Révélé au grand public par leur FPS western Call of Juarez, les polonais de Techland ont souvent traversé les ans dans la médiocrité et la surexploitation de sa licence avec Ubisoft comme éditeur. Leur salut viendra d'un trailer en CGI à la réalisation graphiquement léchée (du studio Ten24) pour leur jeu Dead Island surfant sur la mode FPS/Hack'n slash à la Borderland (dont le studio Gearbox partage la même carrière en dent de scie). Le jeu cartonne, a un stand-alone, puis surtout une suite en production. Vu les « nouvelles idées » qu'ont les développeurs, ils changent leur fusil d'épaule et lancent un titre original appelé Dying Light, édité par Warner Bros. Cette fois, plutôt que de jouer en co-op (ou non) avec des personnages armés dans chacune leur spécialité, on va plutôt éviter la baston. Reste à savoir maintenant si Techland continue de marcher sur les cadavres des zombies.

Courir ou souffrir

Dying Light vous envoie dans la ville fictive de Harran, située à la frontière turque. Le joueur incarne un américain, employé par le GRE (une espèce d'organisation secrète). Son but est de retrouver un fichier volé par un survivant de la ville, victime d'un virus zombifiant le peuple. Le héros se retrouve vite infecté et doit prendre un produit pour ralentir le processus. Il se joint à un petit groupe de résistants pour en apprendre plus sur la situation et trouver son fameux fichier. Les résistants sont adeptes du « running » ou plutôt du « parkour » selon nos termes. Ils ont appris à se déplacer sur les toits, poteaux électriques ou poutrelles pour échapper aux masses de zombies tout en fouillant les zones à la recherche de vivres et matériel.

C'est ainsi la base du gameplay qui a poussé les développeurs à développer un titre original. Toujours en vue FPS, le système de parkour permet de courir à toute allure de toit en toit et librement dans la ville. Le système est simple mais pas assisté pour autant, pour s'accrocher il faudra laisser la touche de saut appuyer tout en ayant dans le champ de vision sa prise. Si pris de surprise par les mouvements brusques de caméra à la première personne, vous ne redressez pas la caméra vers votre cible, votre personnage s'écrase ou se rattrape vers le point d'accroche que vous visez. En sachant que vous pouvez vous accrocher à n'importe quelle surface exploitable (vous ne grimpez pas sur des murs plats et glissants… mais chaque rebord est interactif), sans aucune aide visuelle à la Mirror's Edge ou quelconque jeu vidéo contemporain. Le jeu mise sur la liberté quasi totale de mouvements dans des décors urbains comprenant beaucoup de bidonvilles dans un premier temps, puis de plus en plus d'immeubles surélevés. Les zombies ne peuvent grimper sur les bâtiments, c'est ainsi le refuge du joueur, il en trouvera de temps en temps un ou deux mais incapables de descendre ou monter sans se casser la figure. Les faire tomber par un coup de pied est d'ailleurs amusant. Le plaisir de se déplacer très facilement et sans script lourd permet aussi de découvrir un paysage encore assez rare dans le jeu vidéo : le moyen-orient. Enfin presque. La ville est fictive, la ville est proche de la Turquie mais elle est difficilement identifiable, les deux ou trois immeubles géants habillé de matière réfléchissante rappellent plus la démesure du Qatar ou des E.A.U quant à l'inverse les nombreux bidonvilles où certains toits sont susceptibles de s'écrouler sous le poids d'un saut trop importants rappellent… ben on sait pas trop. Même si la ville manque de personnalité mais aussi légèrement de diversité ou de rigueur de construction (identification par quartiers par exemple), le décors reste rare. Traverser des écriteaux écrits en arabe, le sol sableux, quelques plantations exotiques, le vent faisant apparaître une multitude de particules sous nos yeux ou l'éclat du soleil à la pesanteur bien retranscrit par une colorimétrie chaude participe grandement à la découverte des lieux de toit en toit. Le doublage anglais mais muni d'accent (certes l'astuce paraît toujours caricatural) force le dépaysement aux yeux et aux oreilles du joueur. Un bon point pour un jeu basé sur l'exploration. Histoire de renforcer cette jolie ville, bien que techniquement quelconque mais fournie en bon nombre de chouettes effets (lumière, particules comme dit plus haut) et de bons détails sur les bâtiments, les développeurs nous imposent un cycle jour/nuit dynamique. Le joueur s'amuse ainsi à voir le soleil tomber et profiter des aubes (et aurores) bien rendues pour laisser place au silence et la nuit souvent très noire des environs. Pas seulement un chouette effet pour la ballade nocturne, c'est un élément de gameplay parmi de nombreux d'autres somme toutes assez décousues.

