L'E3 est à peine achevé que le premier titre next-gen débarque déjà sur le marché. Ambiance de fin du monde et lutte désespérée pour sauver ce qu'il reste de l'humanité sont les maîtres-mots de The Last of us, épopée désenchantée qui livre sur PS3 un avant-goût faramineux de ce que pourra bientôt offrir le jeu vidéo.

20 ans, déjà, que l'épidémie a frappé. Les survivants ne pourront jamais l'oublier. Les hurlements, les pleurs, la peur. La catastrophe, l'armée décidée à circonscrire l'infection, quitte à tuer des innocents. Mais ce furent des efforts bien inutiles. Aujourd'hui, ce qu'il reste de l'humanité se terre dans des villes-bunkers contrôlées par des factions militaires de plus en plus oppressives. Des rebelles se sont soulevés contre ce régime, le conflit est acharné. Des morts, encore, et petit à petit les vestiges de la civilisation qui s'étiolent. D'autant que dehors, il n'y a pas non plus de place pour l'espoir. Là-bas, l'homme est un loup pour l'homme, les infectés hantent les rues et les allées. Quant à ceux qui ne le sont pas, ils tentent de survivre. Parfois en prenant la vie de leur prochain. Parfaite description d'une société qui a implosé.

La description est glaciale, mais elle met derechef le joueur dans l'ambiance. The Last of us, dernière pépite des studios Naughty Dog (la trilogie Uncharted), veut raconter une épopée post-apocalyptique. Mais pas sur le mode, habituel, de la survie factice et de l'action débridée. Ici, chaque pas est une prise de risque, chaque initiative pose la question, fondamentale, de la vie et de la mort. Ici, pas question non plus d'évacuer la difficile mécanique des sentiments. Tristesse, culpabilité, attachement... The Last of us se veut loisir mature, refuse la facilité. Conscient de la puissance de son histoire et de la force de sa narration, il se perd parfois dans d'anodines discussions qui donnent pourtant corps à la passionnante relation unissant les deux principaux protagonistes de cette aventure. Le jeu ose même les silences et les temps de contemplation, sait admirer la vie et la nature par un joli soleil couchant à l'occasion.

C'est l'histoire, sans doute, d'une rédemption. Celle de Joel, quadragénaire dur au mal, mercenaire à ses heures, qui trouve dans la protection de la petite Ellie l'opportunité d'enfin pouvoir vivre avec les souvenirs de cette fameuse nuit de l'apocalypse. Il y a cet infime espoir, aussi, d'inverser le cours des choses. La vie peut-elle prendre le dessus ? Au quotidien, c'est ce que dit, c'est ce que montre l'adolescente, qui illumine l'histoire de chacun de ses sourires, jusqu'à ramener son protecteur du glacial royaume des désabusés. Interprétée par l'actrice hollywoodienne Ashley Johnson (Avengers), Ellie est le moteur de cette quête en terres hostiles, qu'il faudra furtivement traverser, en ressentant un curieux mélange de peur et de fascination. Car le travail de recréation du monde mené par l'équipe de Naughty Dog est effarant de réalisme... et de beauté. Des villes déchues envahies par la végétation, une nature revigorée par le cataclysme qui a éradiqué l'humanité. Il y a l'ombre, bien sûr, celle dans laquelle se terrent les survivants apeurés. Mais The Last of us se veut solaire, et ne craint jamais de dévoiler l'étendue du cataclysme et la crudité de la violence par un beau ciel bleu sans nuages. Le contraste n'en est que plus saisissant.

