Avertissement d'usage : ce post de blog est mon analyse du film Sucker Punch, qu'il décortique en profondeur, révélant l'intégralité de son scénario et le spoilant donc en intégralité. Si vous ne l'avez pas vu, vous voilà prévenus.

 

Compte tenu de la longueur des explications à venir, il est probable que peu de monde ait le courage de lire mon analyse. Mais après tout, un blog, c'est aussi un défouloir. Si on écrivait uniquement pour être lu, ça se saurait, non ? :D

Je coupe donc mon exposé en deux parties. La première se concentre sur le premier sentiment qu'on peut avoir après avoir Sucker Punch. La seconde traitera de ce qu'on peut y voir en y regardant de plus près. Et évidemment, ça devient beaucoup plus intéressant...

 

Le pitch :

Le film s'ouvre sur le drame (remarquablement mis en scène) vécu par Babydoll, qui subit le même soir la mort de sa mère, et tue accidentellement sa petite sœur en voulant la protéger d'un beau-père abusant d'elle(s). Enfermée dans un asile pour jeunes filles ayant lâché la rampe, elle doit subir une lobotomie dans 5 jours. Elle prépare cependant un plan pour s'évader, tout en s'inventant un monde onirique dans lequel elle est quasi immortelle. Quatre comparse se joignent à elles dans sa tentative d'évasion...

 

 

Sucker Punch, c'est un film de Zack Snyder. Et perso, j'aime bien le bonhomme, pourtant assez mal vu en règle générale. Oui, il ne sait pas faire autre chose que des (très) ralentis/accélérés sur de la musique pop remixée. Mais il a également livré une adaptation sans concession du réputé inadaptable Watchmen.

Sucker Punch, c'est son bébé. Il en a (co)écrit le scénar', sur la base d'une de ses nouvelles. La critique, majoritairement négative, n'y a vu qu'un navet un peu niais, suivant les péripéties de cinq jeunes filles en jupes courtes pour faire baver le geek de base, évoluant dans un univers plus proche du jeu vidéo que du cinéma (merci au passage pour le sous-entendu sur le jeu vidéo par rapport au cinéma...). Bref, pour beaucoup une coquille vide. Et comment leur en vouloir ? A la première approche, on ne peut en effet qu'être rebuté par cette surenchère constante d'images se rapprochant plus du clip que d'un véritable film. L'histoire elle-même semble d'abord n'être qu'une machine tournant à vide. 

 

Le déroulé de l'histoire :

Voici ce que voient la majorité des gens : Babydoll est donc internée après avoir sur son beau-père, alors que celui-ci tentait de viol(ent)er sa petit soeur le soir du décès de sa mère. Le beau-père la fait alors interner, et paye un infirmier véreux pour qu'il fasse pratiquer sur elle une lobotomie, qui la mettra dans un état végétatif, l'empêchant de raconter la réalité sordide de qu'il leur a visiblement infligé avant le drame.

Le déroulé de l'histoire et sa mise en scène est très important :

1. Le film s'ouvre sur une jeune fille de dos, sur un lit, tremblante. Une voix off raconte que nous avons tous un ange gardien. On ne voit son visage qu'assez tard, lorsque la caméra arrive près d'elle. C'est Babydoll.

Il s'agit de la nuit où Babydoll tue accidentellement sa soeur. Tout ce passage, jusqu'à son arrivée à l'asile est en fait un clip sans parole, sur la fameuse chanson (remixée) d'Eurythmics « Sweat dreams ». On suit Babydoll, encadrée par l'infirmier et son beau-père jusqu'à la pièce appelée le Théâtre. Là, Babydoll voit sur la scène Sweet Pea, une jeune fille qui est en train de faire un exercice avec le Docteur Gorski. Le regard des deux jeunes filles se croise. Sweet Pea subit un exercice visiblement difficile de mise en scène de son traumatisme. Elle est assise sur un lit. Le Docteur Gorski essaye de la rassurer en lui expliquant qu'elle maîtrise totalement le monde qu'elle se crée. Pendant ce temps, Babydoll entend la conversation entre l'infirmier et son beau-père, qui révèle que sa lobotomie est prévue dans 5 jours, l'infirmier imitant la signature du Docteur Gorski contre monnaie.

