Rabaissé et sous-estimé avant même sa sortie, avant même d'avoir eu la chance de convaincre, PlayStation All-Stars : Battle Royale n'a pas connu le succès escompté à sa sortie.

Difficile de se faire une place dans un genre que la majorité des joueurs et spécialistes assimilent au populaire Smash-Bros de Nintendo. À peine annoncé, le brawler de Sony fut immédiatement qualifié de "clône", puis progressivement bashé à mesure que le casting de personnages se dévoilait au grand jour : Crash, Spyro, Cloud, Lara Croft... des personnages cultes qui seraient en effet aux abonnés absents. 

De bonnes raisons de renier ce jeu, n'est-ce pas ? Et bien pas tellement, non. À vrai dire, j'ai acheté le jeu dès sa sortie, enthousiasmé par la présence de personnages populaires ayant marqué mon enfance et continuant de jalonner mon parcours de joueur adulte; et aujourd'hui, je viens rendre hommage au jeu de combat malheureusement et injustement sous-estimé qu'est PlayStation All-Stars.

Le conditionnement de la pensée avec un grand N

Smash Bros. Ce nom résonne dans le coeur de nombre de joueurs, et à juste titre. Un mélange détonnant des univers, et pourtant étonnament cohérent du fait du cachet esthétique Nintendo. Des joutes endiablées aux commandes de personnages d'ores et déjà devenus cultes. La recette, bien que déjà éprouvée auparavant - non, Smash Bros n'est pas le premier jeu du genre -  fonctionne à merveille et s'installe dès lors une franchise qui connaîtra un succès grandissant, comptant à ce jour trois opus.

Avec plus de 10 ans de personnages plus ou moins populaires, il était donc tout à fait concevable et logique pour Sony de proposer sa propre version du genre brawler. Car, qu'on se le dise, de nombreux joueurs tels que moi-même ont grandi avec l'univers PlayStation, aux yeux desquels Spyro, Ratchet, Jak et Sly, pour ne citer qu'eux, ont bien plus de valeur et de charisme que Link ou Mario. Au risque de fâcher certains lecteurs, je dois admettre que j'ai toujours perçu Link comme un personnage relativement vide, dénué de personnalité. Tout comme je n'ai jamais compris ce que ce cher plombier en salopette bleue avait de si charismatique.
Ces deux personnages ont beau avoir révolutionné leur petit monde et proposé des expériences fabuleuses, il n'empêche qu'à mes yeux Ratchet, Sly et Jak apparaissent comme des personnages bien plus travaillés et donc plus intéressants.  Tous deux jouissent d'univers particulièrement vastes et dont la mythologie s'avère plus complexe qu'il n'y paraît.

Pourquoi donc ce reni des figures emblématiques PlayStation, sous prétexte de l'ancienneté des personnages de la sphère Big N ? Est-il donc si difficile pour certains joueurs et journalistes de ne serait-ce que concevoir l'importance et la valeur de ces personnages, à l'échelle du public qu'ils ont fait rêver ?
Ce dédain érigé en tant que prétendu point de vue objectif et universel, selon lequel le casting Nintendo rime forcément davantage avec charisme et iconisme, m'exaspère. Profondément. 

Un manque réel d'ouverture d'esprit dont a souffert et continue de souffrir PS All-Stars. Pourtant, ses qualités auraient de quoi plaire au plus grand nombre, car en plus d'offrir une vision unique du jeu de combat à 4, il met à disposition du joueur un gameplay à la fois plus riche et tactique que celui d'un Smash Bros. 

Dédain et reconnaissance

À la génèse de ce projet, un nouveau studio fondé par des vétérans du jeu de combat et financé en partie par Sony. SuperBot Entertainment voit alors le jour, constitué de designers réputés, ayant oeuvré sur Street Fighter pour certains, tel que Seth killian, sur Marvel Vs Capcom pour d'autres. 

Présenté et dévoilé lors de l'E3 2012, il connaît rapidement la valse des préjugés et critiques infondées. Néanmoins, peu à peu, sa réputation grandit au sein de la communauté des combattants vidéoludiques; le jeu rejoint officiellement le plus grand évènement mondial et annuel du jeu de combat, le prestigieux tournoi EVO. Les playtests auprès de joueurs professionnels de Smash Bros confirment le potentiel du titre.

Le jeu bénéficiera par la suite d'un marketing relativement correct bien que probablement insuffisant. Je me rappelle toutefois de la quantité impressionnante d'affiches et stickers géants affichés lors de la Paris Games Week.

Enfin, cette année, consécration majeure avec le D.I.C.E award du meilleur jeu de combat. Joie !

Une vision unique et fun du brawler

Me laisserez-vous donc une chance de vous convaincre, et de vous prouver en quoi cette reconnaissance est méritée ? Allez, vous verrez, ce n'est pas douloureux. Promis !

