Article publié sur Birganj, il y a dix jours.

La semaine de l'E3 2014 est passée. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on a très largement bâclé sa couverture sur PG Birganj. La raison est très simple : ce fut chiant. On expliquera dans ce « bilan », qui n'en est pas vraiment un, pourquoi cet E3 ne sert plus à grand-chose et provoque ennui, et com' grossière. Entendez par là, encore plus que les précédentes années. L'E3, ça sert à quoi maintenant ?

Des jeux déjà vu

Nous débutions le 9 juin, à 18H30 à diffuser, regarder et commenter la conférence de Microsoft. Des leaks avaient été mis en ligne sur la toile, pour les deux principaux constructeurs. Retour de Rare avec Perfect Dark, exclusivité d'Epic, Gears of War par BlackTusk Studios, du Halo 5 en pagaille… Ça vendait du rêve aux fans. On retiendra de cette conférence une compilation Halo, ne contenant que le premier Anniversary, le 2 Anniversary sortant individuellement au même moment ainsi que le 3 et le 4 upscalés et un accès à la bêta de Halo 5 en décembre, paumée au milieu d'une vague de multi-supports masquant une absence de contenu. Et sans ODST et Reach ou moins surprenant le STR moyen Halo Wars. C'était la claque de la conférence Microsoft, si l'on se réfère à l'applaudimètre du public de journalistes en réaction au « vous aurez EXACTEMENT le même mode en ligne qu'il y a dix ans » présentant Halo 2 sur One… Consternant. Mais aussi tout un symbole de la mascarade médiatique qu'est devenue l'E3.

Si Microsoft a mis le paquet en faisant venir les éditeurs-tiers sur place pour nous balancer un énième CoD, un énième Assassin's Creed, un énième Tomb Raider (en images de synthèse), Dragon Age 3, The Witcher 3 ou The Division, Sony a essayé de mettre la gomme sur ses exclus (The Order, Little Big Planet 3, Uncharted 4) et sur les indés qui sortiront tous ou presque en cross-play PS4 et Vita. Cette dernière étant complètement abandonnée par l'Occident, malgré des rumeurs persistantes d'un Syphon Filter par Sony Bend. Ce qu'il faut retenir de ces deux conférences, c'est qu'il n'y aura rien en fin 2014. Rien est un bien grand mot mais entre un Forza Horizon 2 sortant à la fois sur One et 360, bloqué à 30fps, on ne peut pas appeler ça une belle exclusivité. Même chose pour Little Big Planet 3 développé par Sumo Digital (épisode Vita) pour PS4 et PS3. Le reste étant compilation, remake et portage HD. On peut déjà s'avancer sans se tromper que la première année des nouvelles consoles aura été morne. On savait que ça prendrait un peu de temps pour décoller mais rater les fêtes de fin d'année est quelque chose d'assez inhabituelle. Car que ce soit un remake Halo 2, un Forza 2, un Drive Club, un The Last of Us HD, tout ça reste du contenu, certes, mais tellement prévisible… Il faudra attendre février 2015 pour se prendre une mandale technique par The Witcher 3, qui fera office, sans surprise, de mètre-étalon technique. Février sera aussi la sortie de The Order qui s'annonce sacrément soporifique, un bête cover-shooter mollasson entrecoupé de scripts toutes les 40 secondes, bloqué à 30 fps justifié par les développeurs comme étant « plus proche du Cinéma car le 24i/s était injouable et 60i/s trop rapide »… La communication autour de ce jeu, remplie d'incertitudes et de contrôles risibles et insultants n'aide vraiment pas à donner du crédit à la « next gen ». Cette « next gen » qui ne semblait pas prête, puisque les éditeurs ont réutilisé la bonne vieille technique des années 90 à abuser de cinématiques en images de synthèse pour annoncer leurs jeux : Tomb Raider 2, Scalebound (surprise du salon puisque Microsoft se paye PlatinumGames pour un beat'em all de type « Dante en blond butte les dragons de Monster Hunter en écoutant de la zic » sans rien connaître du jeu), Uncharted 4 au développement chaotique et très probablement rebooté ou au moins fort remanié dû à l'éviction de l'équipe directrice, BloodBorne (le fameux Project Beast réunissant les développeurs de Demon's Souls sur PS4), Halo 5 toujours rien d'in-game à l'horizon, ou un Mirror's Edge et Mass Effect 4 présentés sous forme de… diaporamas des développeurs au travail. Beaucoup de jeux ont ainsi été annoncés sans pour autant être avancés, rendant leur annonce caduque puisqu'ils seront oubliés pendant de longs mois avant d'avoir de leurs nouvelles l'an prochain. D'autres utiliseront la GamesCom pour faire passer du gameplay plus en profondeur. Car en effet, la GamesCom de Cologne (Allemagne) est devenu le rendez-vous occidental pour du gameplay. C'est un salon ouvert aux professionnels et au public. Rares sont les annonces et tout est misé sur les bornes de jeu. Pas que des choses qui vont sortir d'ici deux mois, comme le Paris Games Week de novembre, mais bien aussi des choses plus lointains. En théorie, sauf nouveau recul de Microsoft, Quantum Break, absent de l'E3, devrait y être. D'un côté, des images de synthèse. De l'autre, du gameplay. Et les éditeurs commencent petit à petit à privilégier le salon européen. Bien sûr, il y a du gameplay à l'E3, sur les bornes, après les conférences. Mais c'est pratiquement terminé les séances de gameplay dits de « découverte ». Aujourd'hui, voir Forza Horizon 2, un The Division qui ressemble toujours autant à un TPS random malgré les promesses, un Farcry 4 qui n'est qu'un reskin du troisième, ou même un Phantom Pain où voir les soldats se faire enlevés par des ballons reste terriblement bateau. Ubisoft a réussi (une fois encore) à créer la surprise avec la présentation d'un nouveau Rainbow Six Siege en 5vs5 où les joueurs s.w.a.t doivent sauver un otage gardé par les joueurs terroristes. Probablement la seule ou presque réelle surprise du show, en dehors d'une quantité astronomique de jeux indépendants sous l'impulsion de Sony et Microsoft. On notera cependant, passif d'Ubisoft oblige, que la démo n'était qu'une pré-alpha et risque donc de changer selon la tradition du français à vouloir vendre au plus large public. Cependant, cette unique intention reste louable.

