libertés et à l'hypocrisie d'un système sous couvert de protectionnisme aiguë. Ce message est présent sur toute la moitié du métrage et c'est ce qui installe justement cette ambiance très malsaine propre au film. Bane est tout simplement un terroriste et la fascination qu'il exerce auprès d'une certaine population avide de liberté et d'égalité parfaite (propos noble, l'air de rien) est à mettre en parallèle avec les tourments du monde Occidental aujourd'hui. Ce monde où le système financier est pointé du doigt, harcelé, surveillé par un peuple qui a de plus en plus de mal à suivre et sacrifié sur l'autel de la rentabilité... Pas besoin de citer l'actualité, on nous en abreuve tous les jours, mais le film The Dark Knight Rises filme tout simplement les agissements (fictifs hein, attention aux amalgames) d'un terroriste au propos contestataire crédible et réaliste. De quoi ancrer la trilogie de Nolan encore plus dans une certaine réalité et ainsi une crédibilité certaine. Vous savez comment ça fonctionne, chaque thèse a son antithèse et la deuxième partie du film, plus spectaculaire, plus divertissante et moins pesante arrive à ce moment.

Trop gros. Passera pas.

Justement, The Dark Knight Rises est censé être plus spectaculaire, plus grandiose que ces prédécesseurs. Ces derniers, pourtant, ne louaient pas l'action facile, donc on n'avait pas à s'imaginer du boum boum sans queue, ni tête. La tension et le risque d'implosion de la société de Gotham City augmente d'épisode en épisode. Dans Batman Begins, Ra's al Ghul prédisait que Gotham ne peut être sauvé et qu'il fallait pour ça l'éradiquer, la purifier. Dans The Dark Knight, Batman accule tellement les criminels qu'ils se retournent vers un dangereux sociopathe pour qui le contrôle asservit le peuple et le tue à petit feu. Si sa démonstration par l'absurde échoue dans ce deuxième film, le troisième, sans le clown (qui aurait dû être le héros sans la tragédie de son acteur) poursuit le propos en allant plus loin. Nous ne vous spoilerons évidement rien. Si ce troisième film contient quelques scènes chocs, on voit que l'ensemble manque leur impact. C'est à dire qu'à aucun moment, Nolan ne réussit à nous faire frémir devant l'image, ne réussit à dynamiser ses scènes d'action, à rendre les actions de Bane terrifiantes. L'ensemble semble si banal à tourner... La fameuse scène du terrain de football par exemple est censé être la scène « star » du film, dans le sens où elle a été teasé dans les bande-annonces. Mais cette fameuse scène est justement si « préparée », si propre à réaliser, amenée avec tant de délicatesse, comme si que « fallait pas se louper, c'est ce que le public attend » qu'elle n'émeut et n'impressionne pas. Cette scène numérique très courte (visible quasiment en intégralité dans la BA) est symptomatique de la réalisation de ce Rises. Si la tension, le propos dérangeant est là grâce à ce rythme lancinant, la peur et le choc de l'image n'est pas présent pour les scènes qui le méritent. Autrement dit, pour la deuxième partie du film. A la moitié, nous tombons dans le spectacle assez classique et cloisonné de « méchants très méchants » contre « gentils très courageux ». Et ça, c'est réellement dommage car si on a vite compris le fonctionnement du rythme à base de « calme avant la tempête », la tempête, elle, n'a pas l'impact des quelques scènes de The Dark Knight. Comme si que c'était trop gros, trop ambitieux, trop de pression aussi peut être ? Nolan ne nous donne pas matière à nous happer dans son film comme il avait réussi à rendre impressionnant les attentas du Joker. Si Bane est visuellement impressionnant grâce aux cadrages spécifiques dont il dispose, les scènes d'action sont trop cleans et trop esthétisantes pour rendre l'ensemble vraiment impressionnant. Trop classique, trop action-movie, pas assez fort.
Le long du film, les scènes d'action seront expédiées comme si de rien n'était. Les fans de Batman connaissent tous la scène mythique de Bane contre Batman dans le comic... Elle est expédiée en deux en trois mouvements sans traitement particulier, sans impact émotionnel, dans le film. Choix, ou plutôt absence de choix fort très étrange.

Après, il faut reconnaître que l'ensemble du film est vraiment bon grâce à son rythme et son propos, ainsi que sa galerie de personnages esthétiques. Mais justement, on a le sentiment que c'est trop esthétique. Trop évident. La carrure de Bane, la combi moulante d'Anne Hattaway assortie d'une prestation espiègle et séductrice beaucoup trop prononcée, afin de masquer le manque d'épaisseur du personnage. D'ailleurs, on aura noté un abus de petites mots d'esprit trop forcés et trop présents pour un film aussi « catastrophe » qu'il est censé être. Autre technique de surenchère : la musique d'Hans Zimmer. Si les percutions et les tons graves y sont toujours aussi impressionnants, on se rendra compte que leur utilisation y est très très présente pour tout et n'importe quoi, rendant alors « dramatique » ou « grandiose » n'importe quelle scène. C'est d'ailleurs cet abus facile qui m'a permis de tiquer sur ces scènes spectaculaires pas si impressionnantes qu'elles auraient dues l'être.
Mais, ça fait parti d'un Cinéma dit « efficace ». C'est à dire que c'est propre, le son tape bien à l'oreille, c'est chouette, on a aussi beaucoup de séquences « larmes à l'œil » que certains trouveront un peu trop rapides et impromptues... Mais elles manquent d'authenticité, ce qu'avait réussi à créer son prédécesseur. On soulignera, en revanche, l'efficacité des rebondissements ultimes de scénario, là où le spectateur commence à se poser des questions sur le background des méchants. Ce qui permet de boucler une boucle parfaitement cohérente avec Batman Begins. DKR débute sur les traces de DK pour terminer sur celles de Begins. Signe d'une trilogie parfaitement terminée.

Difficile de surclasser The Dark Knight tant il avait surpris à l'époque et tant il s'autorisait à dévier le thème du super héros. La comparaison est très difficile mais finalement, The Dark Knight Rises poursuit le propos avec efficacité et réussite. En faisant le choix de s'axer sur les méchants, tant dans le scénario que dans la réalisation, Nolan nous pousse dans une thématique de « justice sociale », de revanche et de rédemption dont Batman n'en est qu'un symbole, une idée. Ce dernier s'effaçant à la caméra pour en dévoiler toute son importance. A l'aide de messages simples entendus et illustrés ci et là, l'ensemble se met en place au fil de la durée pour nous rendre un film cohérent et surtout une trilogie complète. Ce n'est pas la cape qui fait le héros. C'est à travers cette idée toute simple que Nolan s'autorise à justifier un film aux antipodes du classique champs lexical du super-héros pour se concentrer sur un paysage d'une société en manque de repères morales. Comme toujours, si vous acérez votre regard, les fans purs et durs seront surpris de la ré-écriture du personnage de Bane mais hélas indispensable pour remplacer le Joker initialement prévu. On redécouvre donc un personnage à part entier à la méthodologie froide et rationnel... L'inverse de son prédécesseur. Quelques autres détails ici et là vont être aussi pointés du doigt mais cet article n'a pas vocation à faire la groupie ou partir dans le spoil. Enfin, d'un point de vue purement divertissant, il manque à ce The Dark Knight Rises un peu de folie et de scènes fortes. Une forme de lassitude et de routine de blockbuster s'y étant insinué. Mais qui ne l'empêche pas de réussir, fort heureusement.

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Note : Critique sans spoils, of course.