Article paru la semaine dernière. Cette semaine, est publié sur Birganj, la critique de South Park : le bâton de la vérité.

« Castlevania : Lords of Shadow est un titre plein de qualités ludiques, graphiques et sonores. La parfaite recette du jeu vidéo réussi. Mais il manque la goutte de cannelle qui transcende la recette. Pendant 20 heures, vous aurez peut être un sale basculement d'humeur entre le bonheur technique et l'ennui artistique du jeu. Manquant de personnalité, d'identité forte, LoS porte avec lui une licence encore prestigieuse malgré des déboires récents et Mercury Steam s'en affranchit tellement que les fans trop « littérales » s'en sortiront leurrés. En fait, Lords of Shadow n'était même pas censé être un Castlevania lorsqu'il avait été vaguement annoncé via un teaser en 2008. Ceci pouvant expliquer cela. Mais maintenant que le prologue est lancé, on espère que Mercury Steam réutilisera ce gameplay si riche, ce graphisme si magnifique et cette musique si prenante dans un Castlevania II. La confirmation est attendue ! »

Voici comment nous conclûmes notre critique de Castlevania : Lords of Shadow, en 2010. Son absence de personnalité contrastait avec sa qualité technique, mais notre cœur bascula du côté de cette fin tragique des plus impressionnantes. Aujourd'hui, en 2014, Castlevania : Lords of Shadow 2 nous fait regretter cet excès de confiance.

Caméraaaaaaaah !!!

Rentrons dans le vif du sujet. Lords of Shadow est un jeu d'action de type beat'em all tendance God of War. Avec son fouet se jouant en martelant avec « carré » pour les attaques ciblées et « triangle » pour les attaques de zone entraînant de longues et vives lacérations visuelles, des esquives rectilignes, des air combo faciles, des combos faciles tout courts même, répétant ad nauseam le même bouton afin d'être efficace (toute autre combinaison avec L2 ou R2 étant superflue), et des orbes de couleur pour générer santé et magie, difficile de faire plus explicite. Le jeu de Mercury Steam se distinguait légèrement vers la fin avec sa gestion de magies alternant L1 et R1, l'un pour augmenter sa vie, l'autre pour augmenter sa force. Sa suite est identique. A ceci prêt que les magies de lumière (bonus vital) et obscures (bonus force) sont remplacées par une arme différente, épée pour l'une et griffes pour l'autre mais qui se jouent exactement de la même façon. Les bourrinages sont ainsi tempérés par l'utilisation tactique des deux jauges, notamment pour regagner de la vie.

Seulement, si le cœur du gameplay est identique à son prédécesseur, cette suite se voit complètement chamboulée par une petite succession d'ajustements pas des plus judicieuses. La plus ennuyeuse étant l'arrivée de la caméra libre. Fini les plans fixes spectaculaires mais peu malléables à la God of War, voici la caméra à 360° comme la majorité des jeux 3D. Il est quelque peu hypocrite de pointer cette caméra libre comme étant un défaut alors qu'on critiquait récemment encore l'archaïsme de la caméra fixe sur un God of War : Ascension. Sauf qu'ici, cette caméra a tendance à se réajuster toute seule en fonction de l'ennemi qui vous attaque. Cependant, le jeu étant très vive, avec des ennemis ayant une très bonne allonge jusqu'à même avoir des attaques recouvrant trois quarts de la zone d'action, vers la fin, il est nécessaire de pouvoir ajuster ses esquives avec précision (d'autant qu'il est impossible de rectifier ses actions comme un Devil May Cry/Bayonetta). Or, comment ajuster une bonne direction d'esquive quand votre caméra se réajuste sans cesse modifiant sa trajectoire ? La caméra a ainsi un mal fou à suivre l'action et s'ajuste constamment suivant la frénésie des actions ennemies. Le joueur finit petit à petit par employer la vieille technique de raccro à base de sauts pour éviter de se faire prendre (bien que pas toujours efficace). Cette caméra libre ruine ainsi le gameplay plutôt technique du premier épisode empêchant le joueur d'être précis, tout en devant se concentrer sur la caméra. Cette technicité est d'ailleurs remise en cause devant des problèmes d'allonge plus importants des personnages, ainsi que des collisions bien imprécises. Le joueur rageant souvent de manquer l'ennemi d'un centimètre quand ses angles d'attaque amenuise la réussite d'esquive. Le level-design couloirisé où l'on rencontrera des ennemis dans de minuscules recoins que la caméra obturera dos au mur n'aide absolument pas. A parts quelques zones disséminées dans la dizaine d'heures de jeu, vous retrouverez beaucoup d'ennemis dans des niveaux peu adaptés à la baston, renforçant ces défauts de caméra, qui eux mêmes renforceront l'imprécision du gameplay.

