Au Japon, le visual novel est un genre traditionnel, respecté et aimé. Il s'agit d'une histoire racontée au travers de longs textes et illustrés, souvent d'images fixes, que le joueur fera défiler. Rarement, il aura un ou deux choix à effectuer... C'est une forme de narration légèrement ludique qui concilie écriture fournie digne d'un roman et illustration numérique sans empiéter sur la qualité de l'un ou l'autre. Le fait d'être réalisé en utilisant une vue à la première partie renforce l'immersion du lecteur se sentant impliqué dans l'histoire. En aucun cas, il n'y a une once de gameplay. Puis, certains essaient d'y ajouter quand même de l'interactivité afin d'éviter la lassitude, propre à la passivité du genre. Un peu comme Snatcher de Kojima par exemple, déjà en 1988. C'est un peu le pendant japonais du click'n play. Récemment, l'Occident s'est mis à aduler ce genre via une niche bruyante. Est ainsi sorti la série des Phoenix Wright, puis récemment Virtue's Last Reward. Tous deux ayant leur histoire à suspense par du gameplay mi énigme, mi enquête. On s'intéresse aujourd'hui à Danganronpa, un mix des deux : des investigations et des procès couplés à une ambiance anxiogène tant à la mode depuis quelques années dans la culture otaku.

Bear Royale

Depuis le succès international de Battle Royale, ce métrage de Kinji Fukasaku où des jeunes collégiens participent de force à un jeu de tuerie afin de les discipliner, les trips mêlant étudiants et meurtres gores sont choses courantes. Et ils ne font même plus semblant de vouloir s'émanciper, l'inspiration est claire comme de l'eau de roche. Danganronpa est globalement identique.

Le joueur incarne Makoto Naegi qui a eu la chance d'être intégré à la prestigieuse Hope's Peak Academy réunissant l'élite du Japon (du moins on suppose vu les noms japonais mais rien n'est explicitement cité). Chanceux car ce garçon, contrairement aux quinze autres élèves, n'a aucune aptitude particulière. Il a été choisi au hasard parmi des milliers d'étudiants. Par conséquent, la spécialité de Makoto est d'être le « Ultimate Lucky », tout comme chaque étudiant de l'école est « Ultimate [spécialité] ». Tout content d'entrer chez les meilleurs, le petit Makoto s'évanouit aussitôt la double porte d'entré refermée. A son réveil, il découvre une école cloisonnée où les fenêtres sont tapis d'épaisses paroisses de métal boulonnées, toutes les salles sont équipées de caméra de surveillance et d'écrans de contrôle. Il est pris au piège avec ses tous nouveaux camarades.

L'école de « l'espoir », comme on pourrait l'appeler en bon françois mais qui ne sera pas nécessaire puisque le jeu n'est disponible qu'en anglais, devient vite un lieu de « désespoir ». Le proviseur de cette école pour surdoués est semble t-il un nounours au design mi blanc, mi noir, mi bon, mi mauvais tel un double-face de Batman, nommé Monokuma qui va établir les règles d'un terrible jeu sadique. Tous les étudiants sont condamnés à vivre dans l'école pour l'éternité. Un seul élève pourra en sortir. Pour cela il doit tuer ses camarades sans se faire attraper. Rapidement, la paranoïa prend le dessus où chacun se demande de quelle façon il pourra sortir d'ici. Jour après jour, le maître des lieux accroît le stress, la tension et l'envie des protagonistes en leur donnant une motivation pour les pousser à l'acte. Mélangeant drames humains, pulsions meurtrières, avarice, sacrifices, tour à tour les étudiants se font décimer. Ultime règle : chaque meurtre doit être élucidé par les survivants car si l'assassin s'en sort, tous les autres sont exécutés.

