Article paru il y a 15 jours sur Birganj.

L'année dernière, nous écrivions un article sur un jeu, appelons ça un jeu, appelons ça même FPS, soyons couillus, de Sega, développé par Gearbox… Disons Gearbox… Disons plutôt Timegate, qui se décrivait comme la suite d'Aliens de James Cameron… Disons que ça s'en inspirait vaguement… Disons plutôt que c'était une sorte de skin Aliens pour un jeu, disons, du genre de Haze. Voilà. C'était une expérience très particulière et effectivement, le jeu « faisait peur ». Un an plus tard, Sega veut très vite oublier ce désastre éditorial (en conflit contre Gearbox pour savoir à qui est la responsabilité de la communication mensongère du jeu leur ayant amené une class-action aux fesses) et nous sort Alien : Isolation, développé par leur studio le plus compétent : The Creative Assembly. Problème : le studio enchaîne les jeux de stratégie Total War tous les deux ans et le seul jeu différent proposé était l'oubliable jeu d'action/beat'em all Viking : Battle for Asgard en 2008 sur PS3 et 360.

Néanmoins, les premières images et promesses de gameplay sentaient très bons et titillaient l'âme du fan (bon les premiers rendus de Colonial Marines aussi mais ça ne compte pas hein!). Voyons voir si Alien peut enfin avoir un jeu vidéo de haut niveau sans avoir besoin de son pote Predator.

Alien, le 9ème passager

Suite à une petite cinématique fort peu utile en soit par son peu d'informations et de mise en scène mais permettant de visualiser les traits du personnage principal, le jeu de The Creative Assembly démarre très rapidement en vue subjective, in-game, jouant sur l'immersion totale d'un univers glauque et pesant comme a si bien lancé la mode Amnesia. Les développeurs misent sur une représentation d'une fidélité totale au film de Ridley Scott. Le film se déroule quinze ans après la disparition du Nostromo et d'Ellen Ripley. Sa fille, Amanda (dont l’existence est mentionnée dans la director's cut d'Aliens de Cameron) la recherche activement et tombe sur le nom du Sevastopol, une station spatiale orbitale ayant reçu des enregistrements du Nostromo. Avec une toute petite équipe, Amanda se retrouve vite esseulée dans une station sans vie où les rares humains paniqués tirent à vue et où les robots sont commandés par une IA cherchant à cacher les événements de la station. Et pour cause, un xenomorphe y a élu domicile.

L'ambition des développeurs anglais est claire : faire une suite du Huitième Passager, c'est à dire en reprendre le design global et le sentiment de solitude (ou d'isolement, d'où le titre). Très très vite, le silence spatial se fait assourdissant, l'absence de vie aussi, dans les dédales d'une station au design très années 70 où les formes arrondis, le blanc immaculé et les ordinateurs rustiques à écran vert sont légion. Pas techniquement énorme, le jeu jouit d'une reproduction quasi parfaite de l’univers technologique du premier film, du mobilier à l'architecture aux accessoires, muni de jolis plans par le biais des grandes baies vitrées laissant apparaître la lumière des planètes extérieures faisant flotter les particules de poussière laissant entrevoir l'abandon de la station. De jolies effets maîtrisés pour mettre en avant les décors parfaits sans être impressionnant au vu de la physique très limitée du jeu. Le joueur sera bloqué par de vulgaires caisses (ou simili) et ne pourra pas bouger les éléments sur place, tout est rigide et trahit un retard technologique certain. On s'apercevra l'interchangeabilité des décors le long de l'aventure, chose un peu logique en soit, une architecture se devant d'être cohérent d'un bout à l'autre mais deviendra redondant au fil des heures jouées. D'un autre côté, il renforcera la pression psychologique de la solitude du joueur et de sa perte de repères. On pourrait toujours pointer du doigt le fait que la station ressemble beaucoup au Nostromo, ce qui en terme de crédibilité et d'originalité n'est pas très positif, un peu comme si les développeurs avaient peur ou n'osaient pas se réapproprier l’univers. Ce qui par certains côtés est soulageant puisque le peu d'apports originaux est médiocre comme les tags recouvrant les murs en début de jeu pompé sur du Batman ou Bioshock ou bref, comme n'importe quel élément de style un peu facile. Les robots du jeu, ressemblant à des mannequins de crash-test… ou à Fantomas, s'incrustent étonnement bien dans l’univers, ce sont des robots de maintenance et font presque parti du décors : un peu froid, un peu simple mais assurément old-fashion comme le travail de décors tout droit sorti du film de 1979.