  Babydoll, suivie par son criminel de beau-père, fait son entrée dans l'asile.

 

-        2. Pour la 1ère fois, le film on bascule dans un monde imaginaire, une première couche de rêve : Babydoll imagine alors que qu'elle n'est pas dans un asile, mais un cabaret. Les filles ne sont pas des folles internées, mais des danseuses qui travaillent sous la direction d'une ancienne danseuse (le Docteur Gorski), sous la direction d'un trafiquant tyrannique appelé Blue (l'infirmier). Dans ce monde, les filles ne sont cependant pas libres, et on comprend rapidement qu'elles sont prostituées aux clients du cabaret après les spectacles sensuels qu'elles livrent sur scène.

Il est très important de noter la façon dont le film nous fait entrer dans ce premier monde fantasmé : Babydoll imagine sa lobotomie. Au moment où le Chirurgien va planter le poinçon dans son œil, elle refuse. La scène s'arrête, et on s'aperçois que tout n'est qu'un spectacle : Babydoll est interprétée par Sweet Pea et les autres participants sont des internées/danseuses : Amber joue le chirurgien, Blondie et Rockett les infirmières qui la tenaient pendant la lobotomie. Sweet Pea s'insurge sur la mise en scène d'une lobotomie, et demande au Docteur Gorski/la meneuse de revue de lui donner un autre rôle, plus à sa hauteur. Elle lui rappelle (et c'est très important) que c'est elle la star du show.

Que je sois bien clair : le passage d'un monde à l'autre se fait au moment où Babydoll va recevoir le poinçon dans l'œil. A cet instant précis, elle est remplacée par Sweet Pea, et on n'est plus dans un hôpital mais dans un cabaret.

Dans ce monde-là, Babydoll ne va plus subir une lobotomie dans 5 jours, mais recevoir le « High Roller », un client auquel on comprend qu'elle va devoir donner sa virginité.

Pour la plupart des gens, ce « monde cabaret » est donc la réalité dans laquelle Babyboll se réfugie pour fuir celle dans laquelle elle est internée et va subir une opération irréversible.

Le Docteur Gorski devenue meneuse de revue dans le "monde cabaret" et l'infirmier véreux devenue Blue de le truand des années 60.

 

3. A partir de ce basculement dans le « monde cabaret », Babydoll va tenter de s'évader. Les autres danseuses vont s'allier à elle. Il s'agit de Sweet Pea donc, la danseuse principale, la « star du show », sa petite sœur Rocket, Amber et Blondie (ces deux dernières étant beaucoup plus en retrait que les autres, j'y reviendrai, ça a son importance).

On apprend que Sweet Pea a suivie sa petite sœur, qui a fugué à la suite d'une grave dispute avec ses parents. Depuis, elle veille sur elle. Amber est pleine de courage, un peu tête brûlée, alors que Blondie est d'une franchise parfois désarmante.

Par ailleurs, on comprend que lorsque Babydoll danse, elle exerce un pouvoir d'attraction tel sur son auditoire qu'il en perd tout sens de la réalité ou du temps. Les jeunes filles décident donc de profiter de cette perte de repère pour voler les objets dont elles ont besoin pour s'évader pendant chacune des danses de Babydoll.

Le spectateur comprend bien que le « monde cabaret » n'existe pas. Il n'est qu'un reflet de la « réalité asile ». Or, lors de son arrivée à l'asile, avant que le « monde cabaret » ne commence, Babydoll a repéré plusieurs choses : le plan de l'asile affiché dans un bureau, un panneau indiquant que les portes automatiques s'ouvriront en cas d'incendie et le briquet du gardien, le couteau possédé par le cuisinier, le passe-partout pendant au cou de l'infirmier véreux.