Voilà un pitch fort sympathique, respirant la joie de vivre. Comme cité plus haut, nous sommes dans du Battle Royale, à ceci prêt que la raison doit rester omniprésente pour ne pas pâtir des agissements d'un autre. En plus de vivre dans la peur de son ami, la traîtrise et la délation sont de mise puisqu'il faudra révéler l'identité du coupable, identité d'un camarade-ami. Outre l'absence totale d'originalité d'un tel pitch, il sera demandé aux joueurs d'être assez patients pour se prendre au jeu. Sans être un vrai visual novel, le jeu reste très verbeux mais surtout lent à démarrer. Le scénario est muni de plusieurs niveaux de lectures et de sous-intrigues qui s'épaissiront au fil des heures. Le jeu est, de surcroît, assez long. On pourra compter sur une grosse vingtaine d'heures, deux fins, des bonus à débloquer (images, vidéos, musiques) et une histoire alternative pas des plus intéressantes mais témoignant d'un produit complet. L'histoire est donc un peu poussive, et demandera un peu de patience au joueur, largement renforcé par la présence exclusive de la langue anglaise. Loin d'être de la grande littérature, le vocabulaire employé reste bien plus riche que d'autres jeux, comme Phoenix Wright par exemple, plus accessible grâce à des phrases courtes et une bonne illustration des mots-clés. Ici, les dialogues sont plus riches, plus précis et utilisent des mots peu courants. Il vaut mieux avoir un niveau de compréhension écrite assez bon sous peine d'être vite largué. On appréciera le choix entre les voix anglaises et surtout les voix originales japonaises. Ces dernières facilitant l'immersion dans un genre qui lui est propre, tout comme les clichés qui l'accompagnent.

Visuellement, Danganronpa, n'inspire pas franchement confiance. Il accumule les choix de design totalement clichés, avec le gros otaku, la jeune lolipop, la meuf mystérieuse, le gros dur bosozoku, etc. Leur trait graphique n'ayant pas non plus grande expressivité et caractère... Certes, le jeu est évidement très coloré comme la majorité des japanimations mais si on associe ce design impersonnel et stéréotypé, la mayonnaise pourrait ne pas prendre. Heureusement, il y a dans un premier temps un gameplay assez dynamique qui va servir de tremplin à une ambiance et une multitude de ressentiments via une bonne élaboration du scénario.

Boulettes of trousse

Le joueur est amené à se diriger librement dans son école en fonction des accès dévérouillés, mais est régulé par des horaires fixes, notamment la nuit. Découpé en chapitres, eux mêmes découpés en phases jour-nuit, le gameplay se révèle dès le premier meurtre, déclenchant enfin de l'intérêt. La phase d'enquête, dans un premier temps obligera le joueur à cliquer sur tous les éléments cliquables de la pièce dont le point de vue peut être légèrement déplacé afin de révéler quelques objets cachés. La possibilité de mettre les éléments cliquables en surbrillance d'un simple bouton facilite les choses. Bien que faciliter soit un grand mot, le jeu est par nature très téléguidé. En effet, si vous voulez quitter une pièce sans avoir récupéré tous les indices, ce ne sera pas possible, vous serez interrompu par une pensée du héros indiquant qu'il n'a pas terminé l'investigation. Quant à savoir où et quelle salle visiter quand les cinq étages du jeu sont débloqués, là encore tout est indiqué soit par un PNJ, soit par une pensé du héros. Là où le gameplay se démarque (enfin) d'autres jeux, c'est lors du procès. Le but étant de découvrir l'assassin afin qu'il soit jugé et exécuté, le cas échéant, le reste de l'équipe passe à la casserole.