On appréciera aussi et surtout la qualité du sound design, là aussi sans risques mais très efficace, avec son bruit de tôle résonnant dans les conduits d'aération, les bip du détecteur de mouvement icônique du deuxième film, le bruit des alarmes bien appuyé par la lumière rouge clignotante des gyrophares. Le tout étant enrobé d'une musique qui s'active que lorsque des événements particuliers annoncent une menace proche. Le choix du silence pour la majorité de l'aventure amplifiant le poids du stress supposé du joueur.

Cache cache

Plutôt que de transformer le film d'angoisse en jeu d'action FPS, tel que ses prédécesseurs, The Creative Assembly prend le parti de reproduire, du moins d'essayer, la peur, le stress, la fuite de l'héroïne du Huitième Passager. Ainsi, nous sommes en face d'un jeu d'infiltration en vue subjective. Le joueur sera amené à aller du point A au B dans tout le vaisseau pour aider ses partenaires et tout bêtement fuir la station. Il faudra éviter les quelques humains encore à bord, éviter le regard des robots et enfin du xenomorphe. Pour ça, il n'y a pas de secret, on joue accroupi les 90 % du jeu. Si les rondes des humains et robots sont très scriptés et rigides ne reflétant alors que peu d'intérêt (le script de l'arrivée des humains dans chaque zone se déclenchant parfois même suffisamment en retard pour les éviter). Celle de l'alien en revanche… Le monstre a quartier libre dans le vaisseau et se baladera aléatoirement dans les couloirs de votre zone et n'espérez pas qu'il aille se taper une petite marche à l'autre bout de la station, il sera toujours dans votre zone à avancer à droite, à gauche, à disparaître dans un conduit d'aération pour réapparaître aléatoirement (on insiste sur le mot « aléatoire »). L'alien étant sensible au bruit, le moindre sprint signifiera votre arrêt de mort. Rester immobile à regarder votre détecteur de mouvement alertera petit à petit l'ennemi par les « bip » intempestifs de l'appareil. Vous l'avez vite compris, comme n'importe quel jeu d'infiltration, vous pourrez attirer l'adversaire grâce à des bruits bien placés, comme des leurres. Parcequ'être nu comme un ver amènera le joueur à s'embêter un peu, selon les développeurs, il pourra crafter des objets en trois clics via son menu radial : des medikits, des petites bombes, des munitions ou justement des leurres sonores grâce aux objets disséminés dans les niveaux. Plus tard, vous pourrez faire une farce aux sentinelles humaines encore en place en attirant le xenomorphe dans leur zone…

Le gameplay du jeu est malgré ces quelques features très épuré. Il faut éviter de croiser le regard du xenomorphe en se planquant sous les tables, en le contournant entre les couloirs ou se planquant dans un placard. C'est tout. Tout repose ainsi sur la perfidie de l'IA programmée du xenomorphe et sur le level-design. Ce qui n'est pas gagné. Si certains applaudiront devant l'aspect aléatoire de l'alien (ne suivant jamais les mêmes rondes), on sera très déçu du manque cruel de naturel des déplacements. La bête agit comme une sorte de robot sans cervelle, changeant de direction n'importe comment, sans aucun bruit, étant capable de faire des tours sur elle même, de disparaître en une seconde top chrono s'il échappe une seconde voir une demi seconde au regard de l'utilisateur (essayez donc de le suivre, vous serez surpris). En comprenant que l'alien est programmé pour zoner autour de vous (même s'il ne vous voit pas), en comprenant qu'il n'a aucune, strictement aucune logique de déplacement, vous ne le voyez plus comme une réelle menace mais comme une sorte de croque-mitaine à éviter comme on évite les fantômes dans Pacman. L'incohérence des déplacements de l'ennemi le décrédibilise totalement et annihile toute peur. Ce qui est plutôt gênant et lorsqu'il vous choppe (et il vous choppera), ce ne sera pas un coup de stress qui vous surprendra mais une lassitude, un peu dégoûté de devoir vous retaper ce petit jeu de cache cache demandant patience et audace car plus vous traînerez, plus vous augmentez les chances de vous faire attraper. On sera aussi très surpris de constater que la mort par l'alien se fait en silence… Pas de bruit de thorax transpercé, de souffle en plein visage, de cri strident, de quoi vous terroriser dans un ultime souffle : rien. L'effet étant complètement vierge d'impact. Et quand en plus, l'alien est capable de vous transpercer le dos alors que vous êtes adossé au mur par un bug de collision ridicule, la peur que l'on a essayé de reproduire devient en toute logique absente. Les espaces entre sauvegardes étant irrégulières, parfois assez proche de vos buts, puis parfois trop éloignés. On pourra recharger jusqu'à votre troisième sauvegarde antérieure, histoire d'anticiper des sauvegardes trop « dangereuses » car proche d'un ennemi par exemple. Si les longs espaces entre sauvegardes permettent de forcer le joueur à s'aventurer vers l'inconnu et augmenter ainsi le risque d'échec, donc de peur, il ne provoquera que plus de frustration puisque de peur, il n'y en a pas vraiment à cause de cet alien à la démarche mécanique.