S'pèce Draculé

Dans ce Lords of Shadow 2, vous incarnez Dracula himself. Une première dans un Castlevania puisqu'il a toujours été le récurrent boss de fin de la série. Fantasmant à l'idée d'incarner le plus illustre et puissant des vampires, le joueur sera vite refroidi en comprenant qu'il s'agira d'un simple copié-collé de Gabriel Belmont... En moins varié. Le premier jeu bien que classique fourmillait de petites idées comme une attaque de zone avec une croix bénite, des fées protectrices, des cristaux d'invocation. Là Dracula lance des dagues... Joue sans sa croix mais avec un fouet en forme de filet de sang dont l'effet tentaculaire fait plus penser aux superpouvoirs ringards de Prototype dont les mouvements sont identiques à son homologue humain. Peut-il voler ? Non il conserve le même double saut. Peut-il se transformer ? Oui, en brume... pour passer une seule forme de grille spécifiquement conçue comme élément de level-design progressif. Le puissant Dracula se joue donc comme Gabriel mais avec des techniques moins variées, le fait de changer d'arme en lieu et place de la magie ne modifie pas le gameplay et les variantes instaurées sur le premier épisode. De plus, leur impact est moindre, si ce n'est pour là encore servir de feature dans des level-design balisés (l'épée de glace pour geler des cascades, l'explosif pour libérer les passages, ciblés d'un lock au préalable). La seule chose étant, en tant que vampire, Dracula peut achever ses ennemis en leur suçant le sang, remplissant sa jauge de vie. Un artifice masquant les finish moves classiques en appuyant sur « rond » utilisant le même élément de gameplay des Legacy of Kain. Ce gain de sang pallie par la même occasion la tonne d'esquives manquées due aux problèmes de caméra, relevés plus tôt.

Par un procédé scénaristique classique, Dracula doit récupérer ses pouvoirs petit à petit, où le joueur devra donc re-compléter sa grille de compétences achetés avec des points glanés à chaque combat. Rien de bien neuf. La frustration provenant d'une absence totale de remise en question du gameplay, passant pourtant d'un humain avec un fouet à un vampire théoriquement surpuissant... Du coup, outre l'absence de nouveautés tant recherchées à chaque nouvelle production, c'est clairement l'absence d'impact et de puissance (puisque c'est le même modèle, les mêmes animations, la même physique, bien entendu) et cette sensation écœurant de rejouer au même jeu avec le même personnage, quatre ans plus tard. Alors que la base était propice pour un ambitieux et justifié renouvellement de gameplay célébrant l'utilisation du traditionnel boss de la série.

DA négatif

La direction artistique de Castlevania : Lords of Shadow était des plus contrastées. D'une qualité technique extraordinaire (grâce aux plans fixes) et de jolis tableaux, il était tout de même pris en flagrant délit d'inspiration incohérente de tous un tas d'univers différents (Labyrinthe de Pan, un peu de Silent Hill, du Seigneur des Anneaux). Malheureusement, après avoir épuisé leurs ressources culturelles, Mercury Steam se retrouve dos au mur où il va falloir innover. C'est le drame.

Contrairement au premier épisode ultra linéaire, enchaînant niveau par niveau, il y a ici deux hubs géants où le joueur sera (en théorie) libre de se mouvoir. Cette liberté étant en pratique illusoire puisque vous suivrez malgré tout un tracé balisé pour suivre l'histoire. Le reste des écarts ne servant qu'à boucler les 100 % (illustrations, déblocage de vie, magies, défis annexes) dont la totalité ne sera possible que lorsque tous les pouvoirs seront débloqués (double saut et brume notamment). Ces deux hubs sont les suivants : une ville contemporaine qui tente de s'inspirer du château de Castlevania dans son architecture surélevée et d'inspiration religieuse mais hélas terriblement gris, sombre, dont les pavés sont bordurés de cadavres de voitures et quelques corps inanimés fugacement ici ou là. Certains décors intérieurs de dalles luisantes essayent de rendre aguichant l'ensemble mais au final il ne s'agit qu'une ville tombée dans le chaos vu mille fois dont les différences entre les quatre quartiers sont pratiquement inexistantes. Le deuxième hub étant le Castelvania lui même... Mais en ruines. Au revoir le gris, bonjour le marron. Loin des tapisseries et vitraux de luxe des épisodes 2D, tout n'est que blocs de roches brisés, quelques tapis et chandeliers pour décorer et mécanismes anachroniques. La direction artistique est beaucoup plus terne même si de vagues tentatives inspirées sont de retour, comme une partie enneigé ou un décors chinois dont on aura que faire de la cohérence. C'est une énorme déception sur ce point et confirme malheureusement les critiques du premier épisode à base d'absence d'originalité et de cohérence. La caméra libre, obligeant à modéliser les villes intégralement empêche aussi de libérer un maximum d'effets graphiques donnant l’impression d'une régression technique. Le jeu reste propre néanmoins malgré l'abus de textures très basse résolution. La version PC rattrape ce détail par une meilleure luminosité, de qualité d'ombre et d'effets de mapping.