Le procès est une réflexion poussée par l'ensemble du groupe. Étape par étape, le groupe s'échange leurs idées. Des idées matérialisées à l'écran par les phrases prononcées écrites d'une typographique dynamique, en mouvement, le temps de l'élocution. Ecran par écran, les dialogues traversent, scroll, zoom, s'éloignent du cadre, tentant de dynamiser l'analyse du texte. Certaines phrases-clés sont de couleur orange. Le joueur a sur son côté gauche de l'écran un barillet muni de balles « de vérité », il s'agit en fait d'une preuve glanée lors de l'investigation. A l'instar des objections de Phoenix Wright, le héros doit associer le bon argument (balle de vérité) avec le bon mot-clé de l'audience, afin de mettre en exergue une contradiction déterminante dans le procès. La difficulté étant que les textes défilent sans temps mort, à un rythme et mise en page irréguliers. De plus, des pensées néfastes de couleur violette pourront obstruer ces fameux mots-clés. Si vous lancez votre « balle », sur un mot violet ou sur un mauvais mot orange, vous perdrez un cœur de vie. Si vous n'avez plus de cœur, vous perdrez mais revenez aussi sec à la phase de raisonnement où vous avez échoué. Il n'y a donc pas de pénalité... Le gameplay est petit à petit muni de nouveaux ajouts au fil de l'aventure qui peut rendre l'accumulation de règles assez pénible à emmagasiner. En effet, vous pourrez ralentir le temps afin de mieux viser votre mot-clé pour le percuter d'une balle, puis vous pourrez sauvegarder un mot-clé pour le transformer en « balle », afin de révéler la contradiction d'une même personne par exemple. Enfin, si le stress provoqué par le déroulement non-stop des séquences de réflexion sied à merveille au concept du jeu où chacun à une épée de Damoclès sur la tête, elle perd vite de son impact quand vous comprenez que vous pouvez répéter les séquences autant de fois que nécessaire tant que vous ne cliquez pas sur le mauvais mot. A partir de là, le jeu est très facile, il suffit de lire une première fois l'ensemble des intervenants, préparer le bon argument (le jeu vous facilite la tâche en présélectionnant le ou les arguments utilisables) et le déclencher lors du deuxième passage. A part quelques mots au sens un petit peu flous, vous ne vous tromperez que rarement. Malgré ses airs de jeu compliqué avec son pressing dû au déroulement des textes, de l'écran surchargé et de multiples règles qui s'accumulent au fil des procès, le jeu est bien plus facile que les premiers Phoenix Wright, par exemple. Le tout grâce à une multiplication d'aides : arguments triés et pré-sélectionnés, et une réflexion personnelle du héros donnant des indices très faciles (car clairement explicites sur la solution).

Le jeu essaye de se diversifier avec deux autres phases : un argumentaire en tête à tête se résumant à un bête jeu de rythme où il faut présélectionner avec « croix » les arguments adverses apparaissant à l'écran et les éliminer avec triangle. Enfin, un jeu de pendu est disponible pour expliquer certaines preuves. On se demande bien où est la cohérence là dedans et à part tenter de dynamiser un gameplay à la base bien peu complexe, cette phase est particulièrement hors-sujet. Le truc étant que le gameplay essaye de se complexifier volontairement pour éviter le simplisme et, éventuellement, pour agacer et stresser le joueur tel son héros menacé d’exécution. Le jeu est jouable intégralement au tactile sur Vita mais on conseillera le jeu au bouton pour éviter de cliquer n'importe comment. C'est le cumul des boutons à appuyer qui pourra donner au joueur l'impression de règles fouillées mais dès que le pli est pris après le premier procès, le reste est un jeu d'enfant.

La mort mord et la paix pète

A décrire, ni le gameplay, ni le début de Danganronpa fait envie... Le gameplay étant avant tout une remise en forme plus dynamique d'un Phoenix Wright, mettre en opposition deux éléments, une preuve et un propos. Le scénario avec son début à la Battle Royale featuring clichés japanim's ne se vend pas très bien. Pourtant, dialogues fournis obligent, le joueur va se sentir de plus en plus intéressé par l'endroit qui l'entoure, puis petit à petit devenir plus investi dans l'élucidation du mystère de cette école. Le maître des lieux, prenant un malin plaisir à distiller des événements troublants où la question du réel reste en suspens pendant de longues heures de jeu. Petit à petit, le joueur découvre des psychologies plus épaisses que les premiers personnages à être éliminés tel un film d'horreur où les derniers survivants deviennent de plus en plus intéressants et sympathiques. Les développeurs de Spike Chunsoft ont eu l'idée d'ajouter des séquences de jeu « free time ». Le joueur a ainsi quartier libre pour devenir plus proche avec ses camarades, sachant que vous pouvez passer du temps avec deux personnes (parfois la même si vous voulez) à chaque séquence. L'intérêt est double, si vous offrez un cadeau au PNJ, cadeau acheté aléatoirement avec les jetons du jeu engrangés par chapitre bouclé et endroits cachés, et qu'il l'aime, vous gagnez un nouveau skill. Un skill permettra de vous faciliter le travail lors des procès (gagner du temps, par exemple). Si la personne aime le cadeau seulement modérément, vous gagnez un point de skill permettant de cumuler les techniques activées. Ca, c'est pour la carotte ludique qui en réalité ne sert à rien tant le jeu est facile, comme expliqué plus haut. En revanche, ce principe de « free time » permet de recevoir des confessions amicales de camarade. Le joueur devient ainsi confident, plus proche, plus intime et forcement plus empathique des 15 personnages que l'on trouvait pourtant caricaturaux au premier abord. Non seulement, grâce à l'écriture ça reste agréable à lire mais surtout lorsque vient un meurtre, l'état de crispation, de déception, de tristesse en est accru au fur et à mesure que vous vous sentez proche de ces PNJ.

