Hello tous,

Comme nombre d'entre vous, j'ai suivi de près la conférence de présentation de la Xbox One, mardi soir, événement médiatique qui a eu le don de poser quasiment plus de questions que d'apporter de réponses quant à la nouvelle génération de hardware attendue pour la fin de l'année. Et depuis cette soirée, je ne peux m'empêcher de m'interroger - de m'inquiéter - à propos des fonctionnalités online du support, et notamment concernant les notions de connexion obligatoire et de rattachement d'un jeu à un compte Xbox Live.

Depuis, les entretiens avec les responsables de Microsoft (France et monde) se multiplient sur la toile et commencent doucement à clarifier la situation. Au registre des bonnes nouvelles, l'on peut ainsi d'ores et déjà acter le fait qu'il ne sera pas indispensable d'être connecté pour jouer ou regarder une vidéo. Voici qui devrait donc rassurer ceux qui craignent des coupures intempestives de réseau ou des risques de hack massif du online Microsoft. On ne rigole pas là-bas au fond, c'est arrivé à d'autres.

Point positif également, le compte Xbox Live n'est pas exclusif à un hardware, ainsi que l'a confirmé David Dufour. Le joueur payera donc un abonnement qui lui pemrettra de profiter aussi bien des titres Xbox 360 que des jeux Xbox One. Ceci sur deux consoles séparées, étant entendu que la rétrocompatibilité ne sera pas au menu de la Xbox One. Chez Microsoft, on parle de problèmes techniques pour expliquer ce dernier point : je pense plutôt qu'il s'agit d'une stratégie mûrement réfléchie de  prise de contrôle du marché de l'occasion.

Observons la situation plus en détails. Cette nouvelle génération de console débarque dans un contexte de dématérialisation des softs, qui se traduit par une baisse progressive des ventes de jeux d'occasion, au point de faire peser une sacrée épée de Damoclès sur les sociétés qui tiennent le marché. Aux Etats-Unis, il est d'ores et déjà difficile de trouver des enseignes pratiquant de l'occasion sur les jeux vidéo, même dans des villes comme Los Angeles - j'en ai fait l'amère expérience voici deux ans - ou New York - même topo au printemps 2012. En France, la disparition de l'enseigne Games devrait également nous mettre la puce à l'oreille et nous alerter des difficultés que connaissent les revendeurs spécialisés de jeux vidéo. Soyons réalistes : il n'est pas acquis que ces réseaux de magasins survivent encore nombre d'années.

Dans ce contexte, on peut imaginer que l'intention de Microsoft procède d'une stratégie froidement opportuniste. Soit, la firme se met (provisoirement?) à dos les gamers de tout poil en dévoilant  que la revente ou le prêt physique  de jeux passera par l'acquisition d'un nouveau code de liaison du titre au Xbox Live, pour un prix avoisinant apparemment celui du neuf (sic!) ainsi que l'on peut le lire sur le site Kotaku, qui interviewe le vice-président de Microsoft Phil Harrison :

But what if you want to bring a game disc to a friend's house and play there? You'll have to pay a fee-and not just some sort of activation fee, but the actual price of that game-in order to use a game's code on a friend's account. Think of it like a new game, Harrison said. "The bits that are on that disc, you can give it to your friend and they can install it on an Xbox One," he said. "They would then have to purchase the right to play that game through Xbox Live."

Mais le concept est nuancé par une autre information tirée de cette interview décidément très instructive. Harrison explique en effet qu'il sera malgré tout possible de revendre un jeu à tarif préférentiel par le biais d'un dispositif online dont il ne souhaite pour l'instant pas donner le détail:

"We will have a solution-we're not talking about it today-for you to be able to trade your previously-played games online," Harrison said.