Pour s'évader, les filles auront besoin de ces quatre éléments (on comprend les références au jeu vidéo, dans lequel il est souvent question de récupérer des objets pour mener à bien une mission). En fait, nous ne verrons jamais ce qui se passe dans la « réalité asile ». Dans le « monde cabaret », les filles vont profiter des danses de Babydoll pour, chacune à leur tour, récupérer un objet : la carte, le feu, le couteau et la clé.

 

4.  Chacune des quatre missions donne lieu à une deuxième couche de fantasme : Babydoll danse, le public perd le sens des réalités. La caméra s'approche de Babydoll qui ferme les yeux. Lorsqu'elle les réouvre, elle est dans un « niveau ». Il y a le niveau samouraï, le niveau Héroic Fantasy avec son dragon et ses orques et le niveau SF avec ses robots.

Les filles en mode badass dans le "monde mission".

 

Dans ce monde, que j'appellerai le « monde mission », les filles sont armées jusqu'aux dents et invincibles. Cela donne lieu aux scènes badass du film. Quand Babydoll finit sa danse, on revient dans le « monde cabaret ».

A noter, dans le « monde mission », chaque scène démarre par un briefing donné par un homme (appelé le Sage). Lors de la première mission, ce dernier dit à Babydoll qu'elle devra trouver quatre objets puis enfin résoudre une énigme impliquant un grand sacrifice, afin de recouvrer la liberté.

Le Sage qui n'apparaît que dans les "mondes missions", qui brieffe Babydoll avant chaque "niveau".

 

5. Lors de la troisième mission, les choses se passent mal. Il s'agit de voler le couteau du cuisinier. On ignore ce qui se passe dans le « monde asile », donc la réalité. Dans le monde cabaret, Babydoll fait une danse privée au cuisinier. Pendant ce temps, Sweet Pea, Racket et Amber sont censées voler son couteau. Dans le « monde mission », qui illustre donc cette scène, les filles sont dans un train fou et doivent désamorcer une bombe avant qu'il atteigne une fille futuriste en bout de ligne. Cependant, dans le « monde asile », un filet d'eau que les filles n'ont pas vu se dirige vers le fil dénudé de la radio qui permet à Babydoll de danser. S'il l'atteint, la musique s'arrête et le cuisinier reprend ses esprits. Dans le « monde mission », la bombe est défendue par des robots particulièrement coriaces et un compte à rebours avant l'explosion. L'eau atteint le fil dans le « monde asile ». Le cuisinier se réveille, constate que Rocket essaye de lui prendre son couteau. Il plonge sur elle et la poignarde. Elle meurt dans les bras de Sweet Pea. Dans le « monde mission », elle meurt donc également, Sweet Pea devant l'abandonner dans le train qui finit par exploser.

Les filles ont cependant réussi à prendre le couteau. Sweet Pea, qui est hystérique en raison de la mort de sa petite sœur est enfermée dans une remise qui sert de mitard. Blue indique que le soir même, Babydoll doit rencontrer son plus gros client, le High Roller à qui elle va se donner (elle sera donc lobotomisée dans le monde réel). Mais juste avant que le spectacle ne commence, Blue réunit les danseuses en coulisse et leur indique que Blondie lui a révélé le pot-aux-roses et donc le plan d'évasion. Il abat froidement Amber et Blondie, et alors qu'il se retrouve seul avec Babydoll, il essaye de la violer. Elle arrive à atteindre le couteau caché du cuisinier et poignarde Blue et lui vole sa clef.

Rocket, Sweet Pea et Blondie, en version "monde cabaret".

 

6. Démarre alors la mise en pratique de l'évasion. Il ne reste plus que Babydoll et Sweet Pea, qu'elle libère du mitard. Tout se déroule dans le « monde cabaret ». Les jeunes filles déclenchent un incendie qui ouvre les portes électriques. Grâce au passe, elles atteignent la sortie. Mais elles se heurtent à un dernier obstacle : des hommes de main se dressent entre elles et le portail de l'asile. Babydoll se souvient alors de sa première rencontre avec le Sage et le fait qu'elle devra faire un grand sacrifice pour résoudre la dernière énigme. Elle comprend qu'elle doit se sacrifier pour que Sweet Pea puisse s'échapper. Elle dit donc à Sweet Pea qu'elle est en réalité le personnage principal, qu'elle doit réussir, sinon le sacrifice de tous les autres aura été vain. Qu'elle doit retrouver sa mère pour lui rapporter les derniers mots de Racket (« Dis à Maman que je l'aime », super original :D).