J'veux mettre un pain mais j'peux point

Le jeu est grosso modo découpé en deux parties : le jour et la nuit. Vous pouvez switcher de l'un à l'autre en dormant si vous ne voulez pas attendre. La majeure partie se situant malgré tout de jour, c'est en effet à ce moment là que les ennemis y sont plus fragiles et surtout lents. Les masses molles entre deux bâtiments n'auront pas trop le temps de réagir à vos sprints ou sauts. C'est le meilleur moyen d'explorer. La nuit, en revanche, armé de votre lampe torche, les ennemis sont plus robustes mais surtout bien protégés par les Volatiles, des zombies au champ de vision affûtée, à la rapidité exemplaire et à la férocité fatale. Certaines missions vous imposeront de jouer la nuit. C'est souvent difficile car en voulant la jouer discret, vous perdrez plus de temps à choisir les mauvais chemins qu'à tracer devant vous, prenant le risque d'être poursuivi. Vos pouvez, à l'aide d'une combinaisons de touches foireuses (enfin au clavier) vous retournez tout en courant pour aveugler l'ennemi à la lampe uv et trouver une cachette en hauteur. Quoiqu'il en soit, la nuit, c'est difficile. Dans le jeu, vous mourrez souvent et vous redémarrerez à la zone sécurisée la plus proche, tout en conservant l'avancée de votre mission. Par exemple si la mission consiste à brancher l'électricité au point A, B, puis C, et que vous mourrez après avoir fait le A, vous vous retrouverez avec votre point A de la mission effectuée. Le seul problème, c'est que vous perdrez des « points de survie », un truc qui sert à rien sauf si vous voulez scorer dans un open world avec quêtes principales et secondaires (autrement dit, un contre sens complet). Avec cette astuce, vous pouvez donc « tricher » et découper vos missions difficiles par petit bout. Vous pouvez par exemple aller à votre point de rendez-vous juste avant que la nuit tombe pour ainsi être sur place au moment de boucler votre mission sans vous farcir les menaces extérieures. Cet exemple parmi d'autres est hélas le symbole de tout un game design contradictoire.

Avec un concept basé sur l'exploration et l'esquive de zombies, le jeu vous imposera hélas bien trop souvent d'en fracasser une demi douzaine d'un coup. Le problème est que les développeurs ont décidé d'être « réaliste ». Le joueur a ainsi une barre d'endurance qui fond à chaque action, autrement dit à chaque coup de pioche/marteau/peu importe dans des ennemis plutôt résistants. Plus l'arme est lourde (exemple : une haltère) plus le coup est lent mais surtout pompeux en énergie. Le problème étant qu'on est très limité en nombre de coups et qu'il faudra reprendre son souffle en reculant après seulement deux ou trois coups de batte de base-ball… A moins de jouer un obèse ayant un souffle au cœur (ce qui n'est pas le cas), cette astuce est difficilement compréhensible. Malgré une localisation des dégâts qu'on n'avait plus vu depuis quelques temps où on se fera un plaisir de viser le crâne avec une bonne arme pour le voir brisé, tuer un zombie est plus difficile qu'ils en ont l'air. Le joueur est ainsi amené à se réfugier en hauteur entre deux coups pour éviter d'être à court de souffle et donc vulnérable. Pour autant, Techland s'est dit que le terme de « réaliste » était usurpé pour un jeu de morts-vivants alors il a fait intervenir des super zombis qui courent à deux cents à l'heure (souvent ceux qu'il faut impérativement tuer en mission) rendant les combats fort peu agréables et agiles. On en vient donc à sauter bêtement sur les ennemis (surtout si vous avez débloquer la possibilité de « rebondir » sur eux) pour les latter comme un pleutre coup après coup. Pas très fun. Plus tard, les armes à feu seront dispo par la voie scénaristique (si vous cherchez vous pourrez en chopper un peu avant) mais là encore si le jeu vous autorise à vous trimballer 20 pelles et 30 marteaux, vous serez limités en munition… On ne comprend pas trop l'intérêt de se contredire perpétuellement et Techland abuse de ce genre de fausses pistes. Par exemple, il y a sur cette grande map des zones à sécuriser. Dans certaines il faut refermer une grille et détruire les zombies. La logique veut de refermer la porte avant sous peine de voir arriver des zombies de l'extérieur. Sauf que quand une mission principale vous impose de sécuriser une zone… le script pour refermer cette foutue grille ne se lance pas, il faut tourner en rond, en éliminer un ou deux avant de pouvoir le faire… Le jeu souffre d'une espèce d'incohérence chronique où plein de petites erreurs de game design ou de manque d'assurance rendent le jeu petit à petit très pénible à jouer et peu amusant malgré les premières heures à bondir de toit en toit. En tant que jeu ouvert, vous avez parfois la (fausse) impression de pouvoir vous amuser tel un bac à sable. Alors, vous vous dites que ce serait bien d'attirer les zombies en dehors de la zone à sécuriser pour faire ça sans violence. C'est sans compter sur un pathfinding assez lamentable où certains zombies restent collés aux grillages et d'autres ne captent rien… Ce potentiel d'ouverture est définitivement anéanti par les missions plus dirigistes qui vous envoie au point A ou B ou vous définissent scénaristiquement par un script mou du genou et ferme donc la porte à de multiples façons d'achever votre but.