Il y a un jeu, bien sûr, dans cette histoire. Assez classique, le gameplay reprend - en les optimisant considérablement - les routines mises en œuvre dans la trilogie Uncharted, soit un jeu d'action à la troisième personne particulièrement bien troussé, mais également très scripté. Il y ajoute une forte plus-value en termes d'infiltration, et privilégie bien souvent la tension d'un affrontement mano a mano aux batailles rangées avec des hordes de contaminés déchaînés. C'est une saveur bien particulière, ainsi, que de se glisser de voiture en muret, d'échapper aux regards et de vibrer de tension lorsque l'alerte est finalement donnée. Angoissant car l'on est immuablement vulnérable, d'autant que le challenge sait à l'occasion se montrer corsé, contraignant ici et là à reprendre une séquence parfois plusieurs fois. Tout n'est pas absolument impeccable, notamment concernant la gestion de l'IA des coéquipiers et la concession faite au réalisme en rendant ces derniers invisibles à toute détection par les contaminés, mais ici, on n'abandonne pas. Pour un jeu vidéo, c'est un signe qui ne trompe pas.

The Last of us propose également une gestion d'inventaire assez poussée. Ramasser des objets, ciseaux, alcool, bandages , pièces d'armurerie s'y révèle crucial, car Joel doit construire son matériel. Dans ce monde où chaque balle est précieuse, il faut en effet savoir préparer soi-même son cocktail molotov - ô combien précieux pour éliminer les "claqueurs", aveugles mais si sensibles au bruit -, ses kits de soin, ses surins, mais aussi savoir bricoler pour faire évoluer ses armes. Une partie du titre qui s'offre encore quelques concessions au réalisme - il en va de même pour la progression des caractéristiques du héros - mais dont la principale qualité tient à pousser le joueur à explorer autant que possible les environnements dans lesquels il évolue. Malin, car c'est une promesse de frissons supplémentaires : chaque exploration de maison, de tunnel ou de hangar est ici, potentiellement, une mortelle aventure.

The Last of us est l'un des ces rares titres qui servent de mètre-étalon à une génération de hardware. Certes parce qu'il parvient, techniquement parlant, à faire quasiment jeu égal avec les jeux de la prochaine génération de machines récemment dévoilés à l'E3. Mais surtout parce qu'il invite, pour la première fois de l'histoire des jeux vidéo, à vibrer, rire et pleurer en compagnie de deux héros dont, enfin, on peut saluer toute l'humanité. Après 30 ans d'attente parfois fiévreuse, le rêve d'une émotion vidéoludique est devenu réalité.

J'aime :

- La réalisation, somptueuse, qui invite le joueur à s'y croire en progressant dans ce monde devenu aussi beau que dangereux.

- La fluidité de la narrration, qui fait avancer l'histoire en intégrant le gameplay à chaque instant. Jamais les séquences de furtivité ou d'affrontement ne viennent perturber la logique scénaristique

- Le soin apporté par Naughty à donner vie, littéralement, à ses personnages. Tous amènent avec eux leurs fêlures, leurs secrets espoirs. On s'attache à eux, inévitablement.

- L'ampleur de l'expérience, 12 à 15 heures de bonheur, sans se presser mais sans lambiner.

- La gestion des ressources et de l'inventaire, qui invite à fouiller autant que possible chaque zone. Et ajoute encore au sentiment d'urgence du jeu, dans lequel le maître-mot est pénurie.

- Les doublages en français, d'excellente facture même si la VOST, de meilleure qualité encore, est disponible dans les options. La BO est une merveille.

J'aime pas :

- La synchro labiale de la VF, qui perd parfois les pédales. Tant pis pour l'immersion...

- La gestion de l'IA des coéquipiers, qui non seulement très dans les pattes du protagoniste contrôlé par le joueur, mais qui s'offrent la danse des canards quand ils se décident à bouger du chemin.

- La concession technique faite par Naughty Dog en rendant ces mêmes coéquipiers indétectables. Un aveu d'échec dans la gestion de ces PNJ qui vient, là encore, gâcher quelque peu l'expérience. Imaginez la scène lorsque, fier de vous après vous être faufilé à travers  une zone particulièrement dangereuse, vous voyez votre (vos) comparse(s) se promener au milieu des créatures comme si de rien n'était...

- Joel a quand même un sacré petit air de Nathan Drake. Il n'existe pas qu'un seul type de visage et de physique, les gars...

- Les zones de jeu ne sont pas si ouvertes que ça, notamment hors des villes. L'aventure, quoiqu'on en dise, est assez dirigée. Il y en a que cela pourra gêner.