Monsieur David Cage aime beaucoup parler et réfléchir (je crains parfois que ce soit dans cet ordre là).

Je tiens à dire en préambule que j'aime le travail de David Cage. Je n'aime pas forcément tous ses jeux, mais ils sont à tout le moins intéressants (mais pas forcément plus que d'autres jeux de beaucoup d'autres studios). J'ai également un souvenir extraordinaire de Nomad Soul. C'est donc avec respect, mais liberté, que je me permets d'écrire ces quelques lignes.

Cette envie irrépressible de m'exprimer vient certainement du fait que j'ai tendance à être souvent hérissé par son propos. Tout a commencé avec un podcast de Gameblog auquel il participait, qui m'amenait à revoir mon avis sur Heavy Rain (j'en ai écrit un post de blog tout à fait passionnant qui est ici). L'entendre expliquer qu'il y en avait assez du Pa-ta-poum et des GTA m'a beaucoup déçu, tant le propos m'a paru digne des raccourcis habituels qui nous énervent tant dans la bouche des profanes qui caricaturent à longueur de temps le jeu vidéo.

J'avoue aussi que je n'ai pas pu m'empêcher de penser que compte tenu de la pauvreté du scénario d'Heavy Rain, il eut mieux valu faire preuve d'un peu plus de modestie et respecter le travail extraordinaire de Rockstar (notamment) en terme d'écriture et de dialogues.

La dernière goutte d'eau provient de la proclamation des 9 "commandements", qui, au delà du ridicule du concept, me semble une nouvelle fois venir discréditer le travail de David Cage, par un propos un brin prétentieux et, pour moi, totalement à côté de la plaque.

Et puisqu'après tout personne n'est plus légitime qu'un autre grâce à la magie des internets, je proclame moi même mes anti-commandements, parce que le jeu vidéo avance tout seul et n'a pas forcément de leçon à recevoir.

Voici les 9 anti-commandements, pour déclarer son amour du jeu vidéo :

 

1. Constater qu'il existe déjà des jeux pour tous, qui inventent des expériences interactives pour les adultes.

Il serait étonnant de prétendre le contraire, à une époque où on peut avoir joué à :

- The Walking Dead, comic adulte interractif remarquablement écrit,

- Assassin's Creed, épopée d'aventure complexe, à tirroirs, mêlant évênements, personnages historiques et fiction, présentant une vraie réflexion sur le temps, la transmission et le destin,

- Portal 2, casse-tête, jeu de plateformes et d'aventure, baigné d'humour et d'inventivité,

- Journey, voyage philosophique contemplatif,

Et tant d'autres. Je ne parle en outre que des derniers mois, étant loin d'avoir une culture ludique très étendue, et reconnaissant humblement que je ne joue quasiment qu'aux jeux les plus mainstream.

 

2.  Voir les multiples paradigmes qui sont sous nos yeux.

Dire que « si le personnage principal n'a pas de revolver, les designers ne savent pas quoi faire », c'est aussi absurde que de prétendre que le cinéma ne serait constitué que de films d'action violents.

Comment occulter les dizaines de jeux Nintendo qui se refusent obstinément, depuis des dizaines d'années, à l'utilisation des armes et de la violence ?

Comment sérieusement faire comme si les jeux cités ci-dessus, et tant d'autres, n'existaient pas ?

Résumer l'industrie du jeu vidéo aux FPS, n'est-ce pas faire preuve d'une méconnaissance et d'une mauvaise foi totale ? (rayer la mention inutile)

Certes, j'ai choisi mes exemples. Il ne s'agit pas de nier que Call of Duty est un des plus gros vendeurs. Mais pourquoi en faire autre chose qu'un arbre qui cache la forêt ? Pourquoi oublier volontairement FIFA, également énorme best-seller annuel, les Pokémon, les Mario, Zelda et tous ces univers variés qui composent le monde du jeu vidéo ?

 

3. L'importance du sens : tout ce que dit déjà le jeu vidéo.

David Cage invite les créateurs à oser aborder dans leurs jeux des sujets de société, des sujets qui touchent les joueurs directement dans leurs vies.

Il est réjouissant de voir que tellement de jeux le font déjà. Et bizarrement, je ne citerais pas forcément Heavy Rain en exemple... Plonger un enfant dans un compte à rebours mortel, est-ce vraiment parler d'amour filial ? J'y ai personnellement vu un moyen un peu trop facile de jouer sur l'empathie de tout être humain normalement constitué. Alan Wake et son tourbillon de noirceur n'évoque-t-il pas beaucoup mieux le peur de perdre son amour ?

