« Quel choc! Nous sommes heureux de constater que vous n'avez pas été blessé et attendons avec impatience de vous voir courir le prochain rallye! Petite baisse de régime dernièrement : faites attention, vous n'avez pas atteint vos objectifs! Et de surcroît, votre coéquipier a battu votre temps! La saison commence plutôt mal. Vous allez devoir obtenir de meilleurs résultats en Angleterre »

Ce fut le l'e-mail qui m'accueillit chez moi en rentrant du rallye de France, qui se déroulait plus précisément sur les routes ensoleillées de Corse. L'asphalte est sans doute ma surface favorite. Mon constructeur, Hyundai, m'avait immédiatement demandé de reconduire mon contrat pour ma troisième année consécutive, puisque j'avais remporté le championnat lors de mes deux premières saisons chez eux. Après tout, je gagnais et Hyundai était devenu, en l'espace de deux ans, la plus grande écurie de rallye, ce qui renforçait notre complémentarité. J'étais serein lors du tout premier rallye, en Allemagne, lui aussi sur asphalte. Pourtant, le pire se produisit au détour d'un virage verglacé : une sortie de route dans un profond ravin détruisit ma voiture. Résultat des courses : abandon. Le constat était d'autant plus rageant que je survolais déjà mes adversaires au chronomètre.
J'avais su remonter en Finlande et j'avais su garder mon calme sur les routes africaines pour remporter deux rallyes me propulsant à nouveau dans le trio de tête. Je voulais m'emparer de la première place après le rallye de Corse. D'ailleurs, de nature véloce, je m'étais attaqué à des réglages spécifiques pour l'asphalte lors de mon passage au parc d'assistance. Mon équipe baissa la garde au sol, durcit les suspensions, raccourcit le passage des vitesses et concentra la force des freins sur l'avant de mon véhicule.

Mais une fois sur la route, j'avais perdu toutes mes sensations de pilotage. Plus timide qu'à l'accoutumée, moins incisif dans les virages serrés, moins précis dans les étroites lignes droites, le souvenir de l'Allemagne ressurgissait à moi et avec, le douloureux souvenir de la fatale embardée. Les routes de la Corse sont sinueuses, calées entre une paroi rocheuse d'un côté et un précipice de l'autre. Au fil des spéciales, le constat était accablant. Je perdais sans cesse du temps. A quoi bon terminer le rallye si c'était pour finir dans les tréfonds du classement? Pressé et sans doute blessé dans mon orgueil, je n'eu guère d'autre choix que d'augmenter à chaque virage un risque pouvant m'octroyer une petite avance et rester dans la course. Sensation de déjà-vu. Percutant à pleine vitesse la paroi rocheuse à l'intérieur d'un virage long, l'avant de ma voiture fut projeté contre un petit muret avant d'être projeté dans l'eau d'une petite crique à pleine vitesse. Ce fut la fin de mon rallye de France.

Je regardais l'e-mail qui s'affichait devant moi. Pilote numéro un de mon écurie,  il m'était difficile de voir Didier Boucher me devancer de huit points au classement, occupant une troisième place tandis que je me trouvais à la cinquième. Mon constructeur s'amusait à me le rappeler, pour que je réagisse. Il me devançait désormais au classement, lui à 58 points et moi à 50. Le Finlandais Petteri Heikkinen se plaçait premier avec 90 points et Nicolas Malenfant, sans doute mon plus grand rival quand j'étais encore dans la catégorie S1600 avait atteint la deuxième place avec 61 points. Tous les deux courraient pour Peugeot, à bord d'une 206. Passé la quatrième place, celle où je me trouvais, le risque était moindre, malgré un joli doublé de Subaru qui plaça ses deux voitures à la cinquième et sixième place.

Le rallye d'Angleterre débuta avec un brouillard à couper au couteau. En jouant la carte de la prudence pour ne pas me mettre hors course dès le départ, j'arrivai dans les quatre premiers à ma première spéciale. Nous nous tenions à moins d'une seconde. Par la suite, le temps fut beaucoup plus clément. Le rallye d'Angleterre, sur terre, présentait un décor boisé automnal, avec des teintes chaudes, allant du marron au jaune en passant par le rouge, sur fond de soleil couchant. Bien que le tableau fût sublime, il me fallait cependant prendre gare à ne pas amalgamer ces dégradés de couleurs pour rester sur la route.
Petit à petit, sans chercher à faire plus que je ne savais et en évitant avec soin les pièges (en grande partie des virages en épingle où la boue me faisait glisser contre les arbres), je grappillais çà et là quelques précieuses secondes qui me menèrent à la victoire, avec quelques 8''98 d'avance sur le Finlandais Heikkinen. Retour à mon bureau.

« Salut! Excellentes performances! Vous maîtrisez totalement la Accent! C'est bien, vous avez repris les rênes... mais vous êtes toujours en retard sur vos objectifs! Vous avez déjà fourni la preuve de vos exceptionnelles qualités, et il est hors de question que nous nous contentions de moins que cela! »

Et pourtant, le jeux étaient faits, quoiqu'en dise cet e-mail. Avec 110 points au classement, contre 75 pour moi, le dernier rallye qui se déroulait en Suède ne changerait plus la donne. J'avais perdu mon titre, définitivement. Ma seule consolation fut de dépasser le deuxième pilote de Hyundai (69 points) et de revenir à la place qui m'était due au sein de mon équipe.
Avant d'entamer mon dernier rallye, sans importance désormais, je parcourus mon pressbook où ma carrière était retracée. J'avais commencé chez MG à bord d'une ZR. Lors de mon tout premier rallye en S1600, j'étais parvenu à une jolie troisième place là ou MG m'avait demandé d'entrer dans les onze premiers. Ce succès aidant, je pus entrer chez Fiat, et terminer ma deuxième saison en tête à bord de la Punto. Repéré par Seat en WRC, je passai avec succès les tests et m'engouffrait ainsi dans un tout nouveau virage de ma carrière. Cette saison fut sans doute la plus difficile. La voiture, plus puissante, plus réactive, était comme un étalon difficile à maîtriser. Mon constructeur d'alors m'avait demandé d'arriver à la neuvième place, ce que je parvins à faire, de justesse. Ensuite, Ford me proposa des essais chez eux. Les réactions de la voiture me convenaient. Le moral des équipes était en hausse et la fiabilité de la voiture bonne. Cette saison là, j'arrivai cinquième. Enfin, Hyundai, constructeur qui montait en puissance vint me proposer une place chez eux. Peugeot m'avait également proposé des essais, mais j'avais échoué. La suite fut belle : deux fois champion du monde des rallyes sur ma Accent.

J'abordais mon dernier rallye sans aucun stress. A l'aise sur neige, ce fut sans difficulté aucune que je remportai la première place. Je dois avouer avoir pris un plaisir certain pour ce baroud d'honneur. Heikkinen abandonna ce rallye. Je n'étais plus qu'à dix points de lui, mais tout était fini.
Malgré ma contre-performance, Hyundai me proposa de reconduire mon contrat. Mais je devais prendre de nouvelles perspectives, ne pas me scléroser. Si ma septième saison fut celle du doute, ma huitième serait celle du renouveau. Et quoi de mieux que de changer d'écurie? La saison suivante, j'étais sur Peugeot 206. Et le premier rallye, celui d'Allemagne, fut un franc succès.

 

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