Des arènes en mouvement. 4 personnages plus ou moins hauts en couleurs qui se bastonnent joyeusement. Des power-up à ramasser. Une cinématique d'introduction mémorable.
Ne cherchez pas plus loin, les comparaisons avec Smash Bros s'arrêtent ici.

En quoi donc PS All-Stars se différencie t-il donc de son modèle ? Une parenté qu'il ne conteste pas mais dont il s'inspire au contraire pour forger son identité.
Les éjections hors-stage et les jauges de pourcentage disparaissent pour laisser place à un concept qui tient davantage du shoot them up, aussi étonnant que cela puisse paraître. Il ne s'agit non pas de propulser ses adversaires, mais littéralement de les annihiler. Chaque "frag" comptant pour un point, le joueur le plus meurtrier remporte la partie.

L'intégralité de ce concept repose sur la jauge d'AP. Qu'est-ce que l'AP ? L'énergie des combattants, obtenue en effectuant des combos. Plus le coup est puissant, plus l'enchaînement de coups est long, et plus la quantité d'AP générée sera forte. Cette jauge va grimper et franchir jusqu'à 3 niveaux. Ces niveaux correspondent chacun à une attaque fatale, qui va permettre d'achever l'ennemi.

Le niveau 1 sera généralement limité à une attaque de courte-portée, tandis que le niveau 2 offrira un champ d'action plus large. Le niveau 3, quant à lui, s'exprime différemment selon les personnages, sous la forme d'un berserk limité dans le temps ou d'une courte cinématique suivie de l'annihilation directe des adversaires.

Un principe simple qui, une fois assimilé, dévoile une tacticité et un niveau de stratégie inattendus. 

Divers modes permettent de varier les conditions de victoire : matchs à durée impartie, matchs à limite de frags ou matchs à limite de vies. Des règles qui impactent la façon de jouer. En matchs classés, qui sont à durée impartie, les attaques de niveau 1 seront par exemple plus fréquentes, tandis que dans des matchs à limite de frags ou de vies les joueurs préfèreront prendre le temps de monter leur jauge aux niveaux supérieurs.

Le gameplay bénéficie de trois touches de combat, une touche de saut/double-saut, une touche de parade/esquive, une touche servant à ramasser les power-ups, une touche de provocation et enfin, la touche déclenchant les attaques fatales. Le joystick droit permet pour sa part d'effectuer trois animations uniques de "chopes" selon son orientation.
Selon la direction du joystick gauche ou la fèche directionnelle utilisée, chacune des trois touches de combat générera un coup différent. 

Somme toute, cela offre un panel d'une douzaine de coups et prises uniques par personnage, avec toutefois quelques variations dans le cas de certaines All-Stars.
Sackboy, par exemple, est paré d'un gameplay assez particulier davantage axé sur la défense et la farce que l'attaque pure.
Toro, la petite mascotte féline de Sony Japon il fut une époque, est capable de revêtir divers costumes qui offrent chacun des coups différents; son panel de coups est donc décuplé.
Ratchet tire parti d'un arsenal varié, Parappa dispose d'un gameplay vertical inédit, Heihachi privilégie le corps-à-corps, Sly se veut plus furtif et aérien, etc... 

Cette grande diversité au sein du casting est un autre point fort du jeu, chaque personnage offrant une expérience de jeu totalement différente, avec son propre gameplay et sa propre inertie. Chaque joueur y trouvera son compte, et au moins un combattant phare correspondant à son style de jeu.
À noter que chaque personnage dispose de sa propre jauge d'évolution, le niveau 999 étant le niveau maximum, et que des ceintures de couleur elles même jaugées par chiffres indiquent votre classement en ligne. Un système de progression classique mais bienvenu.

Une qualité qui en rejoint une autre, plus générale, à savoir la diversité des univers représentés. Cette dernière s'exprime pleinement au travers des arènes, au nombre de 15 (+ arènes VR) à l'heure où j'écris cet article.
Chaque arène mixe avec intelligence, et souvent humour, deux univers totalement opposés. God Of War et Patapon ? Mais parfaitement monsieur, madame ! Voir Hadès se prendre une fessée par ces charmants petit personnages noir & blanc a de quoi vous extraire un sourire, tout comme ce Loccoroco géant qui aplatit le Metal Gear Ray de MG Rising : Revengeance.
Certains stages s'avèrent particulièrement spectaculaires, se métamorphosant de manière radicale, et bouleversant la manière d'appréhender les joutes. 

Dans l'ensemble, nous avons droit à des arènes ultra dynamiques, superbement animées et mises en valeur aussi bien par le visuel que la bande-son, qui là aussi croise et remixe avec brio des styles musicaux radicalement dissemblables.