D'autres pourraient parler bien mieux que moi de la profondeur et de la multiplicité des sujets abordés par la saga Mass Effect. Les GTA, bien ancrés dans notre quotidien, dénoncent avec intelligence les travers de nos sociétés et de nos contemporains, et sont une critique souvent aussi acerbe que fine. Là encore, on pourrait multiplier les exemples.

 

4. "Maintenir le challenge, vive les pouces !"

La dextérité, c'est l'essence même du jeu vidéo. Son ADN, son noyau, ce qui était là l'origine. Certes, le gameplay et les expériences proposées se sont étoffées, et c'est tant mieux. Mais renoncer au challenge, c'est s'éloigner de ce qui en fait un des intérêts majeur d'un jeu. Cela peut être une dextérité physique ou mentale, mais l'enjeu doit exister. Car sinon, je préfèrerais toujours regarder un film ou lire un livre.

A l'heure où on confond souvent immersion avec gesticulation, et où le joueur devient de plus en plus assisté, il me paraît au contraire essentiel de préserver cet aspect de notre jeu vidéo adoré.

 

 

5. Remercier les nombreux talents.

Il est magnifique de constater que les talents sont partout. A chaque coin du globe, on trouve des studios talentueux, travaillant parfois avec des bouts de ficelles. Les cultures sont souvent différentes, mais toujours attentives les unes aux autres.

 

6. Poursuivre les liens avec Hollywood.

Depuis plusieurs années, les liens se tissent et se font plus forts avec l'industrie du cinéma. On se souviendra que dès ses débuts, la PS3 nous servait un Heaventy Sword très imparfait mais marqué par la performance incroyable d'Andrew Serkis. Le même qui reproduira l'exploit quelques années plus tard avec l'injustement mal aimé Enslaved...

On ne compte plus désormais les acteurs de renom qui prêtent leur corps ou leur voix à un jeu, ni les compositeurs qui nous livrent de mémorables partitions, digne des plus grands films.

 

 7. Savoir trouver les limites et n'avoir pas besoin de censure.

« Parfois nous allons trop loin et nous comportons comme des adolescents stupides. Nous devrions arrêter cela »

Ah bon ? Mais sérieusement, est-ce bien différent du cinéma, qui osera rarement montrer la nudité du héros filmé quelques scènes auparavant en train de tuer à tour de bras ? Montrer l'héroïne qui prend sa douche, n'est ce pas précisément beaucoup plus adolescent qu'une élipse intelligence et pudique?

Le jeu, le divertissement, c'est l'essence partagée par le cinéma et le jeu vidéo. On s'amuse à jouer à la guerre ou au cow boy. On peut aussi réfléchir, ce n'est pas antinomique. Il s'agit simplement de trouver les limites du divertissement, et ça vaut pour tout le monde.

 

8. Préserver et encourager le rôle de la presse, des testeurs aux critiques.

Il existe deux types de presse, et c'est très bien. Les consommateurs ont souvent besoin de savoir comment est reçu un jeu d'un point de vue technique, pour éclairer son choix et l'aider à se décider rapidement parmi le foisonnement de la demande. L'analyse concerne un public beaucoup plus réduit. Elle est tout aussi essentielle. La plupart des sites proposent les deux aspects. La valeur ajoutée du journaliste apparaît plus dans la seconde catégorie. Mais à l'heure de l'info en continue et du zapping, y a-t-il vraiment un marché ? Nous avons vu que « Le jeu vidéo autrement » restait souvent une gageure difficile à tenir...

 

9. Acheter des jeux.

 « Acheter des titres médiocres, et vous en aurez encore plus. Acheter des jeux excitants et ambitieux, et vous en aurez plus ».

Il y a simplement un tout petit problème : qui décide quels jeux sont médiocres et quels jeux sont excitants et ambitieux ?

Il y a donc plus simple : que chacun achète les jeux qui lui plaisent, le divertissent, le touchent, et en fin de comptes, nous verrons bien qui survit. J'ai du mal à croire qu'un jeu objectivement médiocre (si tant est qu'on puisse le déterminer) se vende beaucoup. Ça s'appelle la sélection naturelle. Et ça évite de choisir pour les autres ce qu'ils devraient aimer.