But de l'E3

Au delà de tous ces jeux sans surprise et sans annonce ou alors brumeuse, il faut rappeler à quoi sert l'E3. En théorie, c'est un énorme coup médiatique qui sert à présenter les intentions et directives des constructeurs et éditeurs. Ça permet de marquer le coup en impressionnant le public… et les investisseurs. En effet, juin est le dernier mois du premier trimestre fiscal, elle permet de - en théorie - placer ses billes sur les potentiels succès de fin d'année, celles qui permettent en général de basculer d'une année fiscalement morose en extraordinaire. L'E3, c'est un peu la méthode de bourrin pour prendre la température sur ses projets. Mais ça, c'était surtout dans les années 90-2000. Depuis l'ère internet, l'info 2.0 se propage à vitesse grand v. Les buzzs ne sont plus sur scène mais sur les réseaux sociaux. Un mot de travers : votre action à la bourse chute, une vidéo virale : elle grimpe. Alors, quand petit à petit, depuis des années, les éditeurs se jouent de cette situation en balançant des teasings de teasing en leakant leurs informations, l'effet de surprise, donc d'impact médiatique s’estompe. Cette année, on ne retiendra rien de bien médiatiquement impressionnant. On sait déjà que The Witcher 3, c'est une claque, on sait que Phantom Pain ça va déglinguer, on sait qu'Assassin's Creed V sera beau mais rigide et bourrin, tout ça ne nous apprend rien.

