Hello tous,

Pourtant, je m'étais juré que cette fois, on ne m'y prendrait pas. De mon point de vue, pas question d'écrire une ligne sur GTA V, je refusais d'entrer dans la spirale infernale de la surenchère médiatique, de me laisser berner une fois encore par le plan comm' savammment orchestré par Rockstar. Un ressenti purement personnel, certes, et un sentiment de rejet plus que jamais douloureusement ressenti face à la déferlante de brèves, d'articles et de dossiers consacrés partout au sujet. Une impression de profonde injustice, aussi. Parce que GTA V, une fois dépouillé de ses atours les plus clinquants, apparaît là où il a réellement sa place : dans le vaste paysage des jeux bien finis, certes, mais dont les qualités objectives ne permettent pas de prétendre à la légende. Que l'on cesse de se voiler la face : le mythe n'est pas à la hauteur de la réalité. L'open world suppose trop de compromis pour être techniquement et narrativement viable en l'état actuel des choses. C'était le cas pour GTA IV et Red Dead Redemption, c'est aussi le cas pour les Saint's Row et les Assassin's Creed. Pas de raison qu'il en aille différemment pour cette franchise qui plus est engluée dans ses habitudes.

Pourtant, en ce jour de sortie de la "bête", je m'en suis allé chercher mon exemplaire, en bon petit soldat. J'ai longtemps hésité, puis le souci de l'honnêteté intellectuelle m'a poussé, une fois de plus, à me faire mon idée de la chose. Et je dois bien dire que, pour une fois, j'ai failli être bluffé. Scène d'introduction mémorable, braquage à la mise en scène remarquablement timée, aux enjeux narratifs et émotionnels parfaitement maîtrisés. Les premières minutes de ce GTA V m'ont ouvert les yeux sur un monde que je n'avais jusqu'alors jamais soupçonné, concernant la franchise. Pendant un instant, j'ai douté.

Sans transition,  mon cher Léon

Puis est venu ce moment où l'on se frotte à la réalité du soft. Surgit, d'abord, un personnage confronté à un psychologue, en pleine crise de confiance. On ne le voit que furtivement. Puis un autre, black et pétri de cette culture gangsta que nous sert au quotidien la télévision américaine, sert de personnage principal pour débuter l'aventure. Intrigué, je me laisse guider. Je "récupère" quelques bagnoles auprès de propriétaires qui ont négligé de rembourser leur crédit. Je découvre que mon univers, c'est celui de la débrouille, du système D. Mais au fond, je suis un bon gars, je le sens. Puis je participe à l'éradication d'un gang pour une bête histoire de moto non remboursée. Puis j'enchaîne, forcément sous la coupe de mon comparse black qui rêve de deal, de putes et de fric facile, par un enlèvement.

Bonjour la transition. En quelques minutes de jeu je viens de passer du mec qui essaye de s'en sortir à celui qui n'a pas froid aux yeux. Psychologiquement parlant, c'est limite. Scénaristiquement, c'est au minimum tiré par les cheveux. Mais bon. Quelques instants plus tard, après avoir aidé le chien de mon pote à faire ses besoins et appris que si je veux en faire un compagnon utile (comprendre : pas totalement obsédé par les femelles des environs), il faudra que je m'occupe de lui sur mon smartphone - si c'est cela, le transmédia, je n'en veux pas -, je m'en vais braquer une caisse dans la rue. Je jette la pauvre nana au volant par terre, puis je m'emploie consciencieusement à la renverser. Marche arrière, marche avant, histoire d'être sûr. La double peine, comme qui dirait. Rien que du classique pour GTA.

Quitte à faire dans l'excès, je roule sur le trottoir, histoire d'être sûr de faire un maximum de dégâts dans les rangs de la population civile. Pas de problème, cela ne gêne personne, pas même les flics dont le comportement frise l'apathie en ces premières heures de jeu. Ma bagnole, elle, a tout l'air d'un tank. Difficilement manoeuvrable, affichée selon un angle de vue qui limite considérablement ma capacité à anticiper le moindre virage. Soit, j'ai la possibilité de modifier l'angle de la caméra dans les options. Mais je suis perplexe : n'eût-il pas mieux valu proposer une visualisation viable dès le départ ? Et que dire de cette logorrhée verbale qu'il m'incombe de suivre tandis que je pilote, tandis que je chasse l'une ou l'autre cible ? Difficile de suivre une conversation textuelle - les sous-titres - et de rouler à pleine vitesse lorsque l'on ne maîtrise pas totalement la langue de Shakespeare à l'oral.

Une fois à pied, les choses semblent s'arranger quelque peu. Jusqu'à ce que je sois invité à sortir mon gun. Là, d'office, je tombe des nues en découvrant  le système de visée automatique proposé par le titre. Pan, pan, pan, les adversaires tombent comme des mouches, selon un gameplay qui n'a plus rien d'une invitation à faire parler son skill. Plus grave encore, les rares velléités de prise de contrôle total de cette visée dont je fais preuve sont annihilées par un viseur quasiment invisible. Un ridicule point blanc, tutti riquiqui, au centre de l'écran. Je mets au défi de l'utiliser correctement tous les joueurs qui vont vers leurs quarante ans.