Techland décide, pour essayer de fouiller l'expérience de jeu, d'offrir un arbre de compétences pour améliorer les qualités de déplacement du héros, sa force de frappe ou sa résistance. Ainsi en quelques clics vous pourrez effectuer des coups de pieds sautés dignes d'un catcheur (un joueur sur Youtube a d'ailleurs bouclé le jeu sans utiliser la moindre arme, n'utilisant que cette technique de combat – un challenge bien difficile), augmenter la capacité de votre inventaire, avoir plus d'endurance, etc. Ça ne changera pas franchement votre façon de jouer mais ça pourra vous aider au fil de votre aventure (avoir quelques armes de lancers débloquées peut toujours être utile, même si la feature est contrebalancée par la rareté des items). Le jeu n'arrive pas à se situer car avec son aspect « réaliste » dans les bastons où votre batte de base ball brisée se répare en deux morceaux de scotch, où deux coups de zombies vous mourrez mais vous sprintez avec une cheville brisée d'un saut de 15 mètres, où on vous force à éviter l'ennemi mais d'un autre côté vous impose trop de missions de bastons (mention spéciale aux combats contre des humains trop résistants, heureusement à l'IA aussi peu évoluée que les morts), le joueur devient vite frustré par tant de mauvais choix. Pour couronner le tout, le scénario aussi épais qu'un papier à cigarette n'incite pas à aller beaucoup plus loin où les missions de boyscout s’enchaînent détruisant le gros potentiel de base.

Presque RPG

Les développeurs l'avouaient, ils voulaient se concentrer sur l'aspect RPG de leur jeu. Le problème, c'est que de nos jours, quand un développeur occidental vous parle de RPG, vous avez neuf chances sur dix qu'il n'aille pas plus loin qu'un vulgaire arbre de compétences… Et c'est exactement ce qu'il se passe dans Dying Light. Pourtant, jouissant d'un open world urbain avec un très chouette gameplay de base facile d'accès mais accrocheur dû à ses bonnes sensations, Dying Light aurait pu et dû aller plus loin que de coller des missions déjà vu et banales à ce concept. Car Dying Light, c'est ça : une bonne base explorée n'importe comment. Techland a été incapable de développer leur idée et s'est contenté d'appliquer la recette de beaucoup de jeux sans caractère : plein de missions à l'endroit A ou B de la map à activer des pièges ou récupérer tel objet d'un clic, le défi étant de survivre aux ennemis imposés… Le jeu aurait dû s'inspirer d'un Fallout avec décisions morales d'un point de vue scénaristique avec choix de factions (le scenario s'y prête déjà avec un héros jouant sur plusieurs tableaux en plus), de décisions ludiques (découvrir ses missions en se baladant, pas en activant une checklist depuis son refuge), ou encore gérer une multitude de façons de boucler les missions d'autant que la force du jeu est son gameplay « non violent » et pêche par la lourdeur de ses combats. Au final, on se retrouve avec un level-design bien raté car très rigide et imposant trop souvent au joueur la tare de son gameplay : des combats hachés par une barre d'endurance mal réglée et des comportements ennemis anormaux, ainsi que certains passages linéaires à contrario de sa map ou des erreurs de script.

Très amusant les premières heures par sa jouabilité dynamique tout en sauts et gestion de caméra à la première personne dans des décors chauds et poussiéreux changeant un peu des décors habituellement occidentaux, les seules qualités de Dying Light deviennent vite obscurcies par la grande faiblesse de ses missions inintéressantes, de son gameplay de combats aux antipodes totales de la liberté de mouvements appréciée en premier lieu, lourds, hachés, imprécis, de problèmes de scripts long à la détente, d'incohérences de conception (inventaire/munitions, le pathfining ennemi trop mauvais pour jouer efficacement des leurres) ou de scenario passionnant pour justifier un tel manque d'inventivité ludique. Dying Light, c'est un bonne idée qui n'a pas été développée, tout simplement. Avide de surfer sur sa réussite autour du thème des zombies, Techland a rushé son jeu autour de l'unique bonne idée qui se démarquait réellement de Dead Island pour ensuite lui coller un concept de missions bateaux éparpillées ici et là sur la grande map. Le système de combat même pas amusant est surtout là pour essayer de se démarquer du titre précédent en y ajoutant beaucoup de malus (endurance trop limitée du joueur et de ses armes, manque de variété des dites armes)… Un échec total. Il y a ainsi un manque de parti pris fort et très probablement un manque de travail réel. Techland surfe tout bêtement sur son succès précédent sans comprendre exactement ce qu'impliquait le concept jouissif de parkour, faisant ainsi stagner l'idée en simple gimmick puisque rapidement on vous imposera pratiquement que de la baston lourde sans intérêt. Un jeu qui passe d'un extrême à l'autre en quelques heures.

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