Les fameuses rumeurs ont aussi très probablement dépassé les attentes réalistes : on attendait beaucoup trop de nouveautés pour au final, rien. On en attendait beaucoup car les faits sont là : la next-gen, si elle se vend bien, elle ne se joue pas beaucoup. Alors, ne rien nous annoncer de nouveau sonne comme un aveu d'échec. Des développeurs mal préparés ? Une com' de surenchère telle qu'elle finit par faire plus de mal que de bien (Ubi et son Watch Dogs vous disent bonjour) ?
Ou, dernier élément : participer à l'E3 coûte peut être trop cher, en temps, en argent et en énergie pour les développeurs ? En effet, chaque année, pour sortir des démo jouables ou démo techniques, ces derniers doivent accélérer leur rythme de travail comme pour un rendu final. Ils rentrent dans ce qu'ils appellent le « crunch time » : tout s’accélère, tout le monde est en stress, on enchaîne les heures sup', tout ça pour une démo. Ubisoft est un symbole de ça : la démo technique de Watch Dogs 2012 tournait sur un PC anormalement surpuissant, la démo de The Division était diffusée l'an dernier pour une date de sortie en 2014 alors que les développeurs avouaient d'eux même plus tard, qu'à ce moment là, leur moteur n'était pas terminé… Cette année, IO Interactive a été clair et honnête du début : « non on ne présentera pas Hitman 6 à l'E3, on préfère se concentrer sur notre travail ». Il est probablement là aussi le problème. Concevoir des claques médiatiques, c'est dépenser beaucoup d'énergie pour… Pas grand-chose, puisque d'année en année les joueurs repèrent les supercheries. Même si ça n'a pas empêché Watch Dogs de se vendre à 4 millions malgré le bad buzz qui a suivi après le fossé entre 2012 et 2014.
On peut ainsi se dire que l'absence de nouveautés visibles in-game peut être causée par des développements très longs, dans une période charnière où les développeurs doivent aussi travailler sur l'adaptation de leur moteur pour les architectures PS4-One toujours en découverte (certes plus aisé qu'avant mais demande tout de même de l'adaptation).
Par conséquent, est-ce que, peut être, naïvement, peut-on penser que les éditeurs commencent à comprendre que les « bullshits » tels qu'on appelle les trailers pipeautés, ou phases de jeu indéfinies, ou démos techniques surréalistes leur coûtent plus qu'ils ne leur rapportent ?
A l'heure d'internet où les spécialistes décortiquent les vidéos, comprennent de mieux en mieux comment fonctionnent les moteurs de jeu, et font vite passer leurs messages, il devient de plus en plus utile de ne plus trop prendre les joueurs pour des imbéciles. Même si cette règle absolue du marketing contemporain ne disparaîtra jamais.

Tout ça, ce manque de temps, d'énergie, trop de com' ayant tué la com', l'accessibilité instantanée du web, les rumeurs démesurées font que cet E3 se prend définitivement les pieds dans le tapis. Il perd tout ce à quoi il servait : faire le buzz médiatique. Autrement dit, il ne sert à rien à part utiliser les journalistes comme relais de com pour causer de jeux bientôt à la vente. Ce qui ne servira pas à grand-chose, car il y aura encore et toujours des invitations et d'autres salons pour reparler des jeux en question.

Et si Nintendo avait tout compris ?

La star de cet E3 sans s'y mettre au premier plan, c'est Nintendo. Celui que la presse et les lecteurs ont considéré comme « vainqueur de l'E3 » au vu de la grosse déception, de la lenteur et de l'absence de nouveautés chez Microsoft et Sony. En réalité, Nintendo nous a fait du Nintendo : un spin off stand-alone de Mario New World où les stages bonus servent de décors à Toad pour un « nouveau » jeu, du Xenoblade Chronicles X qui ressemblera comme deux gouttes d'eau au premier, ludiquement parlant, un Bayonetta 2 daté pour octobre vendu avec le premier en 60fps (vraie bonne nouvelle), le Yoshi en laine qui sera aussi facile que Kirby puisque ce sont les mêmes développeurs, et un nouveau jeu Splatoon, un TPS en ligne à base de paintball. Plus important, une très rapide démo technique de 20 secondes du nouveau Zelda, croisement du design réaliste de Twilight Princess mais au doux cell-shading de Wind Waker. Ce dernier ayant fait le buzz malgré l'absence total de gameplay. Comme pour les éditeurs qu'on critique ci-dessus. Si Nintendo a « gagné » cet E3, ce n'est pas pour sa ludothèque prévisible mais pour sa présentation.
En effet, la firme n'a pas organisé de conférence mais a préféré publié un Nintendo Direct d'une trentaine de minutes, contre 90 et 120 minutes pour ses concurrents. Malgré tout ce temps, ces derniers n'ont jamais dépassé le stade d’enchaînement de trailers… Et quand démo sur scène il y avait, la mollesse ou la prévisibilité l'emportait. Ajoutons à cela des temps morts faramineux et d'auto-congratulations gênants (Sony comme souvent) et on comprend rapidement que ces deux conférences n'ont absolument rien apporté de plus qu'un Nintendo Direct.