Fracture design

Malgré un gameplay osé et un univers respecté, Alien : Isolation souffre de la contradiction énorme entre les deux faces de cette même pièce. Les moments de calme, réussis, les moments de silence qui pénètrent les sens du joueur, qui aiguisent ceux du fan sont sans cesse brisés par les éléments de gameplay terre à terre du jeu. Malgré un HUD épuré (juste une barre de vie simple et fine dans le coin inférieur gauche de l'écran), tous les mécaniques de gameplay viennent briser l'immersion du jeu, à cause d'un level-design mal découpé mais surtout des objectifs trop ubuesques et artificiels. Malgré la sensation d'avoir le champ libre pour se balader dans la station, la majorité des portes seront bloqués, il faudra pour ça avoir l'objet adéquat pour les franchir : ça va d'une clé anglaise, à un système de piratage, une poignée ou une machine utilisant des ions, chaque porte s'ouvrant par une mini manip peu crédible. Soit un QTE bête, soit un mini jeu à retrouver des symboles géométriques dans l'ordre… Outre le côté ancestral, traditionnel et stéréotypé de l'objet qui débloque les parties du niveau digne d'un vieux Zelda des 80's, vous avez sans cesse des indications typiquement de « jeu vidéo » au sens « jeu » du terme et non au sens « vidéo » (et donc immersion) du terme. Les objectifs sont tout aussi clichés : trouver une carte, aller au point A, puis au B, puis retourner au A, le joueur est baladé n'importe comment à ouvrir des portes de multiple façons sans que l'héroïne ne se pose plus de questions. Vous ouvrez votre carte pour vous repérez : horreur, les développeurs de jeu de stratégie ne savent pas concevoir un plan et symbolisent une paroi et une porte de la même façon. Un peu difficile pour se repérer et ajoutant une frustration supplémentaire dans cet ensemble d'objectifs peu inspirés, entrecoupés de points de sauvegarde ressemblant à des checkpoints permettant d'anticiper où débute et termine le sous-objectif, donc où débute et se termine la traque du xenomorphe. Tous ces signaux typiques du jeu vidéo classique brisent totalement l'immersion recherché des développeurs. Le joueur décrypte très facilement les mécaniques de level-design trop évidentes : allant de la musique annonciatrice de l'ennemi, du début et de la fin de l'objectif, de vite comprendre que le jeu vous fera faire des allers-retours pour rallonger artificiellement la durée de vie d'une douzaine d'heures. Et tout ça vous empêche complètement de vous croire dans le « film », tout crée un paradoxe complet le long du jeu.

Pourtant, choisir un game design épuré, volontairement « difficile », c'est à dire sans boussole, sans grosse flèche, sans aide, avec un ennemi imprévisible est un parti pris osé, honorable même pour un jeu à licence. Seulement, pour créer un jeu épuré, il faut le maîtriser et on a l'impression que les développeurs ont d'un côté travaillé leur gameplay, rajoutant des features peu utiles (le crafting peu utile et crédible), le rajout de robots ou d'humains l'air de sous-entendre que le jeu aurait été redondant sans. La peur de la répétitivité est omniprésente à chaque nouvelle forme de porte, à chaque nouvel ennemi ou à chaque objectif vaguement justifié réduisant à néant le but original de ressentir la peur, l'oppression et la fidélité au premier film.