Le premier épisode se concluait de manière bouleversante, remettant en question les règles traditionnelles du héros sauvant sa demoiselle en détresse, ce qui annihilait les mauvaises impressions d'impersonnalité durant la majorité de l'aventure. Le deuxième épisode est un cliché ambulant fade et ennuyeux à mourir. Dracula est ici un gentil toutou plein de remords mais légèrement badass quand même pour éviter la comparaison peu flatteuse avec un Dante ou un Kain. Peine perdue. Ce Dracula est faible, inintéressant et ne fait que suivre son ancien ami-ennemi bêtement sans se poser de questions dans un monde moderne sans âme. Histoire d'essayer de lui donner un cœur (v'là aut' chose), le héros se perd dans les méandres de sa conscience qui se matérialise par son château en ruines. Dracula rêve d'être un bon père et suivra tout aussi bêtement Trevor, son fils, dans les dédales du château. Histoire de casser toute réputation de ce personnage vidéoludique, littéraire et cinématographique, Dracula aime se transformer en rat dans des phases d'infiltration se classant dans le top 3 des plus mauvaises de ces dernières années. Toujours dans l'optique d'un level-design balisé, le héros d'un clic se transformera en rat sur les zones obligatoires pour se faufiler d'un point A à B, rarement plus long que 10 mètres, pour de temps à autre posséder un ennemi et enchaîner les checkpoints. Le reste du temps, Dracula marche accroupi comme un Sam Fischer souffrant d'arthrose... Très embarrassant. Non seulement assez pathétique compte tenu du personnage, ces scènes sont soit courtes et dénués d'intérêt (puisque se résumant à une ou deux actions scriptées), soit totalement injouables à cause de level-design mal foutu (notamment contre plusieurs boss – oui, oui des boss que l'on fuit entre deux parallélépipèdes), toujours dû à cette mauvaise caméra et d'imprécision, notamment. Si on ajoute une scène de plate-forme qui met en exergue un lock qui ne se gère pas par le joueur mais par l’intermédiaire de la caméra (autrement dit, le lock est automatiquement géré par la position de la caméra), on comprend que le peu d'idées novatrices de Mercury Steam est un échec total prouvant que le premier épisode était un heureux accident. Ou du moins une bonne refonte de God of War et autres références artistiques. On comprend aussi que le système de baston repris du jeu de Sony ne fonctionne pas avec une caméra libre et qu'en cas de caméra libre, un lock n'est pas de refus... Ou alors conserver la caméra libre pour l'exploration, pas pour le beat'em all.

Sans gland

Enfin, la grosse déception provient du scénario indigeste, simplet pourvu d'une psychologie de bazar ne provoquant aucun émoi chez le joueur à cause d'une absence totale de montée en puissance et d'évolution. Jouer à Lords of Shadow 1, puis 2 a le même intérêt que de regarder le début et la fin d'un film sans le développement. Et comme Mirror of Fate, épisode 3DS, upscalé sur PS3 et 360, s'apparente plus à une parenthèse... Dracula est ici dépeint comme un simple gentil ayant de remords, toute la dramaturgie mis en place dans le premier épisode est balayé par quelques scènes d'introspection du héros sans aucune force, et d'une recrudescence à lui faire vivre un copié-collé de ses premières aventures. Tel le schéma d'une suite de film des années 80's répétant les mêmes gags, on retrouve globalement les mêmes boss ou le cas échéant une combine mettant en scène le frère de l'ancien boss... Apparemment, la définition du mot "originalité" n'est pas la même chez les espagnols de Mercury Steam que partout ailleurs. Ajoutons à cela des re-design ridicules (on ne sait plus si on voit Alucard ou Raiden de Metal Gear Solid), le personnage de Marie qui a changé... Satan devient une grosse baraque, le garçon a dû s’entraîner à la Rocky pendant des siècles pour passer de l'homme fluet au mètre cube tel que l'on voit là. Enfin, la musique est plus difficilement qualifiable aussi. La faute a une absence de soutien sur des scènes fortes. Manque d'empathie, manque d'ambiance, manque de tension, manque total d'écriture, à vrai dire. Si on les ré-écoute sans image après jeu, on se rend compte que la bande son reste de bonne qualité, bien orchestré, souvent douce. Moins épique néanmoins que le premier épisode (logique, au vu du contexte scénaristique) mais pas franchement ténébreux, ou de réelle personnalité pour autant... A l'image de son gameplay, de design graphique et de son scénario.

Castlevania : Lords of Shadow 2 est une déception à tout niveau. On y a tellement cru à cette réécriture de la légende de Dracula suite à cette fin poignante de Gabriel Belmont... Il n'en reste qu'une copie ludique du précédent épisode où chaque minuscule nouveauté (caméra libre, infiltration) ruine le gameplay rôdé... Épuisant toute inspiration après un riche premier épisode, cette fin de la série (Mercury Steam a annoncé que c'était le dernier chez eux) est fade, sans créativité délaissant tout le potentiel de jouer le boss aux oubliettes dans deux mondes ternes vus milles fois. Un échec total après un premier épisode surprenant. Artistiquement, le personnage tourmenté de Dracula est effleuré, voir même ridiculisé au vu du gameplay à échelle humaine et de sa naïveté de jeune premier maquillé par une astuce de scénario digne d'un cliché de RPG des années 90... Mention à cette fin aussi insignifiante que raté achevant le joueur d'un cruel mais juste retour sur Terre.

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(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj, en Une ou dans la rubrique "Critiques".