Babydoll s'élance donc vers les gardes et attire leur attention. Sweet Pea parvient à s'échapper. Babydoll reçoit un coup qui l'assomme.

 

Le chirurgien et le Docteur Gorski, dans le "monde asile", au moment de la lobotomie de Babydoll.

 

7. Dernier acte : dans la version courte, le coup que reçoit Babydoll au visage correspond à celui donné par le chirurgien pour pratiquer la lobotomie (le fameux sucker punch en anglais). Dans la version longue, il y a une scène supplémentaire importante sur laquelle je reviendrai.

Quoi qu'il en soit, on revient donc dans le réel, le « monde asile » et à partir de ce moment, on ne voit plus Babydoll que de dos (on imagine que son visage a été abîmé par le poinçon qui entre sous l'œil lors de la lobotomie). Elle est sans réaction, ramenée à sa chambre par des infirmiers, dont l'infirmier/Blue visiblement amoché. Le chirurgien est surpris par le regard de sa patiente au moment où il a pratiqué l'opération, comme si elle avait été d'accord, libérée, le priant de le faire. Il s'en ouvre au Docteur Gorski, en lui indiquant qu'il a des réserves sur les lobotomies qu'on lui demande régulièrement de pratiquer. Le Docteur Gorski découvre avec horreur que l'infirmier (Blue dans le « monde cabaret ») a imité à plusieurs reprises sa signature. Elle essaye donc de le rattraper. Celui-ci a fait enfermer Babydoll dans une cellule, et il l'embrasse alors qu'elle reste sans réaction (on ne voit toujours pas son visage). Il est blessé à l'endroit où Blue a été poignardé, et il hurle qu'elle n'a pas le droit de partir tant qu'il ne l'a pas décidé. La porte est défoncée par des policiers qui l'arrêtent. La caméra revient sur Babydoll, dont on découvre enfin le visage. Il est intact.

Le Docteur Gorski raconte au policier qu'elle leur a donné beaucoup de mal, qu'elle a déclenché un incendie et blessé un infirmier.

 

Dans un monde manifestement idyllique, on retrouve Sweet Pea, qui s'apprête à monter dans un bus, quand elle rattrapée par des policiers au moment où il va démarrer. Le chauffeur du bus n'est autre que le Sage. Il lui donne un alibi et elle peut partir. Le film s'achève donc sur sa fuite et la voix off, qui est celle de Sweet Pea, disant au spectateur que le monde est celui qu'il en fait.

 

Désolé pour ce fastidieux rappel du scénario, mais c'est indispensable pour l'analyse qui va suivre. Pour la plupart des gens (qui n'ont pas apprécié ce film en grande majorité), l'histoire est donc celle de Babydoll. Elle est internée et s'invente des mondes imaginaires pour s'échapper de l'enfer de l'asile. Au moment où elle reçoit le coup qui la lobotomise, elle a un flashback qui est tout le film. Du coup, le syndrome du « tout ça pour ça ? » n'est évidemment pas loin. La plupart s'arrêteront là.

Mais si Sucker Punch contenait beaucoup plus ? Le fait qu'il ait été écrit par son réalisateur ne laisse-t-il pas penser qu'il y a certainement autre chose à y voir ?

Et si, cette histoire était en réalité magnifique mais mal racontée ? Comme un diamant mal taillé. Et si finalement, ses maladresses ne le rendait pas encore plus attachant ? Sucker Punch, l'histoire d'un twist foiré ? La suite au prochain post de blog (pour les fous qui seraient arrivés jusque-là et qui en voudraient encore !)...