L'attitude même de l'alien est en fait ridicule. Elle aussi, par son omniprésence à vous chercher tel un chien flairant le perdreau, devient absurde et peu crédible. On se rend aussi vite compte, passé sa première apparition à apprécier sa modélisation de la tête à la queue, précise et détaillée, que son comportement n'a rien à voir avec le film d'origine. La bête étant sans cesse plongée dans l'obscurité, posant rarement le pied au sol, préférant se fondre dans le décors, s'accrocher au plafond, à faire goutter un peu de sueur, le bruit haletant et tendancieuse de sa gueule juste au moment de mourir est ici totalement absent pour quelque chose de très « pantin ». Là où son absence et son découpage dans le décors était la star du film, où ses mouvements lancinants (et non nerveux) jusqu'à la prise mortelle rapide rendaient la mort terrifiante, il n'en est ici rien. La bête est sans cesse dans notre champ de vision (un peu comme s'il fallait repérer le joli travail de modélisation des infographistes), elle nous traque sans se servir de son environnement, le tout souvent en pleine lumière dans les décors blancs et lisses de la station… Nous n'avons absolument pas cette tension palpable issue du métrage de Scott, en dépit d'une copie du décors et de son sound design.

Alien : Isolation est une tentative audacieuse d'adaptation du film de Scott (car c'est bien ce dont il s'agit, pas des trois suites). Avec une ambiance visuelle et sonore réussie, frappant le joueur dans ses moments de contemplation à avancer à pas de loup, la première impression tend à vite dire « mission réussie ». Le fait de concevoir un jeu d'infiltration à l'ancienne, sans aide, sans bouton pour se coller automatiquement au mur, sans ronde scriptée, sans vision à rayon x tend là aussi à première vue de féliciter les développeurs pour un choix osé. Pourtant, en mélangeant les deux, la faute à de mauvais choix de l'un ou l'autre face du jeu, on n'obtient pas l'effet désiré et on se retrouve à maudire l'aspect « jeu vidéo strict » ruinant l'aspect « crédible » de l'univers. Même le jeu pur comporte de mauvais choix rendant compte que la simplicité d'un concept se maîtrise autrement qu'an rajoutant des features pour masquer l'embarras d'un jeu de cache-cache ne fonctionnant pas vraiment autant qu’espéré. Alors, on comble avec un peu d'humains, un peu de gadgets, plus tard, on a un lance-flammes pour du fan service et accélérer un peu les choses… On a ajouté des DLC du Nostromo pour attirer le chaland… Le concept de base ne se suffit pas du tout à lui même. Est-ce qu'il fallait l'épurer à fond ? Est-ce qu'il fallait le raccourcir quitte à avoir quelque chose d'intense ? Est-ce qu'il fallait mieux travailler l’imbrication du xenomorphe dans le gameplay plutôt qu'en vulgaire chasseur ? Un peu comme si, oui, dès l'annonce du jeu, dès les premières images et les promesses, les fans et les développeurs eux même ont cru que ce serait suffisant pour au final se rendre compte, sur la longueur, que l'alchimie ne prenait pas, obligeant à rajouter des éléments imprévus (les humains, les robots, le grand nombre de portes différentes fermé à quadruple tour rendant la situation assez comique). Néanmoins, la sensibilité de chacun quant aux chouettes plans du jeu ou du gameplay sans pincettes fera fermer les yeux sur l’incompatibilité des deux facettes… Il serait injuste de ne voir que le raté de l'ensemble quand on a des développeurs qui ont eu l'audace d'essayer autre chose. L'audace de ne pas assister le joueur. L'audace d'éviter le cliché du FPS traditionnel du précédent jeu Aliens. Avec éventuellement une autre tentative à l'avenir, le studio The Creative Assembly sera très certainement capable de voir en quoi ils ont manqué de discernement dans certains choix de gameplay discutables. Ça ne retire en rien les problèmes de cohérence de conception, mais ça mérite au moins de lui donner sa chance.

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