Le ND répond pourtant à toutes les problématiques évoquées dans cet article. A l'heure d'internet, tout le monde suit les moindres mouvements de l'E3 de chez eux… Nintendo préfère ainsi leur parler directement via vidéo en allant à l'essentiel. Une conférence prévisible obligeant de meubler par des multis ou des blablas ? Le format Nintendo empêche ce remplissage, favorisant leur ludothèque. Des démos techniques chiadées pour en mettre plein la vue au public sur grand écran ? Pas une nécessité, les 20 secondes de Zelda ont suffi à buzzer le web, en toute simplicité. Des fuites ? Nintendo ne connaît pas et permet ainsi de conserver la fraîcheur de sa présentation. En gros, Nintendo réfute toute la lourde logistique des conférences E3, son impact disparu, ses attentes démesurées, son temps de parole à tenir, faire applaudir un public qui se marche sur la tête (les mecs ont hurlé pour Halo 2), etc. Tous les inconvénients de l'E3 sont ainsi balayés.
Parceque Nintendo a tout compris. L'E3, ce n'est plus une fête (quand le public était invité, plus maintenant), ce n'est plus un espace médiatique (tout est balancé en amont), ce n'est qu'un concentré de trailers et de closed-doors pour journalistes… Ce qu'un joueur et lecteur a désormais tous les jours, tous les mois de l'année.

Il serait un peu naïf de découvrir aujourd'hui cette année que l'E3 ne sert plus à rien. Seulement, cette cuvée de 2014 a été certainement la plus mauvaise de ces derniers années. Parce que la nouvelle console met un temps fou à démarrer, parce que les bullshits coûtent un bras et peuvent se retourner contre leur éditeur, parce que tout est prévisible, parce qu'on a accès à tout en quelques clics, bref parce que l'E3 n'est plus qu'un concentré de trailers et previews de tous les jours. Tout l'aspect « annonce », « surprise », « claque » et tout bêtement « plaisir » n'est plus du tout. L'E3 ne sert plus à rien, à part être une journée plus bondée en news superficielles et fausses promesses.
Si même pour alimenter une première année de PS4 et One, les éditeurs ne font pas l'effort (ou ne peuvent tout simplement pas), alors inutile de faire semblant avec des trailers CGi.
Nintendo, en se mettant à l'écart de la farce, a mis en exergue le fonctionnement coûteux et pompeux du salon en faisant la même chose en un simple petit montage vidéo…
Dans la forme, la solution de Nintendo semble la plus pérenne, la plus saine, et la plus agréable à suivre de tous. Quant au fond, la variété des jeux dépend surtout de la situation de l'industrie. On est marqué par le retard de bons titres exclusifs sur les nouvelles consoles, entre portages (Halo, The Last of Us), cross-gen (Forza Horizon 2, Little Big Planet 3) et développements difficiles (Driveclub). Enfin, pour ce qui est du gameplay, le public jugera de lui même à la Gamescom, car un E3 où le gameplay est réservé aux journalistes n'a pas grand intérêt si ce n'est un relais médiatique assuré et uniforme.
Moralité : L'E3 doit s'adapter ou s'arrêter.

(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Focus".