Soit, il s'agit d'un "scénario potentiel", nuance la Home de Gameblog, qui reprend une réaction de Micorosft, sans doute affolé par le bad buzz de ces propos. Mais c'est ici, à mon sens, que s'éclaire potentiellement la stratégie de Microsoft. Prenant acte de l'évolution des usages des joueurs, hélas inéluctable, la firme anticipe la disparition des "retailers" d'occasion à travers le monde, abandonnant simplement l'old gen aux enseignes ultra-spécialisées pour laisser une place au retrogaming. Et pour la compenser, Microsoft s'apprête d'après moi à développer son propre réseau de revente, qui serait cette fois totalement virtuel. Imaginez la situation : vous avez bouclé votre jeu à quatre heures du matin, et vous avez envie de continuer votre nuit blanche sur la nouvelle bombe sortie à minuit. Pas de souci, vous revendez votre code (au store lui-même, ce qui semble peu probable, ou plutôt à un autre utilisateur, ce qui semble plus rentable pour Microsoft et les éditeurs tiers qu'une rétrocession des droits d'utilisation du jeu à l'éditeur) à un prix préférentiel, sur lequel Microsoft perçoit une dîme qui sera redistribuée partiellement aux éditeurs, et vous réapprovisionnez votre portefeuille virtuel, que vous abondez de quelques dizaines d'euros pour acheter le titre de vos rêves.

Pour faire clair : vous payez votre jeu au prix fort minoré de la somme acquittée par l'utilisateur à qui vous avez revendu votre ancien titre, l'acheteur d'occasion récupère un titre à prix préférentiel et la plus-value effectuée sur la revente d'occasion va aux ayant-droit. Tout le monde y est gagnant, la part des détaillants étant répartie entre ces trois acteurs. En apparence du moins.

L'idée n'est pas nouvelle : pour augmenter ses gains, il est toujours intéressant de faire disparaître une étape dans le circuit de vente d'un produit. C'est notamment avec ce problème que l'industrie du disque se bat aujourd'hui. Et il n'est même pas exclu que pas mal de joueurs puissent y trouver leur compte. La question se pose en revanche de la pérennité de ces jeux lorsque la péremption technologique aura rempli son oeuvre, et que la Xbox One elle-même viendra garnir les rayons des magasins d'occasion retrogaming ou les annonces du boncoincoin. Mais Microsoft a sur ce point sans doute encore une longueur d'avance, étant entendu qu'il n'est pas du tout inenvisageable de voir apparaître une mise à jour permettant d'affranchir la console, en fin de vie, des barrières érigées pour préserver les intérêts de Microsoft au plus fort du cycle de vie du hardware.

La véritable zone d'ombre, en fait, est ailleurs. Si le modèle commercial que j'envisage se vérifie, c'est toute une époque qui s'apprête à vivre ses derniers jours. Les enseignes généralistes et spécialisées, si elles survivent, se chargeront de la distribution des titres neufs et assimilés - en admettant que la dématéralisation ne fasse pas de pas de géant dans les cinq prochaines années, et en espérant que les marges minimes sur le neuf seront un peu revues à la hausse, histoire que nous ne perdions pas la FNAC et Micromania après Game et Virgin - et le joueur devra abandonner tout idée de partir à la recherche du jeu rêvé avec l'espoir d'une bonne affaire à réaliser, le contrôle des prix de revente semblant aller de paire avec le système précité. Et ceci, sans même aborder la question des multiples restrictions que suppose le rattachement d'un jeu à un compte utilisateur en termes de partage et de convivialité.

C'est une manière de concevoir le jeu vidéo, en tout cas, qui n'en finit pas de m'interroger: à bientôt 40 balais, je ne suis pas sûr de vouloir contribuer à la mort du loisir tel que je le vis et l'aime depuis que je suis gamin. L'affaire n'étant apparamment pas encore totalement actée, selon plusieurs papiers, je veux croire que les grands penseurs de Microsoft feront marche arrière et proposeront un modèle économique plus respectueux des joueurs, du marché de l'occasion et des collectionneurs. Car le jeu vidéo n'est plus seulement un loisir: il est un patrimoine, une épopée culturelle qui a vocation à être partagée, notamment dans les médiathèques où il a récemment fait son apparition. Il n'appartient pas seulement à ceux qui l'ont créé et qui en ont fait leur business...

 

Sources :

https://kotaku.com/you-will-be-able-to-trade-xbox-one-games-online-micros-509140825

https://www.gameblog.fr/news/35733-xbox-one-occasion-et-connexion-permanente-microsoft-tempere

https://leplus.nouvelobs.com/contribution/869347-xbox-one-et-l-occasion-microsoft-a-rompu-avec-la-philosophie-du-gaming.html

https://www.jeuxcapt.com/Xbox-One---Pas-de-connexion-obligatoire-ni-de-taxe-sur-les-jeux-actualite-17352.html

https://www.polygon.com/2013/5/21/4353538/xbox-one-perform-recurring-online-checks-even-for-offline-play