Place au die and retry. Système basique de couverture, je me fais tirer dessus et envoyer ad patres. Le jeu me ramène quelques secondes en arrière, je suis invité à retenter ma chance au début de la fusillade. Viser en automatique, tirer, s'abriter. Viser en automatique, tirer, s'abriter. Classicisme décevant, forcément. Alors, aigri par la chose, je cours, je tire à tout va, jouant de cette gachette L2 qui me permet de cibler qui je veux en une fraction de seconde. Non, décidément, je n'y trouve pas mon compte. Une croix de visée, une souris et un PC, tant qu'à faire, m'auraient davantage convaincu de l'intérêt de la chose.

Chez les strip-teaseuses

Un peu dépité, je m'en vais me consoler dans un bar coquin de la cité. Ici encore, c'est la fête aux clichés. Mais ces messieurs de Rockstar sont du genre sage, même quand il s'agit de s'encanailler. Les demoiselles, sauf exception, portent des sous-tifs qui feraient se gausser ma prude moitié, et quand bien même elles n'en portent pas, ce n'est pas un bout de téton qui va sentir le souffre, eu égard au monde qui nous entoure. Besoin de grandir, me dis-je, tandis que les demoiselles se déhanchent langoureusement lorsque je paye pour une petite séance privée. Le gameplay? Je pose mes mains sur leur joli popotin lorsque le vigile est occupé ailleurs, et je leur dis des choses cochonnes - mais pas trop - histoire de les exciter. Chouette, mais M6 fait mieux le dimanche soir, comme qui dirait.

Mais c'est que GTA V fonctionne sur sa réputation historique de bad boy des jeux vidéo. C'est elle qui lui a ramené un public aussi conséquent. Or, le succès amène aussi les concessions. Pas question de choquer, encore moins de montrer des choses qui pourraient valoir des restrictions sévères ou même entraîner des interdictions dans certains pays. Autrefois, Rockstar ne se préoccupait guère de ce genre de détails. Ce n'est plus le cas, et précisément à cause de cet argument massue que la firme balance à qui veut l'entendre : un budget de 250 millions de dollars. Pour faire simple : il suppose qu'il puisse être remboursé. A la clé, un syndrôme de blockbuster décérébré.

Tiens ? Pendant que je réfléchis à tout ça, j'ai chauffé la demoiselle. Elle me propose de la ramener chez elle. Ici encore, GTA V s'offre une ellipse digne de lui ouvrir les portes du Grand Séminaire. Non, chatouiller la surface des choses passe encore, mais pas la moindre représentation de la réalité des comportements sociaux, moraux et sexuels en vigueur dans notre société - ce qui pourtant rendrait les choses nettement plus intéressantes. Symptôme mass-média à la clé, ici encore : autant la violence est communément admise - quoiqu'on en dise, et bien que l'on s'en offusque même de temps à autre - et donc mise en scène dans l'outrance, autant la représentation du reste - a fortiori le "monstre" qui sommeille dans l'inconscient de l'Amérique - est davantage risquée... et Rockstar semble moins que jamais prêt à s'aventurer sur un tel terrain. C'est le lot de tous les produits qui construisent leur réputation sur leur capacité  à choquer : à force d'être attendus, adulés, ils finissent par être absorbés dans les courants dominants qui sous-tendent l'éthique de notre société. Réfléchissez-y un instant : quel média a réellement opposé un quelconque argument moral autre que purement rhétorique à GTA V, cette année ?

Il est libre, Max ?

Je me dis alors qu'il reste au moins la liberté. Celle de circuler, celle de choisir qui je tue, qui je laisse vivre, comment j'organise mon temps et ce que j'ai envie de visiter. Je décide, revigoré, de me promener à travers la ville au moyen d'une caisse que je viens de braquer, et je prends mon pied à circuler au pied des buildings, à admirer la très séduisante modélisation de ce Los Angeles rêvé qui a servi d'inspiration à l'éuqipe de développement. Et soudain, un point bleu sur mon radar. Deux braqueurs sortent d'une supérette, en tabassant au passage le pauvre vieux qui tenait la caisse. J'ouvre la portière, je m'approche d'eux. Ils me demandent de l'aide pour s'enfuir, alors que les sirènes commencent à hurler, au loin. Pas fou, je me rappelle que j'aspire à une vie normale, c'est ce que le début de cette aventure a tenté de m'enseigner. Je sors mon gun, j'essaye de buter les deux indélicats,  ou au moins de les forcer à se mettre à terre. Rien n'y fait, le jeu veut que je les sauve des griffes de la police. Lorsque je retourne dans ma voiture, ils me suivent, et c'est bientôt la course-poursuite, selon une succession d'événements prédécidés, à laquelle je ne pouvais guère échapper. Liberté, mon cul. Je suis un gangsta, doublé d'un sale type sans aucune humanité. Mon destin est tout tracé, puisque le jeu vient de le scripter. 

Réaction épidermique. J'arrête GTA V, le blu-ray retourne dans son boitier. Demain, j'irai sans doute me faire rembourser. En espérant ne pas devoir braquer mon revendeur pour y arriver...

NOTE : Au cas où vous ne l'auriez pas compris en lisant ce texte, cette chronique reflète une vision totalement subjective, un ressenti construit sur les premières heures passées en compagnie de GTA V. Il en ressort un profond sentiment de frustration, l'impression que le gameplay et la cohérence de l'expérience n'ont clairement pas fait partie des priorités de l'équipe de développement, pas plus que le level design. En revanche, certaines scènes cinématiques et la construction du scénario laissaient entrevoir un potentiel certain, ce qui fait que je ne suis pas encore totalement certain, en réalité, de vouloir rendre les armes si facilement. Néanmoins, Dieu que ce jeu est agaçant...