Certains se braqueront en pestant contre le manque d'homogénéité esthétique, mais ce serait passer à côté de toute la philosophie de ce jeu : plus qu'aucun autre jeu, PS All-Stars s'affirme à 100% en tant que brawler, et mixe les genres et les univers de façon totalement assumée. Un constat qui sert aussi bien le plaisir de jeu à proprement parler que le fanservice, se montrant parfois excentrique, parfois drôle, parfois épique. Constamment jubilatoire.

Des absences regrettables mais pas impardonnables

Je ne le cache pas, moi-même j'adorerais voir Lara Croft, Spyro et Crash (du moins, leur design PS1), Raziel,  Amaterasu (Okami), et toute la clique de personnages cultes qui ont fait les plus beaux jours de l'ère PS1 et PS2. Toutefois, il serait bon que certaines personnes réalisent la difficulté pour les développeurs à regrouper tout ce beau monde. Non, acheter et exploiter diverses licences tierces ne coule pas de source.

Eidos a par exemple refusé que Lara Croft rejoigne le casting, sous prétexte que les joueurs devraient découvrir la nouvelle Lara dans le prochain Tomb Raider, et nulle part ailleurs. À l'inverse, Irrationnal et Take Two n'ont vu aucun souci à ce qu'un décor tout droit sorti de Bioshock Infinite figure parmi les arènes du jeu.
Activision est resté en pourparler avec SuperBot des mois durant, sans que l'on sache si un jour ou non nous pourrons voir Crash et/ou Spyro maltraiter Kratos.

Des complications dues à un processus juridique interminable, l'obtention des droits de licence étant apparemment un cauchemar absolu, mais également à la bonne volonté du développeur concerné par ces requêtes; il n'en va pas seulement de l'éditeur. Nous savons ainsi que Fumito Ueda a expressément dit non quant à la possible intégration d'Ico ou Wanda.
Regretter l'absence de ces personnages est compréhensible, la reprocher directement à Sony ou SuperBot est tout simplement déplacé, hors de contexte.
Lamentable, en fin de compte, que certains individus se permettent de cracher ouvertement sur le jeu sans même chercher à comprendre le pourquoi du comment et à en percevoir ses qualités évidentes.

Ce qui est en revanche reprochable à PS All-Stars tient davantage, dans un premier temps, au contenu à débloquer, sympathique mais pas aussi conséquent qu'on le souhaiterait. Pouvoir obtenir de nouvelles intros, outros, musiques, provocations et apparences pour chacun des personnages disponibles est très appréciable;  des avatars, backgrounds et titres de prestige complètent la liste d'unlockables. 
Néanmoins, parvenir au niveau 200 d'un personnage et constater que la récompense ultime n'est autre qu'un simple avatar a forcément de quoi décevoir...

Autre reproche que je ferais au bébé de SuperBot : sa présentation graphique. Il est sympathique d'avoir un menu dont le thème, illustrant un personnage, varie à chaque fois qu'on lance le jeu. L'interface, de son côté, est simple d'accès et rapide. En revanche, il est regrettable que la présentation visuelle des menus ne soit pas davantage soignée, paraissant carrément "cheap" par moments. Un aspect mineur bien entendu, mais qui se doit d'être relevé.

Enfin, mon troisième et dernier reproche concerne l'équilibrage des personnages. Un problème largement récurrent dans les productions de ce genre et qui n'épargne pas PS All-Stars. Sans être pour autant dramatique, ce défaut a de quoi frustrer et rebuter les joueurs souhaitant compétir en ligne. En effet, Nathan Drake, Kratos et Raiden scouattent fréquemment les parties classées, essentiellement du fait de leur attaque de niveau 1 particulièrement redoutable. Un atout que l'on aura tendance à trouver mal dosé, pour ne pas dire "cheaté", et qui offre un avantage réel dans des parties dont la durée est de trois petites minutes.

En conclusion

PlayStation All-Stars est imparfait, parfois même maladroit dans son approche du genre, il n'en reste pas moins un titre au concept unique et réellement différent de ses concurrents. Une vision divergente à laquelle on peut ne pas adhérer, mais qui impose des qualités indéniables et un fun d'une rare intensité entre amis.

En somme, une identité que la plupart des medias auront su lui reconnaître, après lui avoir hâtivement adossé l'étiquette de clône sans ambition, ce que certains joueurs font encore, sans en connaître son potentiel désormais reconnu des puristes et tournois professionnels.

Il demeure quoiqu'il en soit un challenger solide, paré de modes de jeu variés et bien pensés; dont un mode online qui fonctionne à merveille (si tant est que l'hôte ait une connexion correcte), ce dont aucun autre brawler ne peut franchement se vanter. 

Mal-aimé et peu confiant, il demande à celui qui s'y essaie un minimum d'ouverture et de patience pour en assimiler toute l'aura. Une fois ce temps d'adaptation passé, il y a de fortes chances que vous soyez surpris de découvrir un jeu de combat qui a su trouver un équilibre rarement atteint, entre accessibilité et complexité, tacticité et technicité, fun et challenge.