Le scénario du titre est en ce sens finement écrite. Les liens amicaux se tissent sur la longueur, par des gimmicks, par des traits de caractère que l'on peut découvrir avec le temps, par l'échange de réflexions aussi pour se sortir du pétrin, etc. Alors que le sadisme du jeu pousse ces personnages à se méfier des uns des autres et de s’entre-tuer, il pousse paradoxalement dans le sens inverse à faire passer des messages et sensations plus positives, notamment dans la volonté de vivre, de s'entraider, de se faire confiance. Chaque meurtre intervenant quand tout se déroule à peu près bien, la remise en question des uns des autres est relancée chapitre par chapitre, pour finir par solidifier les liens à chaque personne jugé. C'est terriblement vicieux et impacte directement le joueur, malgré le démarrage lent.

Néanmoins, on sera au final déçu par ce tique d'écriture qu'ont les japonais à ruiner un scénario mystérieux et métaphorique par des explications terre à terre aussi invraisemblables qu'ennuyeux. A l'instar de Battle Royale qui était une critique du modèle d'éducation japonais, on sent à chaque heure de l'aventure que Danganronpa veut nous amener à nous questionner sur la pression des jeunes aspirés à devenir l'élite de leur pays, le jeu nous amène aussi à voir comment cette jeunesse sous pression voit le monde qui l'entoure. On ne peut évidement pas spoiler, comme d'habitude, mais le jeu joue beaucoup sur cette contradiction où cette élite scolaire est plongé dans le désespoir, causé par un jeu sadique où seul l'un d'entre eux en ressortira vainqueur... en dépit de toute dignité et valeur humaine. C'est très sombre, très inquiétant tout en mêlant une première lecture écrite comme un thriller à un mystère plus littéral à résoudre. Et quand celui ci se résout dans un laïus stéréotypé, patatras ce sens caché métaphorique que l'on croyait décelé se brise. Néanmoins, ces non-dits, cette frontière mystique où l'on s'empêche d'être rationnel au travers des choix scénaristiques est typique des écritures japonaises. Le récent jeu Catherine se vautrait aussi vers un final terre à terre... Probablement une volonté de ne pas léser une partie du public au détriment de celle qui transpose les thématiques de cette histoire ahurissante à la réalité.

Un jeu de niche total, surfant sur le gameplay de Phoenix Wright en inutilement plus compliqué dans la forme, mais plus facile dans le fond à cause d'un guidage permanent et d'une logique assez cohérente (rien de trop farfelu) tout en s'inspirant de l'univers d'ultra violence de Battle Royale qui ne paye vraiment pas de mine. Son graphisme relativement impersonnel et son rythme de diesel n'aidant pas. Puis, petit à petit les heures défilent et comme on a envie de boucler son roman, on enchaîne les 20 heures se prenant d'affection pour ces personnages angoissés tout en se triturant la tête pour trouver le fin mot de ce sadisme abracadabrantesque. Sans être un grand jeu pour cause de gameplay bancal et de final terre à terre, l'écriture est suffisamment fouillée et suffisamment bien rythmée pour prendre le joueur aux tripes. Le décalage volontaire fond/forme où ce nounours prend plaisir à manipuler ces élèves et les exécuter en fin de chapitre dans une ambiance musicale souvent bon enfant et décomplexé fait froid dans le dos. Une bonne histoire dynamiquement mis en scène.

15

(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj, dans sa rubrique "critiques".